RETARD → Magazine

lundi, 06 février 2017

Larmes de sang

Par
illustration

J’avais proposé il y a plusieurs mois de parler de mes entrailles, et puis j’ai repoussé, j’étais un peu timide, ou plutôt j’avais honte. De parler de mes intérieurs physiques, devant tout le monde, en consultation libre, sur les internets.

C’était plus difficile que je de parler des détours inavouables de la psyché, plus cradingue et inassumable que d’avoir une araignée en haut. Je m’essaie finalement, mais j’ai mal au ventre en écrivant.

Il y plusieurs mois j’ai été éveillée en pleine nuit, en sursaut et en sueurs froides, par une douleur indicible, venue du plus profond de moi : mon utérus. J’avais mes règles. Alors oui, parfois, les règles ça fait mal. Parfois. Quand tout va bien, ca peut tout de même ressembler à un arrêt cardiaque paraît-il.

Pourtant j’avais mal tout le temps, avant et aussi après, dans les reins aussi, avec la nausée et de la fièvre, et je ressemblais à la grenouille à grande bouche avec mon ventre gonflé à exploser. Une douleur que j’ai toujours eue, qui n’a jamais manqué à l’appel, et qui s’est accrue avec le temps. Au point d’avoir la sensation d’un corps plongées dans mes viscères, à fouiller mes organes, à m’écorcher vive.

J’ai toujours serré les dents. Pas le choix de toute façon, tu te vois dire à l’école, au travail : « Là je peux pas rester, j’ai mes règles, je me sens mal, j’ai l’impression qu’on me tue, je vais défaillir » ? Pas possible. Déjà évoquer ses règles en public, et puis s’en plaindre…

J’ai vu le médecin, plusieurs fois. Jamais on ne m’a proposé un examen, questionné en détail (au-delà du « sur une échelle de 1 à 10… »), cherché un antécédent familial. Il n’y avait aucun problème. Mais on m’a prescrit des antidouleurs très forts, à prendre par paire, uniquement sur ordonnance. Puis il fallu changer de paire, malgré une prise en surdose, l’effet escompté n’était plus là. Par contre j’étais malade en les prenant : trouble de la vue, de l’équilibre, nausées, vomissements, incapacité à pleinement penser ou être fonctionnelle dans ces moments là. Une semaine, 10 jours par mois, tous les mois. Ca en fait du temps perdu, une scolarité scarifiée, des journées de travail relevant de la torture.

Par curiosité un jour j’ai fait une recherche. J’ai découvert que les personnes souffrant de migraines ou de mal de dos chroniques jugés incurables prenaient ces mêmes antidouleurs, critiqués pour ces effets indésirables, auxquels s’ajoutaient une forte propension addictive et à long terme des dommages sur des organes, tel l’estomac. J’ai décidé d’arrêter, et de serrer les dents.

Jusqu’à cette nuit-là. Je tremblais, la douleur me donnait envie d’hurler, comme le héros malchanceux d’un slasher à qui l’on arracherait méthodiquement les membres un à un. Mais il était 4h du matin, ça ne se fait pas. J’ai décidé d’aller jusqu’à la salle de bain pour avaler par acquis de consciences ce que je pourrais trouver pour me soulager, et enfiler un tampon au passage. Je me dresse avec peine, et là horreur, j’ai littéralement la sensation que mes fémurs me rentrent dans les ovaires ; je m’effondre.

Le matin, impossible de me rendre sur mon lieu de travail. A partir de ce moment a commencé une douleur permanente aux intestins due au stress. J’ai eu de plus en plus de difficultés à m’alimenter, j’ai perdu beaucoup de poids, j’étais épuisée et sans force, à bout de souffle tant j’essayais en même temps de poursuivre la vie. Puis je ne pouvais plus travailler, étudier correctement, comme il aurait fallu. FIN DU GAME.

J’ai décidé de prendre les choses en main, car au fond, je le sentais, il y avait bien baleine sous gravillon. Ce niveau de douleur ne pouvait être « la normale ». Je me suis renseignée sur internet et j’ai trouvé des femmes qui souffraient aussi, partout. Elles me décrivaient, ou je me retrouvais en leurs mots. Mais j’étais méfiante, je craignais l’effet doctissimo. Pour être sûre ou infirmée, j’ai trouvé dans une liste de gynécologues féministes un médecin, à coté de la maison qui plus est ! La route tourne tournait enfin.

