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lundi, 03 décembre 2018

LE SPORT A LE POUVOIR DE CHANGER LE MONDE

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Champions du monde. Sur toutes les ondes, sur tous les écrans, on ne parlait que de ça le lendemain. On soulignait la ferveur populaire. On titrait « La France entière célèbre la victoire des Bleus ». Et on se félicitait dans l’hémicycle : « un des rares moments d’unité nationale ! », a déclaré un député. Un autre avait suspendu les séances quelques jours plus tôt, pour la demi-finale, pour des raisons «qui ont trait, naturellement, à l’unité nationale ». Et voilà que dans Retard, des mois plus tard, je lis même que je fais partie d’un : « peuple qui s’est redécouvert uni, [qui a] a vibré et grondé comme un seul être » à l’occasion de la victoire des bleus.

Je ne fais pas partie de ce peuple-là. Derrière ces formules accrocheuses, ne se rassemble qu’une partie de la France. Une France « XY ».

Au soir du 15 juillet, on a vu des footballeursau sommet. On a vu des cols blancs concentrés sur le match et ses enjeux. On a vu des supporters en liesse, sautant et rugissant, à en faire vibrer les sismomètres. On a vu quelques femmes. On a vu la mannequin Natalia Vodianova en présentatrice de télé-achat dorée. On a vu des jeunes femmes en tenue d’hôtesse servir des médailles sur des plateaux, cantinières pour champions du monde. On a vu, même après rappel à l’ordre de la FIFA, des gros plans voyeurs sur des supportrices sexy. On a aussi vu dans la rue des femmes englouties par un déferlement de joie dépassant les limites du correct et du consenti.

Après tout, qu’est-ce qu’elles branlent là ces pétasses, en cette journée dédiées aux couilles ?

Le football, sport genré ? Non.

En 2019, la coupe du monde de football féminin se tiendra en France. D’après le président de la FIFA Gianni Infantino, ce sera « l’une des plus belles coupes du monde féminines ». Malgré une couverture médiatique restreinte, la France est au rang des favoris. Pour cause : nos joueuses se placent troisième dans le classement mondial de la FIFA.

Le slogan choisi pour l’événement : « Osez briller » (« Dare to shine »). Parce qu’il s’agit bien d’oser, dans un domaine dominé par les hommes. Pas seulement sur le terrain. Dans les bars. Dans la rue. Au travail. A la maison.

« Oser briller ». S’exposer. Prétendre que les résultats féminins sont également importants aux résultats masculins. Qu’une victoire n’est pas moins mémorable si ce sont des femmes qui la décrochent, et qu’une défaite n’en est pas moins une déception. Qu’on peut couvrir une coupe du monde de foot en tant que journaliste sportive sans être l’objet d’agressions sexistes. (A-t-on déjà vu Jean-Michel Larqué subir les assauts de supporters en rut ?) Qu’une petite fille peut rêver de devenir footballeuse professionnelle. Que le graal professionnel n’est pas forcément le tailleur-talons hauts.

Les stéréotypes de genre contribuent à maintenir les différences dans le choix des disciplines sportives. Il y a en France environ 160 000 licenciées de football féminin. Un chiffre sans commune mesure avec les 2 millions de licenciés de football masculin. Ce n’est pas le traitement médiatique de la dernière coupe du monde qui va faire naître des vocations. D’autant que, même lorsqu’on « ose briller », la reconnaissance n’est pas au rendez-vous. Officiellement, le statut de footballeuse professionnelle n’existe pas. Etudiantes, employées de mairie ou professeures, les joueuses sélectionnées en équipe de France cumulent les activités. Un peu comme si Antoine Griezman serrait des boulons de 8h à 17h pour avoir le loisir de faire trembler les filets de la Liga. Marta Viera da Silva, sacrée meilleure joueuse du monde cinq fois consécutives, a gagné en 2017 1,17% des 36.5 millions touchés par Neymar au seul titre de ses matchs joués avec le PSG. Pourtant, le parcours n’est pas moins long et les sacrifices personnels tout aussi difficiles.

Le 15 juillet dernier, j’ai vu la présidente croate Kolinda Grabar-Kitarović bousculer le cliché de la femme potiche. « Star de la coupe du monde », elle s’est imposée dans un environnement ultra-masculin, arborant les couleurs de son équipe fière et décomplexée. Nouvelle image de la supportrice. « Le sport a le pouvoir de changer le monde. Il a le pouvoir d’inspirer. Il a le pouvoir d’unifier les gens d’une manière quasi unique », a dit Nelson Mandela en 2000. Dix-huit ans plus tard, la coupe du monde de football féminin est l’occasion de le prouver.

Les billets seront en vente ici.

Roca Balboa

Bricole Gueurle officielle de la Team Retard
Roca Balboa est née en 1990 et aimerait bien réadopter des rats. Amie d'Anna, la première fois qu'on l'a rencontrée on a vu un petit chaton tout mignon. Puis, en mangeant un kebab sur un banc, on a constaté la bouche pleine d'une viande qu'on connaissait pas qu'elle avait la gouaille la plus hardcore qu'on connaisse. Et un putain de talent pour le dessin. SON SITE PERSO : http://rocabalboa.com/