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lundi, 13 novembre 2017

Le Gaslighting

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Les filles (et les autres), il faut qu’on parle de GASLIGHTING.

Si vous savez déjà ce que c’est en bonne twitter addict ou lectrice de Teen Vogue dans ce cas vous pouvez regarder des vidéos de ‘tichiens pendant les 5 minutes que vous aurait coûté cet article (mais pas de chats, pour une raison que je vous exposerai peut-être un jour).

Pour les autres, je déconne pas, c’est IMPORTANT. Le mot a commencé à bien se populariser aux USA depuis l’élection de Donald Trump (non ce n’est pas un hasard), mais peine à rentrer dans le langage mainstream en France, ce qui est très pénalisant parce que c’est un concept que j’utilise beaucoup et je suis obligée de réexpliquer à chaque fois et FLEMME.

De toute façon vous allez voir, quand vous saurez ce que c’est que le Gaslighting, vous allez en voir partout.

C’est pour ça que les mots sont importants, parce qu’ils permettent d’appréhender les concepts qu’ils recouvrent plus facilement, de les désigner en les nommant, et dans ce cas c’est la première étape pour s’en protéger.

Assez de préliminaires, à ce stade il faut sans doute que je vous donne une définition… L’expression trouve son origine dans la pièce Gas Light (1938) du dramaturge britannique Patrick Hamilton , adaptée au cinéma en 1940 et 1944. La version de 1940 est dispo en intégralité sur youtube, si vous comprenez bien l’anglais. L’histoire est celle d’un mari abusif qui fait sombrer sa femme peu à peu dans la folie, notamment en l’accusant de vols qu’elle n’a pas commis. Exemple : il lui subtilise une broche, lui demande de mettre la dite broche et lorsqu’elle ne la trouve pas il l’engueule, lui fout la honte devant les servantes et lui dit grosso modo que vraiment c’est une femme horrible et qu’elle a bien de la chance qu’il l’ait épousé (alors qu’évidemment c’est un sac à merde qui ne s’intéressait qu’à sa thune pour une sombre histoire de rubis que je vous laisserai découvrir si ça vous intéresse). Ce genre de trucs, fois dix mille, tous les jours. En prenant bien soin d’isoler la personne pour mieux la contrôler (il planque les lettres de son cousin). A chaque fois qu’il fait ses petites manigances en scred, il allume les luminaires au gaz du grenier, ce qui a pour conséquence de tamiser la lumière partout ailleurs dans la maison. Gas Lighting, nous y voilà.

Pour les plus académicien.ne.s d’entre vous qui préfèreraient une version française, je propose le terme d’enfumage, qui quoiqu’imparfait en regard de l’origine du mot a au moins le mérite de traduire l’idée de brouiller les perceptions du réel.

Car le gaslighting va au-delà du simple mensonge. Un mensonge est certes une distorsion du réel mais il ne remet pas en cause la perception que son interlocuteur a de sa propre réalité.

Exemple concret :

A. : « Tu m’as déjà trompé ?

B. : - Mais non voyons bébé je te ferai jamais ça. » = MENSONGE

A. voit B rouler un patin à C

A : « T’as roulé un patin à C franchement t’abuses

B. - Mais non voyons bébé tu dis n’importe quoi, tu hallucines » = GASLIGHTING

C’est un peu caricatural mais vous voyez l’idée.

WIKI viens nous en aide :

Le gaslighting, ou gas-lighting est une forme d’abus mental dans lequel l’information est déformée ou présentée sous un autre jour, omise sélectivement pour favoriser l’abuseur, ou faussée dans le but de faire douter la victime de sa mémoire, de sa perception et de sa santé mentale1,2. Les exemples vont du simple déni par l’abuseur de moments pénibles qu’il a pu faire subir à sa victime, jusqu’à la mise en scène d’événements étranges afin de la désorienter.

Face à du gaslighting, il n’y a pas dix mille solutions : soit ma perception du réel est fausse, soit la perception du réel de ma/mon partenaire est fausse, soit ma/mon partenaire essaie de m’imposer délibérément ou non sa perception du réel.

