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lundi, 14 janvier 2019

Les stratégies de mise en visibilité sur Internet des féministes et afro-descendantes d’Afrique de l’Ouest

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Les prémices du féminisme en Afrique de l’Ouest

« La période coloniale présente un paradoxe, car elle apparaît d’un côté comme un moment de domination complète sur les sociétés africaines, mais aussi comme un moment d’émancipation relative pour les Africaines ». En effet, pendant cette période, les femmes occupaient la sphère politique et ont refusé toutes formes de dominations à l’arrivée des colons. Ces révoltes sont perçues un peu partout dans certaines régions qui sont des actuels pays de l’Afrique de l’Ouest. Par exemple, au Sénégal, au Nigéria et au Ghana, les reines Ndete Yalla Diop, Amina de Zaria et Yaa Asentewa ont résisté et lutté contre la pénétration soudaine des colons français et britanniques sur leurs terres respectives au 19ème siècle.

Comparée à d’autres civilisations, en Afrique, les femmes occupaient des rôles au même titre que les hommes, sans pour autant être de la même lignée, c’était le cas chez le peuple Igbo au Nigéria. La venue du colonialisme avec le patriarcat a contribué à l’écartement des femmes dans l’espace public sur le plan économique et politique. « La prétention stipulant que la femme devait se soumettre à l’ordre colonial et à son mari lui enlevait tout droit de représentation » Les femmes africaines ont du mené une double lutte contre cette nouvelle forme d’aliénation pour « leur droit politique et leur intérêt publique ».

La naissance du féminisme africain

Après les indépendances de ces anciennes colonies, on observe l’émergence de créations de mouvements des femmes africaines. « Les revendications « féministes » à l’égalité se multiplièrent à partir des années 1980-1985, en Afrique francophone » (Sow, 2012). Ainsi, l’Association des femmes africaines pour la recherche et le développement (Afard) a été créée au Sénégal à Dakar en 1977 pour « décoloniser le féminisme » et l’adapter à un contexte africain a été mise en place par des chercheures africaines et activistes. Plusieurs courants sur un féminisme qui se veut « décolonial » qui prend en compte les problématiques et le contexte africain vont apparaître, comme le Stiwanism de l’acronyme STIWA (Social Transformation Including Women in Africa), le « Womanism » un courant de pensée américain qui se rapproche du “Black Feminism” qui souhaite se détacher d’un féminisme dont les racines sont blanches dominantes, le « Negofeminism » ou encore la féminitude de Calixthe Beyala qui est un mélange entre la négritude, etc.

Perception du féminisme en Afrique de l’Ouest entre méfiance et réticence

Malgré la naissance de ces courants prenant en compte le contexte, la situation et les thématiques liés à l’Afrique, le féminisme demeure une conception purement occidentale pour certains africains, mais aussi pour plusieurs écrivaines africaines comme Ama Ata Aido ou encore Aminata Sow Fall. De plus, dans certaines parties du continent, le féminisme est encore perçu comme “radical qui prêche le rejet de l’homme” et aborder une « égalité absolue » entre l’homme et la femme en Afrique pourrait bousculer cette harmonie. « En Afrique, les problèmes des femmes concernent des enjeux comme la polygamie, le mariage précoce, l’excision, l’infibulation et l’influence des stéréotypes culturels ou des croyances fétichistes sur la condition des femmes, etc. ». Les africaines luttent contre ces pratiques qui infériorise la femme, au travers d’associations qui ont pour objectif d’éduquer et de sensibiliser. Elles emploient une démarche féministe en préconisant « l’extension des droits, du rôle de la femme dans la société » même si elles ne veulent pas être considérées comme telles car le mot « féminisme » renvoie à des connotations négatives.

Les réseaux sociaux et les blogs : de puissants outils pour les féministes et afro-descendantes d’Afrique de l’Ouest

À l’heure du numérique, les militantes féministes d’Afrique de l’Ouest investissent les espaces en ligne pour revendiquer le féminisme. Les réseaux sociaux et les blogs deviennent dans ce sens de véritables outils d’émancipation permettant une visibilité inédite dans un contexte social peu porteur. Ces nouveaux moyens d’expression ont changé les modes d’actions des féministes. Les militantes utilisent les réseaux sociaux comme un canal pour continuer leur lutte, le cas du mouvement #Metoo est un bon exempl

  • La reprise du mouvement Me Too en Afrique de l’Ouest au Sénégal

Le mouvement Me Too est né, il y a 11 ans à New York sous l’initiative de l’afro américaine et activiste féministe Tarana Burke pour lutter contre les agressions sexuelles et soutenir les victimes. En octobre dernier, la dénonciation du scandale sur le harcèlement sexuel avec les mouvements « #Meetoo » au Etats Unis ou « #Balance ton porc » en France ont fait un boom sur les réseaux sociaux. Des plaintes, des témoignages ont surgit dans pratiquement tous les pays, avec des hashtags en différentes langues. Cette mobilisation montre que le harcèlement subi par les femmes n’est pas qu’un simple constat, un problème minime et met en exergue l’impact considérable des réseaux sociaux dans notre société. En Afrique de l’Ouest, l’hashtag « #Metoo » a bel et bien aussi été repris précisément au Sénégal. En effet, Des hashtags #Touchepasàmoncorps pour lutter contre l’excision et soutenir les victimes de mutilation sexuelle, #Nopiwouma (« je ne me tais pas ») et «#BalanceTonSaïSaï » (« balance ton pervers »), pour dénoncer le viol.

