Il est peut-être trop tôt pour écrire quelque chose, je n’ai peut-être aucune légitimité pour le faire et ce que je dirai sera sûrement très banal. Pourtant, parce que Retard est, par essence et pour moi, un journal (presque) intime, je ressens le besoin aujourd’hui d’y déverser le flot d’émotions hybrides qui s’agitent en moi.
J’ai envie de vomir, j’ai envie de pleurer. Je suis en colère, je suis triste et j’ai peur. J’ai peur pour moi, pour les gens que j’aime et ceux que je ne connais pas. J’aimerais pouvoir reprendre mon souffle. Je suis en apnée depuis le 7 janvier.
Dans la vie, il y a des jours qui se ressemblent, emprunts d’une extrême banalité et d’autres où tout bascule. Je n’arrive pas à mettre de mots sur cette sensation d’étrangeté qu’ils créaient. Je me souviens y avoir été confrontée plus jeune, le 11 septembre 2001. Rentrée tôt après un cours d’anglais, je goûte et j’allume la télé, je vois ces tours détruites, des banderoles d’alerte qui défilent sur les chaînes. Je suis émue mais je suis jeune et puis c’est loin l’Amérique. À l’époque, je n’ai pas tout de suite compris que le monde venait de changer.
En 2002, quand Jean-Marie Le Pen est passé au second tour des élections présidentielles, je me souviens avoir écrit des citations de Voltaire au Tipex sur les tables du collège et avoir écouté Saez en boucle… Résignée et impuissante comme une ado de 14 ans.
J’en ai douze de plus à présent. Et je me sens toute aussi impuissante. À la simple indignation adolescente s’ajoute un tas de questions « de grands » auxquelles je ne parviens pas à répondre : comment s’engager ? Que dire à des enfants ? Comment leur transmettre les bonnes valeurs ? Quel avenir pour mon pays et mes concitoyens ? Pourquoi tant de violence ?
Je sens que même mon corps se fatigue sous le poids de l’émoi et de ces interrogations. Au boulot, je n’arrive pas à me concentrer. Comment font ceux qui y parviennent ? Je ne veux pas céder à l’indifférence. Je ne veux pas céder à la peur non plus. Je vais prendre le métro, aller boire des coups avec mes amis, acheter Charlie Hebdo mercredi prochain, aller marcher de Répu à Nation dimanche, je ne vais faire aucun amalgame et comme Eluard, je vais écrire partout le mot « Liberté ».
John Giorno a peint « you got to burn to shine » et je me dis qu’effectivement, comme des étoiles, il serait temps de s’enflammer pour briller, pour former une constellation. Immense, belle et unie.