Sans explication, sans sommation, on m’a mise sous pilule et envoyée faire une échographie à l’hôpital : au cas où. Pas de rendez-vous post-écho prévu pour diagnostique, pas d’explication sur la condition qui pourrait être la mienne.

Bien évidemment personne ne me fait avaler une pilule de façon autoritariste et péremptoire. Je me suis donc débarrassée de cette prescription. En revanche je suis allée au rendez-vous de l’Hôtel Dieu. Au moment de l’échographie je découvre/comprends, trop tard, – le besoin de le faire à l’hôpital plutôt qu’au cabinet médical s’éclaircit enfin – qu’il s’agit d’une écho interne (toile de maître explicative : on te rentre la machine DANS l’utérus). Je ne sais pas s’il a compris ma détresse et/ou si le radiologue avait l’habitude ce genre de situation, mais il a fait fermer les portes du lieu à son assistant sommé de se mettre un peu en retrait et a mené à voix haute son examen dans un langage intelligible à moi (pas médical donc).

A 27 ans j’ai donc été informée que je suis atteinte de l’endométriose, et ce depuis des années. Mais « par chance » mon mal, s’il a trouvé refuge dans un recoin très douloureux de mon utérus, est encore relativement circoncis à celui-ci. FÊTE.

Je me suis alors lancée dans pléthore de recherches afin d’identifier une cure, un médecin compétent pour me traiter. Ce fut un moment de sidération : cette maladie dégénérative toucherait jusqu’à 1 femme sur 3 dans le monde et est pourtant considérée comme orpheline puisque la science y est tout bonnement indifférente. Elle est donc de fait incurable. Aucune explication sur son origine à part une incidence génétique, du stress, et des perturbateurs endocriniens (coucou les particules fines, bisou Volkswagen !).

Les incuries de la médecine emmurent donc les femmes atteintes dans des années de souffrance (7 à 9 ans pour un diagnostic) et de stigmatisation, avec à la clé un risque sur la fertilité et dans les cas les plus poussés une prolifération sur d’autres organes et la nécessité d’une opération.

Par chance en osant en parler autour de moi j’ai pu entrer en contact avec un spécialiste – à prix d’or – de la question. Au jour d’aujourd’hui, si j’ai pu m’en sortir, c’est grâce… Je déconne. Il n’y a pas de cure. On refile donc aux patientes un abonnement à une pilule continue jusqu’à la fin des temps – aka la copine ménopause. Comme peut être 30% des femmes sur cette planète, je suis malade, et la seule chose que la médecine, (on ne coupera pas au couplet féministe : la mainmise masculine sur la discipline est-elle étrangère à cet abandon médical ? Vous avez 3 heures), a à me proposer, c’est une contraception chimique que je ne désire pas/j’aurais refusé autrement, mais qui « par bonheur » a comme dommage collatéral d’endiguer mon problème. Je me bourre donc d’une saleté d’hormone qui me refilera surement le cancer plus tard ou la dépression avant, pour ne pas mourir de douleur maintenant. Physiquement je vais mieux, beaucoup mieux, mais je suis révoltée.

Céline

Céline a 24 ans et un appareil photo qu'elle a récemment pété (ou bien il est réparé ? Tu nous dis Céline). Actuellement en fin de cursus de brillantes études politiques, cette amatrice de voyages attirée par le Moyen-Orient nous a proposé à chaque fois des papiers qui nous ont donné des ambitions de Monde Diplomatique (c'est bon on n'est pas connes on SAIT QU'ON N'Y ARRIVERA JAMAIS). On espère qu'elle continuera à remplir notre boite mail parce qu'on apprend toujours des choses avec elle. Prochaine étape : la jeune femme veut visiter le fond des mers. On a hâte de lire ce que ça donnera...MERCI CÉLINE, ON VA MOURIR MOINS BÊTE GRÂCE À TOI.

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com