Ce que je trouve désolant c’est qu’à mes yeux savoir douter de soi, de ses souvenirs, de ses convictions, savoir se remettre en question et écouter les critiques, sortir de soi pour se mettre à la place de l’autre sont des qualités inestimables lorsqu’elles sont exercées avec quelqu’un de confiance qui fait preuve d’empathie en retour, dévastatrices lorsque l’autre nous impose sa vision du réel.

Possible que le monde se divise en deux catégories : celleux qui lorsqu’ielles sont sûrs de leur coup, face à l’opposition vont dire « enfin je crois, il me semble, disons à 60% » et les autres qui, sans trop savoir décident qu’ils vont parier dix balles parce qu’ils ont sans doute raison. En termes de poker, les premiers risquent de se coucher avec une bonne main et les seconds de remporter la mise au bluff. (#TeamJeMeCouche : vous pourriez me faire douter de la date en y mettant suffisamment de conviction, et par date je veux dire l’année.)

A l’échelle intime, ce terme s’applique donc à des relations abusives qui peuvent vous conduire à douter de vous et de votre place dans le monde, à avoir besoin de l’autre pour estimer votre valeur, à remettre en question non seulement votre perception des faits mais aussi vos émotions et vos sentiments. Si tel est le cas, lisez cet article de Rookie, parlez en à des copines sûres ou à un psy et surtout FUYEZ (plus facile à dire qu’à faire je sais bien).

Mais voilà la beauté du gaslighting et de notre époque moderne : nous en sommes collectivement victimes à grande échelle car nos dirigeants ne s’embarrassent plus aujourd’hui du réel.

Bien sûr il y a toujours eu des mensonges d’Etat pour protéger tel ou tel secret ou petites affaires, mais ces mensonges ne coexistaient pas pour le grand public avec la preuve de l’existence de faits contradictoires.

Bien sûr il y a toujours eu des « spin doctors » ces maîtres du marketing chargés de donner un twist positif à une situation de merde, mais c’est moins une négation du réel qu’un gros paquet de fond de teint et un éclairage flatteur.

Le gas lighting, c’est encore une étape au dessus : c’est avoir en même temps sous les yeux l’évidence du réel et s’entendre dire quelque chose de totalement opposé.

Je suis tombée pour la première fois sur ce mot dans cet article superbe de Lauren Duca du 10 décembre 2016* pour Teen Vogue : Donald Trump is Gaslight pour Te *(note de l’auteur : ça ne s’est pas

Contradictions internes, pures inventions, et attaques contre les médias font partie de l’arsenal du politicien gas lighter. Comprenez-moi bien il faut faire ici la différence entre une critique des médias, plutôt saine dans une société démocratique, et une attaque systématique des journalistes et de la sphère médiatique comme un Grand Tout (Regardez bien mes yeux loucher du côté des politiciens français qui sifflotent d’un air dégagé).

Car si être éduqué.e aux médias, savoir identifier la qualité des sources et en croiser plusieurs, pouvoir déterminer ce qui est de l’ordre du fait et ce qui est de l’ordre de l’analyse (analyse forcément d’après un prisme idéologique, ce qui n’est pas forcément un gros mot), faire parler les chiffres… tout ça est essentiel, mais si « les médias » nous mentent, et « les politiques » sont tous pourris, alors rien n’est vrai et toute forme d’engagement devient obsolète (troll culture, nihilisme, south park, etc etc SUJET POUR UN AUTRE JOUR)

Il y a gaslighting à peu près à chaque fois que Trump ou un membre de son administration ouvre la bouche, je vous déconseille le jeu à boire si vous ne voulez pas risquer le coma éthylique.

En France on a pas de pétrole mais nous aussi on a du gaslighting, voyez par exemple le traitement de la question des migrants où le discours qui se pique parfois d’humanisme est en contradiction directe avec les actes et les témoignages des associations sur place (les vidéos du compte twitter TeamMacronPR dont on ne sait toujours pas son niveau d’officialité, sont aussi des exemples hebdomadaires de gaslighting étatique).

