J’ai eu un jour entre les mains, un hors-série de Femme Actuelle, sur l’interprétation des rêves. Il y était écrit que lorsque nous rêvons d’une maison, celle-ci est la représentation de nous-mêmes et de comment nous nous sentons. Le grenier incarnerait nos souvenirs, la chambre notre intimité, etc… Des années plus tard, alors que je faisais une psychanalyse, j’apprenais que le texte du rêve est unique pour chacun. Si tu rêves d’une maison, elle incarnera quelque chose de précis pour toi, un souvenir, une litanie, un mélange anachronique d’événements et d’émotions qui t’ont marqué(e), et ce depuis la petite enfance. Néanmoins, ce symbole du grenier apparenté au berceau de tous nos souvenirs, a du sens. Cela m’a frappée récemment, lorsque j’ai téléchargé mes archives Facebook.
Comme probablement beaucoup d’entre nous, qui avons regardé le reportage d’Envoyé Spécial sur l’association sulfureuse et pas très éthique entre Facebook et Cambridge Analytica, j’ai pris conscience que j’étais profilée depuis des années. Et pas contre mon gré, non, non, chaque jour je nourris un peu plus des algorithmes pour que chaque jour, ils quantifient plus finement sous forme de données, ce que je suis. J’ai voulu quitter Facebook, mais pas messenger car c’est quand même bien pratique, n’est-ce pas? Et comment allais-je faire pour être au parfum si je n’avais plus accès à toutes ces conversations de groupe oú nous organisons nos repas/sorties/séjours/séances de sport/ballades en patins? J’ai donc fermé mon compte Facebook qui a aussitôt été réactivé lorsque je suis allée sur messenger. J’ai capitulé. Pour le moment.
Mais j’ai tout de même voulu aller voir tout ce que Facebook possédait à mon sujet, et aussi ce que le réseau social était en mesure de vendre au plus offrant. L’opération est très simple et rapide. Un dossier composé de sous-dossiers apparaît dans l’ordinateur et c’est parti. Tu redécouvres des années de conversations avec des amis oubliés, toutes les photos et fichiers échangés via messenger, la liste et la date exacte des amis supprimés de ta liste d’amis, les messages vocaux, la liste des annonceurs qui possèdent ton profil, des liens partagés, des emoticones, des mots tendres, et d’autres, plus tranchants… C’était littéralement le grenier de ces huit dernières années de ma vie et c’était aussi terrifiant que fascinant.
Je n’ai pas encore fini de tout parcourir, mais vous devez savoir que même les conversations échangées avec des personnes qui ont quitté Facebook, sont elles aussi archivées. Votre interlocuteur est anonymé et devient « utilisateur de Facebook », mais c’est très facile de reconnaître à qui l’on s’adressait. Cela m’a fait l’effet d’un bond dans le temps, et aussi d’un accès direct à ce grenier qui contient plus de souvenirs que n’importe quelle malle renfermant de vieux albums photos et des lettres reçues, du temps oú les téléphones portables n’existaient pas encore. Je me répète: fascinant et terrifiant. Un réseau social me connaît mieux que personne, et même mieux que moi-même car il est la mémoire qui me fait défaut. Il est comme une sauvegarde faite malgré moi.
J’en ai discuté avec une amie, qui trouvait elle aussi que c’était vertigineux, mais on était comme résignées, à se dire « c’est trop tard de toutes façons, on est fichés de partout ». Moi qui avais l’impression de contrôler ce que je publie sur Facebook, moi qui n’ai jamais indiqué mon vrai nom de famille, je me suis bien fourvoyée.
Toutes ces informations gravées dans le marbre du cyber espace sont-elles les vestiges que les archéologues du futur étudieront ? Je n’en sais rien mais à cet instant, je suis bien emmerdée. Je vais peut-être essayer de me rassurer en faisant l’inventaire de tout ce que Facebook ne sait pas de moi. Je vais aussi m’efforcer de lire davantage et délaisser un peu les écrans. Ce qui se passe dans ma tête lorsque je lis, ces personnages que j’imagine, le détail de leurs traits, la couleur du ciel et l’odeur des maisons, le goût du café et du whisky, le bruit des pas sur la neige, l’air qui entre à travers les vitres de la voiture, tout ceci, jamais Facebook n’y aura accès. Allez, consolons-nous, il nous reste encore un peu de liberté.