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vendredi, 20 juin 2014

LES COPAINS, C’EST DANS LA TÊTE

Par
illustration

Je ne me souviens pas de la couleur de tes yeux, ni même de la marque de ton cartable. Pourtant B, tu restes mon meilleur et plus vieil ami. Nous étions inséparables lors des séances de découpage et pose de gommettes, tu venais souvent jouer aux Barbie avec moi. Nous avancions ensemble dans le développement du polyamour de notre jeune héroïne en plastique aux cheveux aussi synthétiques que ceux que l’on trouve à la Goutte d’Or. Tu étais petit garçon et je portais des couettes et des caleçons à fleurs. Je ne me rendais pas compte à quel point tu étais extraordinaire. Il a fallu le regard d’un adulte, ma mère, pour que ton pouvoir soit révélé au grand jour : tu étais imaginaire.

La grande imposture fut dévoilée lors d’un énième retour de journée d’école. Je n’avais alors que 4-5 ans, je parlais une nouvelle fois de toi vantant probablement tes mérites en pâte à sel et notre grande rigolade lors de la séance de gymnastique. Ma mère dit alors « mais B. pourrait venir prendre le goûter à la maison » je lui ai répondu du tac au tac que ce n’était franchement pas la peine de faire des politesses puisqu’il était déjà là, juste à côté de moi. Ma mère eut un petit mouvement de doute (étaient-ce les prémices de mon humour incroyable ? Non) mais comprit à ma frimousse bien sûre d’elle que B. était effectivement là, au pied de l’escalier. Il enlevait peut-être ses chaussures. Nous l’avons alors invité à prendre de suite une tartine de beurre et un petit cacolac, nous n’allions pas rester plantés là à tortiller du cul après tout. J’ai pu alors vivre notre amitié au grand jour, mes frères et sœurs mis au courant, je pouvais te réserver une place à table même si tu n’as jamais été un grand mangeur.

Mais comme dans chaque grande histoire sont apparues des tensions. Mes sœurs disaient avoir passé du temps avec toi. Je rouspétais, nous nous fâchions, je te pardonnais bien évidemment sauf que vint ton dernier tour de passe-passe, ta grande esbroufe ! Tu as grandi sans moi. Un beau matin, ma sœur Marjolaine est partie loin de nous pour faire un bac théâtre (toi en baboss ?). Elle m’a dit que tu partais avec elle, que ça serait mieux pour toi. Comment étais-tu passé de la maternelle au lycée alors que moi je restais toujours aussi petite ? C’était franchement salaud. Tu n’es jamais revenu pour les weekends, jamais pour les vacances, aucune carte. B. tu es aussi ma première séparation.

Quelques années plus tard j’ai su que cette amitié particulière avait alimenté quelques conversations parentales (est-­ce pour cette raison que j’ai eu le droit à mon premier petit chien, un caniche puisque j’avais déjà très bon goût, à l’aube de mes 6 ans et demi ?) sur ma potentielle solitude au milieu d’une famille nombreuse. Notre amitié était ma petite boule de honte sociale. « Quoi un ami imaginaire ? Ben dis donc tu devais vraiment pas être du genre sociable quand t’étais petite…la pitié » ou encore « Trop bizarre, c’est pas courant ».

Premiers rageux avant la rage internet. Rétablissons la vérité, je nous le dois bien. Nous avions construit à deux un bel imaginaire, où ton nom rimait avec Frolic et tes envies étaient aussi les miennes. Nous étions la meilleure histoire d’amitié entre un garçon et une fille même si je serai toujours une petite fille seule sur les photos. B. les psychologues nous l’on dit, ce n’est pas grave, c’est même un plus. Regarde, même Channing Tatum était flanqué d’un poto de tête et ça ne l’a pas empêché de se retrouver les tétons à l’air avec Matthew Mcconaughey.

Lomé Lu

Illustratrice
Lomé Lu a 24 ans et un porte clé doré, souvenir de CHINAGORA. Cette jeune illustratrice (tellement jeune, putain) vit actuellement à mi-temps dans un squat, et est aussi tatoueuse. Demande à Ophélie, qui a dorénavant grâce à Lomé un ptit vélo sur les côtes. En attendant d'avoir une maison avec des passages secrets qui mènent aux rayons des magasins Tang Frères, elle fait de la sérigraphie qui surbute et des petits mickeys (et des GIFS putaain) qu'on aime beaucoup chez Retard. Ha, Jeunesse, comme tu es fascinante. Son site : lome-iench77.tumblr.com