  • « LesRobeuses » : Rebelles heureuses / Bal Poussière

« LesRobeuses » est une page Facebook créé à l’occasion de la journée internationale des droits de la femme le 8 mars 2017, tenue par des féministes africaines originaires de la Côte d’Ivoire. « LesRobeuses » poste les témoignages d’internautes sur le sexisme en reprenant le style du mouvement #Metoo et partage également des articles en rapport avec le féminisme, des faits d’actualité concernant les femmes africaines mais aussi celle du monde entier. Ainsi, le 8 mars dernier, des chiffres récents ont été mis en évidence sur la déscolarisation, l’excision des petites filles en Côte d’Ivoire. On remarque que le mot « féminisme » est utilisé de manière mais en le remplaçant par « LesRobeuses », une manière de ne pas choquer l’opinion publique.

  • « Afrofeminista » : l’impact de la femme noire dans les sociétés africaines et diasporiques contemporaines

Le blog « Afrofeminista » d’Aichatou Ouattara originaire du Sénégal et de la Côte d’Ivoire, existe depuis 2014. Son blog a pour objectif de parler de « l’actualité des femmes d’Afrique et de la diaspora, (re) valoriser son image en mettant en valeur les portraits de femmes noires ». Sur ce blog, on remarque plusieurs types de publications d’articles concernant l’éducation, la découverte, la sensibilisation, des avis sur des faits d’actualités tous liés au féminisme en rapport avec les femmes africaines ou les afro descendantes. Comme le souligne Aichatou, lors de notre entretien, réalisé le 3 septembre 2018 « Je veux briser les clichés comme quoi les femmes africaines ont besoin qu’on les aide, elles sont des victimes dans leur société. Je veux montrer qu’elles sont capables de trouver des solutions de trouver et d’avoir des armes pour changer la société et que ce n’est pas nouveau, cela a toujours existé. Maintenant elles sont sur les réseaux sociaux mais avant elles descendaient dans la rue, elles ont mené des actions pour changer l’image de la femme africaine ».

  • « Cequejaidanslatete » : Ndèye Fatou Kane, féministe et passionnée de littérature africaine

Féministe, écrivain et amatrice de lecture, Ndèye Fatou Kane tient le blog « cequejaidanslatete » existe depuis 2010 où elle donne son avis sur des livres qu’elle a déjà lu et les recommande concernant le féminisme ou autre. Lorsque le mouvement #Metoo s’est exporté à travers le monde, la blogueuse également active sur les réseaux sociaux n’a pas hésité à lancer l’hashtag « #BalanceTonSaïSaï. A la question de savoir comment le féminisme est perçu en Afrique, elle prend l’exemple sur le pays dont elle est originaire, « Le Sénégal a eu une pluralité de femmes qui se sont battues et se sont imposées, raison pour laquelle on les considère comme pionnières dans les questions touchant au féminisme ». Son dernier livre « Vous avez dit féministe » incorpore les thèses de quatre femmes de lettres que sont Chimamanda Adichie, Simone de Beauvoir, Awa Thiam et Mariama Bâ, pour finir par une appréciation personnelle.

Les impacts et retombées des stratégies de mise en visibilité des afro-descendantes féministes et féministes africaines

Les afro-descendantes féministes et féministes africaines ont mis en place plusieurs stratégies sur les réseaux sociaux /blogs pour sortir de l’invisibilité et parler du féminisme en Afrique, dans un contexte où celui-ci est mal perçu ou peu compris. Elles procèdent par l’éducation avec le partage et la recommandation de livre sur le féminisme, par le partage d’expériences avec des témoignages pour dénoncer le harcèlement, le sexisme sont repris sous forme de visuels comme des hashtags à l’image de #Meetoo, la diffusion de contenus féministes avec des partages de vidéos. La subtilité concernant le mot « féminisme » en utilisant une autre appellation pour parler de féminisme pour ne pas choquer, des sujets de réflexions et des histoires ignorées sur la femme noire africaine sont aussi mis en avant pour informer l’internaute. Elles bénéficient désormais d’une médiatisation numérique mais aussi au-delà, certaines d’entre elles ont pu s’exprimer en dehors des réseaux sociaux et ont été reprises dans la presse, invitées à des plateaux télés et même à la radio tels qu’Elle Côte d’Ivoire, la radio RFI, Le Monde Afrique, France Info, des blogs, des invitations à des conférences pour échanger et discuter avec d’autres féministes pour parler de féminisme. Ayant une communauté aussi minime soit-t-elle ou importante, les féministes africaines s’emparent des réseaux sociaux, des blogs ou tous types de plateformes numériques pour parler du féminisme. Ils jouent un rôle majeur dans la revendication et la lutte pour l’émancipation des femmes africaines

Tiré de :

Les stratégies de mise en visibilité sur Internet des féministes et afro-descendantes d’Afrique de l’Ouest
Par : Kiphon Alexandra Koffi
2017 – 2018 Master 2 Influence Lobbying et Médias Sociaux
Université Paris-Est-Marne-la-Vallée

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com