Quand on part en voyage on ramène toujours un truc, des souvenirs, des cadeaux…
Quand j’étais petite j’avais deux tortues de terre, je les avais ramenées après un été passé en Algérie. Un soir en rentrant du collège ma mère m’avait dit qu’elles étaient mortes, elle les avait tuées en passant la tondeuse.
Depuis je m’étais dit que le seul animal dont j’avais les capacités de m’occuper - après avoir essayé d’avoir un poisson rouge quand ma fille m’a demandé un chien et un chat - c’était une tortue de terre : autonome, discrète, propre, silencieuse.
Il y a quatre ans alors que j’exposais à la Marrakech Art Fair, où j’avais rencontré Jack Lang, le directeur de l’Institut du Monde Arabe, quelques artistes en mal de positionnement artistique, donné une interview pour France Culture ; j’avais décidé de me barrer du vernissage. C’était relou, surfait, trop gossip girl du Maghreb, je préférais me promener en ville.
Après un KFC dégueulasse, j’étais tombée sur un vendeur d’animaux sur la grande place. Alors avaient commencé les négociations en arabe, le mec voulait me vendre plus cher les plus petites, parce qu’elles rentraient dans un paquet de cigarettes.
Super argument de vente.
Sur Grindr les mecs mesurent leurs verges avec des télécommandes, au Maroc c’est le paquet de Marlboro l’échelle de comparaison. Heureusement était arrivé un Palestinien qui accompagnait des étudiants qui visitaient le Maroc, et qui avait fini les négos pour moi. Je repartais avec ma tortue pour pas grand chose, heureuse.
Le lendemain, la tortue dans un paquet de clopes, le paquet de clopes dans la poche de mon short en jean, je m’apprêtais à rentrer à Paris, quand la douanière m’a demandé ce que j’avais dans la poche. Je lui ai dit que c’était mon paquet de cigarettes, elle m’a demandé de lui donner, l’a ouvert, m’a répondu que c’était une tortue, je lui ai rétorqué que c’était un paquet de cigarettes, elle m’a regardé dans les yeux, m’a dit que c’était une tortue dans un paquet de cigarettes, et a fait un panier de 3 points avec. Direct dans la poubelle.
Fail, mégafail, j’étais hyper triste, je voyais déjà le sourire de ma fille…
Il y a quelques mois, j’étais à Beyrouth pour tatouer, mais ça c’est encore une autre histoire, j’avais pris un jour off, pour marcher dans la ville, quand je me suis mise en tête de retrouver une tortue, pour la ramener à ma fille, qui m’avait réclamé depuis une bonne dizaine de fois un animal de compagnie.
J’ai cherché l’animalerie, l’ai trouvée, ai choisi la plus jolie, la plus mignonne, la plus petite, j’avais trouvé LA tortue. J’envoyais la photo à ma fille, la postais sur Instagram, elle faisait désormais partie de la famille. Et je réfléchissais déjà au retour, l’avion, les douanes…
La veille de mon départ, j’étais allée dans un bar où un ami passait de la musique, un bartender s’était appliqué à m’enivrer en me faisant goûter ses derniers cocktails…
Mon avion était à 6h30, j’avais juste eu le temps de rentrer, finir ma valise, enfiler mon pyjama peau de pêche Hello Kitty et ma grosse fourrure. Restait juste à mettre la tortue dans ma culotte. À l’heure à l’aéroport, encore ivre, j’embarquais izi sur mon vol Turkish Airlines, mon excédent de bagages avait fait diversion au check point.
Une fois dans l’avion, la fatigue et mon état avaient eu raison de moi, je m’étais endormie avant le décollage, jusqu’à ce que je fusse subitement réveillée par une violente envie de vomir.
Je cherchais le sac en papier, j’en trouvais pas, j’alpaguais l’hôtesse, celle-ci m’informait qu’il n’y en avait pas. J’ai vomi devant elle, dans mes mains, le délicieux curry d’agneau que j’avais mangé la veille, pendant que la tortue essayait vigoureusement de sortir de ma culotte à grands coups de griffes.
Arrivée à Istanbul, toujours en ramasse, toujours avec ma tortue, toujours en pyjama Hello Kitty/fourrure d’ours, le vol pour Paris retardé, j’espérais que ma fille prenne soin de la tortue et qu’elle vivrait assez longtemps pour qu’elle la donne à ses enfants. J’arrivais finalement à Paris, heureuse de rentrer à la maison, heureuse d’avoir réussi ma mission, et accessoirement de prendre une douche. Évidemment qu’elle était contente et qu’elle a sauté de joie quand elle a vu la tortue, ma fille.
Il y a deux semaines, un lundi à 7h du mat, je préparais le petit déj et trouvais dans la porte du frigo un petit sac plastique. Je ne me souvenais pas d’y avoir mis « ce reste », j’entrouvrais le sac, c’était la tortue. Elle était morte, ma fille l’avait mise là en attendant de pouvoir aller l’enterrer chez sa grand mère.
Quand on part en voyage on ramène toujours des trucs…