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lundi, 04 avril 2016

Le Retard Végétal

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Il y a un an ma sœur a fait un truc extraordinaire. Enfin c’est ce que je pense.

Le 8 mars 2015, Catherine 39 ans, est montée sur scène comme 11 autres femmes pour partager une expérience de vie dans le cadre de la Journée de la Femme à Bordeaux. Un talk de 13 minutes 20 secondes.

Ce jour-là, elle est la dernière à se confronter au public de la Mairie de Bordeaux. Je l’ai regardée en vidéo car elle a préféré y aller seule. C’est mieux pour moi car déjà en vidéo j’avais les poils.

La première respiration avant qu’elle prenne la parole, sa première phrase (‘il y a quelques temps, j’ai écrit une lettre à Dieu’) et la suite, un témoignage personnel, drôle et grave, une mise à nu et un message d’espoir sur la beauté de prendre son temps dans la vie qui m’a mise KO.

‘On’ et le rapport au temps

‘Prendre son temps dans la vie’. Cela paraît banal comme phrase sauf que notre éducation et la société occidentale nous encourage à faire justement le contraire. Enfin le contraire, non soyons juste. ‘On’ (il faudra à un moment donné définir qui sont ces gens qui décident hein) a émis un jour un rétro-planning avec des étapes, des objectifs, des moments de vie que l’on considère comme des réussites. Ce séquençage est un repère, une liste qui engendre des check, une trame officielle qui permet de masquer l’officieux. L’officieux c’est la question que personne ne se pose avant que ça vous pète à la tronche : ‘suis-je heureux’. La brigade de ‘On’ dirait : ‘bah oui t’as fait si, ça et puis t’en est là dans le planning donc t’es on track’.

Talk de Catherine Taret

C’est l’éternelle différence entre la théorie et la pratique. Et c’est ce que Catherine raconte ce 8 mars 2015. Elle est sur les rails, elle fait tout bien, mais elle a du mal à passer les étapes. Pourquoi ?

Parce qu’elle a besoin de plus de temps. Certaines, euh non BEAUCOUP de choses imposent le temps pour être accomplies.

Finalement la trajectoire d’une vie est un chemin dont les étapes sont toutes nécessaires au bonheur. Le problème c’est que ce n’est pas ce qu’ON nous dit. Faire voler en éclat le rapport au temps dans un monde où l’on vit de plus en plus longtemps paraît d’une logique implacable.

Mais il n’y a pas que ça : Catherine parle de la force dont nous devons faire preuve, du courage que nous devons déployer vis à vis de nous-mêmes et des autres pour nous écouter. C’est le turning point. Le message n’est pas toujours d’une clarté absolue donc comment on fait ? On teste, on explore, on se trompe, mais on fait pour soi. Le ‘on’ ne concerne plus que nous et rien que ça c’est un putain de soulagement.

Tous des late bloomers ?

On est finalement tous des late bloomers quand on y pense : devenir médecin. Sauver les baleines. Avoir une fille. Déménager en Italie. Créer son appli. Gagner plein de fric. Avoir une belle caisse. Rencontrer l’homme de sa vie. Devenir styliste. Fine. On veut tout faire, tout faire vite comme on consomme. Il ne tient qu’à nous d’instaurer une respiration, de laisser entrer un peu d’air dans cette capsule qu’est devenue malgré nous notre vie. C’est nous qui pilotons certainement pas les autres. Par sa prise de parole personnelle, le partage de sa propre histoire, Catherine nous encourage juste à enfin prendre le volant de la bagnole (on avait les clés), d’écrire notre histoire sans être angoissés par notre rapport au temps.

Ecrire justement, s’exprimer, mettre en mots. Pour moi c’est l’autre inspiration de ce talk. Quand j’ai commencé à écrire en 2003, c’est venu comme ça mais dans une urgence, une nécessité. Je ne contrôlais pas vraiment la chose mais ce qui était important pour moi c’était de trouver le bon mot. De retranscrire parfaitement une situation, un sentiment par les mots. Trouver le bon mot semble une quête complexe et définitive quand il est inscrit quelque part. Quand il est dit aussi. J’en ai fait mon métier sans qu’il soit prémédité et prévu dans mon rétroplanning. Je caresse l’envie d’écrire un livre. J’ai essayé. J’essaie et j’essaierai encore. Jusqu’au bon moment. Ce sera peut-être dans 40 ans.

Justement les 40 je vais les avoir moi. Je suis quasi dans le même état que Sally quand elle appelle Harry en pleine nuit en chialant parce qu’elle va avoir 40 ans. Il lui fait remarquer que c’est dans 8 ans. Moi c’est dans 1 an. 40 ans. Âge idéal pour devenir Rédactrice en chef de Vogue qu’en pensez-vous ? (si vous répondez oui c’est que vous n’avez rien compris à cet article).

Quand Harry rencontre Sally