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jeudi, 30 avril 2015

La vérité sur le monde des grands

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Petite, je me répétais souvent “Quand je serai grande…” Le fait d’être gosse me faisait chier, j’étais pressée.

Je voulais m’acheter des chaussures en 39 et ne plus avoir à jeter mes baskets Polly Pocket taille 36, car elles deviendraient un jour trop petites. Les boules. J’étais aussi très impatiente à l’idée d’avoir de la poitrine. Enfin, pas trop quand même, je voulais ressembler à Jane Birkin. Parce que maman la trouvait trop belle. Quelques années plus tard, ma brassière et moi on attend encore, avec un drôle de goût amer en bouche et un air de planche à pain de mie.

Depuis quelques mois, alors que je suis devenue cette grande personne, bien sous tout rapport, cette grande fille qui fait ses courses et qui paye son loyer, je me sens comme flouée. Volée, la gosse. J’ai l’impression, en plus du 36 tonnes qui a visiblement maintenu ma poitrine dans un étau de ferraille depuis toutes ces années, qu’on m’a menti sur toute la ligne.

Parce que petite, une fois remise de la déception es Père Noël, es Petite-Souris, es Cloches de Pâques (un veritable coup de cutter dans le dos), tu as cru comme une conne que tu aurais un appart à 18 ans. Au pire, une colloc avec tes meilleurs potes dans ce qui ressemble à un duplex. Comme moi, toi aussi tu imaginais finir tes études après le bac, avec un dream job en poche. Genre rockstar en tournée partout dans le monde ou grand critique rock. Un truc où tu verrais du pays, de la zic plein les oreilles…

Tu pensais également pouvoir t’empiffrer de tartelettes aux fraises sans que cela n’ait d’incidence sur ta cellulite. D’ailleurs, tu ne savais même pas ce que c’était. Pour toi, la dame de la plage à Saint-Martin en Campagne, avec des drôles de fesse en forme de cratère n’était qu’un incident isolé.

Bref, tu as grandi des années durant, baignant dans l’utopie la plus totale, pensant qu’un de ces quatre matins, tous tes rêves allaient se réaliser d’un simple coup de baguette magique, signifiant que tu étais enfin grande.

Au cours des dernières années, tu as donc mené ta petite barque tranquille en attendant ce moment fatidique où ta vie d’adulte allait commencer. Cette grande vie dont tu avais rêvé, pleine de libertés, d’autonomie, pleine de folies. Comme un con, tu n’as pas vu que la transformation, LA MUTATION était en fait nettement plus insidieuse et qu’elle se faisait en douce, quand tu as le dos tourné; alors que toi tu attendais un grand magicien et sa formule magique ou limite la réception d’un badge dans ta boîte aux lettres avec écrit dessus : “Ann-Flore, grande personne”.

Tu ne t’es donc pas aperçue que tu t’étais mise à payer ton propre abonnement téléphonique. Que tu appelais pour prendre rendez-vous chez le dentiste (parce que tu t’es mise à te soucier de ta santé) et que tu notes la date dans ton agenda, pour ne pas l’oublier. Pire encore : tu fais ta lessive, tu étends ton linge ET TU LE RANGES DANS TON ARMOIRE en te disant qu’il sent super bon. Tu fais aussi tes courses, que tu organises comme il faut dans leur petit sac en plastoc, histoire qu’il casse pas sur la route du retour, te laissant pester dans la rue contre l’humanité entière, ta brosse à dents dans le caniveau et ton tarama roulant jusqu’au poteau, plus bas. Tu es devenue cette personne qui a peur quand les gens parlent “d’impôts” ou de “taxes d’habitation”, parce que tu ne sais toujours pas quand ça tombe et que le bruit court que tu y auras le droit bientôt. Tu es cette personne qui doit poser un congé payé pour partir en week-end avec ses potes.

Mais ce n’est qu’un certain lundi soir, quand tu rentrais peinarde dans tes petites pénates et à la vue des pommes fripées qui peuplent le métro que tu as réalisé tout ça.

Tout à coup, tu t’es rendue compte que tu étais en train de glisser vers cette vie d’adulte qui n’a rien à voir avec les mots “liberté”, “la belle vie”, “la drogue et les putes”. Non, à la place être adulte, ça semble vouloir dire “devenir chiant et fatigué”.

Tout à coup, tu t’es rendue compte qu’on t’avait menti sur toute la putain de ligne et qu’il fallait renoncer, lutter rien qu’un peu avant de rendre le tablier.

À la place et si ça signifie faire un doigt au monde des grands, tu t’es donc promis de rester cette inconsciente, qui le 22 du mois, n’a plus de thunes sur son compte pour manger. Cette gosse qui ne veut pas ranger ses fringues ou qui ne fait pas son lit le matin. Cette personne qui ne fera jamais de petite liste pour faire ses courses et qui oubliera toujours le dentifrice. Tu resteras cette personne qui vit pour le goût du risque, même s’il se résume à aligner 5 réveils le matin. Mes amis, luttons ensemble contre le monde adulte.

Ann-Flore

Ann-Flore est née en 1990 et possède une superbe collection de papillons sous verre. Si cette jeune banlieusarde (qu'il est moche ce mot) rêve de monter une friperie spécialisée dans les années 50 et 70, elle termine pour le moment ses études et navigue entre communication et rédaction. Elle a en plus la gentillesse d'être réactive et rapide, ce qui n'est PAS FRANCHEMENT LE CAS de la majorité d'entre nous.

Lomé Lu

Illustratrice
Lomé Lu a 24 ans et un porte clé doré, souvenir de CHINAGORA. Cette jeune illustratrice (tellement jeune, putain) vit actuellement à mi-temps dans un squat, et est aussi tatoueuse. Demande à Ophélie, qui a dorénavant grâce à Lomé un ptit vélo sur les côtes. En attendant d'avoir une maison avec des passages secrets qui mènent aux rayons des magasins Tang Frères, elle fait de la sérigraphie qui surbute et des petits mickeys (et des GIFS putaain) qu'on aime beaucoup chez Retard. Ha, Jeunesse, comme tu es fascinante. Son site : lome-iench77.tumblr.com