Je n’arrive pas à me réjouir pour le come back des Spice Girls. D’une manière générale, les retours me mettent mal à l’aise. Sans doute à cause de mon adultat déprimant qui finit toujours par entériner la gosse de dix piges s’extasiant sur les tenues de Geri Halliwell.
Je crois que c’est l’écho de ce passé qui me perturbe. Les Spice Girls, c’était l’eldorado d’une époque bénie. L’Angleterre des 90s avait cette insouciance dans la pop qu’on ne peut plus se permettre aujourd’hui. Le parti travailliste nouvellement élu allait donner des ailes à la population. L’ombre des conservateurs et la teignasse de Thatcher n’étaient plus qu’un lointain souvenir. Mais dans l’ère du Brexit, dans l’ère d’un nouveau round des droits civiques, les voix des minorités s’élevant contre un ordre moral toxique, le malaise est des plus palpables et l’anachronisme, jamais aussi bien représenté.
Le monde entier semble être tombé d’un gratte-ciel. C’est que le people power traumatise. Vous savez, rayer le mot « fille » donnerait l’illusion d’effacer le sexisme. Tout comme s’étaler dans le brouillard face au nationalisme galopant d’une Angleterre branlante. A quoi bon, je n’y vis pas, répondra Mel B. Bad bad bad Ginger Spice. Bad bad bad Scary Spice. Nous auraient-elles menti toutes ces années? Bien évidemment que non. Dans une période politisée, ramener les Spice Girls à une espèce de féminisme ultra était de facto casse gueule et soyons honnêtes, une manière un peu inconsciente d’élever nos enfances passés au rang de conscientisés politiques. Le girl power, c’était avant tout pour les gamins et les gamines que nous étions l’occasion de se glisser dans la peau de ces personnages préfabriqués. S’appuyer sur un motto facile à traduire pour nos parents histoire qu’on puisse se sentir pousser des ailes quand il s’agissait d’aller foutre un coup de pied dans les burnes à Jérémie, le gros bras de la cour de récré qui commençait sérieusement à faire chier.
Les Spice Girls n’ont jamais été celles que nous idéalisons aujourd’hui. Les Spice Girls n’ont jamais été qu’un ersatz. Un très bel ersatz, certes, parfois un ersatz malin (quand il a fallu faire un bras de fer pour sortir Wanabee en premier single et non pas Love Thing, comme la maison de disque voulait) mais un ersatz quand même, que ça nous plaise ou non. Le girl power n’était même pas de leur cru, mais juste la récupération en règle d’un autre groupe anglais, Shampoo, groupies en chef des Manic Street Preachers, qui, en 1996 connaissaient déjà le déclin. Mel C et toute sa clique ont été lancées dans une période où le politique et le féminisme avaient touché une strate de la population et l’industrie musicale se devait d’en récupérer le gâteau pour mieux contenir des débordements possibles parmi la nouvelle vague de chanteuses pop rock qui germaient un peu partout sur le globe. Instaurer de nouveaux modèles féminins à un public jeune, voilà le deal qu’on s’était fixé dans les hautes sphères.
Il suffit de voir comment s’organise ce retour: pas un seul tube depuis presque dix-huit ans, uniquement des billets en vente pour une tournée démesurée qui s’inscrit une fois de plus dans une période presque similaire à celles des années 90: on gueule une nouvelle fois pour une meilleure visibilité du féminin dans une société qui se déchire à coup de travail inexistant, quand on ne laisse carrément pas une partie des gens sur le carreau parce que le moule n’a jamais été aussi restreint. Mais à l’époque des Rihanna et des Ariana Grande, le bidouillage pseudo féministe des 90s n’en n’est malheureusement que plus évident. Les codes ont changé, les mentalités bouillonnent, le moindre faux-pas décapite les carrières. Même Taylor Swift s’est sentie de se mettre du côté des anti-Trump. On marche dans le sens de l’histoire ou on crève.
Les Spice Girls ne sont au final que le produit de leur époque: les prémices d’une aseptisation des discours politico féministes dans la sphère mainstream. Cela n’empêche pas que l’on peut leur donner un symbole fort, l’héritage culturel étant là. Mais sortir des cris effarés parce qu’elles caressent dans le sens du poil Theresa May et se vautrent dans l’égalité et l’universalisme primaire, sérieusement?
L’industrie changera le jour où on arrêtera de prendre pour argent comptant ce qu’on nous balance à la gueule. Même quand ça parait clinquant et que ça va dans notre sens. Oui, elles resteront quand même à jamais dans nos cœurs pour leur bel hymne à l’amitié. Elles seront toujours celles qui nous ont poussé à réaliser que la féminité pouvait prendre diverses formes et qu’il nous appartenait de prendre le chemin désiré. Que le sexe responsable, c’est mieux, et qui plus est s’il est voulu, acté et signé par les deux partis.
Pour ma part, j’aime les Spice Girls pour cet esprit cartoon qu’elles avaient réussi à mettre sur pied. A se moquer des étiquettes qu’on leur avait collé sur le cul. Ginger devenait toujours plus trash vulgos, Baby raccourcissait les jupes dans la joie et la bonne humeur, Mel C préférait les flips arrières à la marche traditionnelle, Mel B t’emmerdait d’une puissance intersidérale et Posh était en passe d’acheter une maison à toutes ses paires de pompes Gucci. Emma Forrest, journaliste chez The Independant, écrivait à propos des Spice Girls que malgré leur beauté indéniable, quelque chose d’abrupt, de rude se dégageait de ces femmes. On était loin des classieuses à la Yves Saint Laurent des podiums. Les Spice Girls, c’était Gemey Maybelline, l’anglaise basique des bas d’immeubles du samedi après-midi. Faire danser les dudes le cul à l’air sur un air de Gary Glitter. Working class heroes. Tu m’étonnes que la Beckham n’a pas voulu y retourner.
Forcément, comment sublimer cet imaginaire aujourd’hui, si ce n’est en faisant machine arrière? C’est ce qui arrive, quand il y a un décalage entre le public et les artistes. Comment réintégrer tout cet esprit de dérision, alors que le rire est moyennement recherché sur des red carpet qui se veulent maintenant de plus en plus contestataires? A-t-il même encore sa place à l’heure actuelle, où chaque mouvement est soigneusement étudié et se doit de ressembler à un manifesto tiré à quatre épingles, parfois même sous couvert de faux esprit punk et de do it yourself coûtant, ironiquement, des sommes outrageusement chères? C’est le paradoxe de notre époque. On recherche toujours plus de conscience dans la pop. Du sérieux dans la légèreté, de l’engagement dans l’entertainment.
La pop sait être à contre-courant et utile quand elle le veut. Elle peut n’être que divertissement mais aussi porteuse d’idées. Et puis parfois, elle peut juste être à côté de ses pompes, quand les époques et les personnes ne sont plus adaptées. On dit qu’il ne faut jamais rencontrer ses idoles. Bardot, sex symbol par excellence, n’est-elle pas devenue la pire conservatrice qui soit?
Les Spice Girls ont déconné. Mais on s’attendait à quoi, au final?

Une tête avec maquillage inexistant. Oui, sans artifice, la pop, ça peut se montrer terrible.