Mais alors me direz-vous, que faire pour sauver le Réel, le Vrai et nos santés mentales dans un monde où Raphaël Enthoven a une chronique quotidienne sur une grande radio nationale ?

Quelques conseils non exhaustifs :

  1. Ne sois pas toi-même un.e gaslighter

Le gaslighting est intrinsèquement lié au sexisme et au racisme** que nous devons quotidiennement nous employer à déconstruire en nous-mêmes. Rien de plus courant par exemple qu’un témoignage de violences sexistes, homophobes ou racistes qui rencontre des réactions dénégatrices voire hostiles : on dit à la victime qu’elle est trop sensible et que ses accusations sont très graves, qu’elle est peut être un peu paranoïaque et hop-là victim-blaming, agresseur agressé, l’affaire est dans le sac.

Or si on peut mettre en doute des faits (mais twitter n’étant pas une cour de justice, on peut aussi laisser le bénéfice du doute à la victime ou juste fermer sa gueule) on ne peut certainement pas nier le ressenti d’une personne.

**pour les rapports que les deux entretiennent je vous renvoie notamment aux travaux des afroféministes sur l’intersectionnalité et le blantriarcat (patriarcat blanc). Pour comprendre mieux les réactions hostiles des groupes dominants mis face à leurs privilèges, allez creuser du côté de la White fragility et de l’article sur la fragilité mâle que je n’ai jamais fini pour Retard, ayant été moi même victime d’une forme de gaslighting en mon temps.

  1. Savoir s’informer et le faire

Sans nécessairement s’attacher à suivre l’écume anecdotique de l’actualité en 140 caractères (c’est chronophage et ça n’en vaut pas la peine, croyez moi j’y passe mes journées), il faut toujours être plus exigeant envers soi-même et ne rien lâcher à la paresse (je donne pas de grandes leçons là, j’essaie de vous convaincre autant que moi). Si vous en avez les moyens, ça peut être cool de vous abonner à des publications web ou papier de qualité, sinon il existe de bons sites d’infos sans paywall en anglais. En France il y a des astuces pour passer outre le paywall, le mieux restant de partager des codes d’accès ou d’aller à la bibliothèque. N’oubliez pas les bouquins (d’histoire, de socio) : s’ils sont bons ils ne périment quasiment jamais.

Attachez vous aux faits comme Kate Winslet à son bout de bois dans Titanic, mais soyez plus cools qu’elle et faites en profiter les copains, si-si, y a la place c’est sûr.

  1. Trouver le bon équilibre entre le doute, l’empathie et la confiance en soi.

Tout ceci étant un apprentissage tout au long de la vie j’imagine, mais c’est quand même plus simple quand on est pas entouré.e.s d’enfoiré.e.s.

  1. Savoir quand s’engager et quand dégager.

Chacun.e sa vision du monde et du sens de la vie, dans mes bons jours je pense que c’est s’engager pour plus de justice sociale, mettre ses privilèges au service de ceux qui en ont moins, et être globalement la moins merdique possible.

L’engagement dans le monde est capital, mais pas l’engagement tout le temps avec tout le monde : tant pis si y a des gens avec qui on sera jamais d’accord, tant pis si y a des gens qui pensent qu’on est une grosse merde, illes ne définissent ni ma personne, ni ma réalité, je respire un grand coup et je passe mon chemin.

Je vous dis ça pour votre bien, hein, mais perso j’suis comme ça :

(dessin dans le mail)

Webographie (en plus des liens inclus dans l’article)

http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/Gaslighting

https://www.theguardian.com/science/2017/mar/16/gaslighting-manipulation-reality-coping-mechanisms-trump

https://mental-health-matters.com/denying-racism-and-other-forms-of-gaslighting/

Si vous avez besoin d’une traduction bancale d’un ou plusieurs articles, faites en la demande à la rédaction qui transmettra.