RETARD → Magazine

jeudi, 07 septembre 2017

Lettre d’amour à mon chat

Par
illustration

Mon chat,

À l’heure où je t’écris ces quelques lignes, tu grattes avec fureur le fond de ta litière, dans le vague espoir de recouvrir tes excréments. J’ai lu sur les Internets que c’est une technique ancestrale pour cacher ton odeur et éviter d’être repérée par tes ennemis. Habile. Un fumet pas super délicat flotte jusqu’à mes narines. Et si on m’avait juré il y a quelques années que je t’écrirais cette lettre d’amour, la phobique des félins aurait ri très fort.

Je t’ai adoptée il y a 4 mois. Je revois encore ta bouille grise et blanche sur l’annonce, aux photos mal cadrées et pas très flatteuses. “Ma famille d’accueil dit que j’ai tout le temps des choses à dire mais bon… il faut avoir des opinions dans la vie !” La phrase qui m’a fait fondre dans ta description écrite à la première personne (Un grand classique des annonces pour animaux, et je n’arrive toujours pas à savoir si c’est ultra mignon ou très creepy).

5 jours plus tard, me voici armée d’une caisse de transport vert menthe, direction l’appartement du couple qui te garde jusqu’à adoption. Leur studio sent fort l’urine de chaton, et je me promets que le mien ne sentira jamais aussi mauvais. La représentante de l’association, une Finlandaise joviale exilée à Paris depuis une vingtaine d’années, me noie sous les conseils et directives avec un léger accent exotique. “Il fffaut lui ffffaire un rrrappel de vaccin, et la ffffaire stérrrriliser, c’est obligatoirrrre. On va aussi la vermiffuger tout à l’heurrrre, et il faudrrra le refairrre dans un mois. Fffffaites en sorrrrte qu’elle aie des crrrroquettes en continu, mais veillez à ce qu’elle ne prrrrenne pas trrrrop de poids”. Je galère à tout enregistrer. J’ai l’impression d’adopter un vrai enfant, et je commence à prendre conscience de l’ampleur de la tâche.

La jeune bénévole te parle en finnois, ce qui me perturbe beaucoup. “Est-ce qu’elle va comprendre quand je lui parlerai en français ? Mais… est-ce que les chats comprennent quand on leur parle, de toute façon ?” Je garde ces interrogations pour moi. En grosse lâche, je laisse les deux femmes prendre la situation en main. Elles t’administrent ton cachet de vermifuge (pour éviter les vers et autres réjouissances glamour), et te mettent dans ta cage de transport. Tu hurles, te débats, griffe le sol en passant tes pattes à travers le grillage. J’ai l’impression de commettre un crime. Tremblante, je saisis la poignée de la caisse, et te soulève. Après quelques pas dehors, tu ne bronches plus. Je te mets à hauteur de mon visage, te murmure que tout ira bien. Mais je n’en suis pas si sûre.

Une fois à la maison, je te pose dans le salon. J’ouvre la grille, et attends. Dans mon scénario idéal à la Klapisch, tu sortirais sans hésitation pour te frotter contre moi, avec une sérénade de ronronnements. Tu m’adopterais sans efforts. À la place, tu me lances un regard mi-intrigué, mi-bravache. Tu finis par te planquer sous le canapé pendant presque 4 heures. Je me sens légèrement vexée. Seul un jeu de plumeau acharné a raison de ta timidité, et de la mienne.

La rencontre est d’autant plus hasardeuse que je n’ai jamais eu de chat. Dans ma famille, on est plutôt #teamchien. Ado, j’étais terrifiée par les chats de ma meilleure amie, et je détestais quand ils nous grimpaient dessus pendant la nuit. Les chats me paraissaient imprévisibles, mesquins, pas fiables. Juste bons à faire de nous, pauvres humains, des esclaves volontaires.

Qu’est-ce qui m’a poussée à sauter le pas ? De manière très caricaturale : un coeur brisé. Fin 2016, je viens de vivre une année éprouvante et j’ai vraiment besoin de réconfort. Mieux : il me faut un projet, quelque chose de positif sur lequel me concentrer. “Je veux un chat”, voilà ce que je me suis dit. Si je suis parfaitement honnête, je sais qu’au fond de moi, j’aurais préféré un chien. Mais entre les concerts et les sorties entre potes, difficile d’avoir le temps de sortir la bête trois fois par jour. Un chat demande “juste” de l’amour, des croquettes, et une litière propre. Ça semblait être dans mes cordes.

Pourtant, le soir de ton adoption, je ne me sens pas à la hauteur. Ma colocataire se montre moins farouche que moi. Elle n’hésite pas à te prendre dans ses bras, à t’embrasser. Je m’assois par terre, et te regarde. Je suis d’un coup prise de ce que j’ai plus tard nommé le “kitten blues”, et que plusieurs potes ont aussi expérimenté. “Je ne vais jamais réussir à bien m’occuper d’elle. Elle ne m’aimera jamais. Elle va être avec moi, quoi, 15 ans ? C’est énorme ! Trop ! Je sais à peine m’occuper de moi, bordel ! Et si un jour elle me griffe l’oeil et que je le perds (Histoire véridique arrivée à une connaissance de mes parents) ? Dans quoi je me suis foutue ?” En cet instant précis de panique, tu te frottes contre moi et me lèche la main pour la première fois. Suffisant pour que je me ressaisisse.

Les semaines suivantes, je sacrifie mes heures de sommeil et ma vie sociale pour passer le plus de temps possible avec toi. Je laisse un plaid très laid sur mon lit parce que tu l’adores. Je culpabilise quand tu es seule à la maison alors que je m’amuse en soirée #mèrejuive. Je t’interdis l’accès à la cuisine, de peur que tu te coinces derrière le four. Je m’habitue à ce que tu ouvres la porte des toilettes alors que je lis un magazine, la culotte aux chevilles. Je te répète des milliers de fois de ne pas faire tes griffes sur le fauteuil de ma coloc, mais tu n’en as rien à cirer.

Car, bien sûr, tout n’est pas rose. Ces derniers temps, tu viens gratter et miauler à ma porte très (trop) tôt le matin, pour t’assurer que je n’ai pas disparu. Un réflexe tout aussi irritant que mignon. Deux jours après ton arrivée, tu as choppé une vilaine conjonctivite nommée coryza, qui peut rendre aveugle si elle n’est pas traitée à temps. Quand le véto m’a dit qu’il “suffisait de mettre des gouttes et de la crème dans les yeux deux fois par jour pendant une semaine”, j’étais livide. Mes bras y ont laissé des bouts de peau. Durant les deux jours après ta stérilisation, tu as arrosé trois fois le canapé. Et ma soeur, dont tu as failli ruiner le pull. Ton premier objet cassé ? Le cadeau de Saint-Valentin de ma coloc. Tu refuses toujours de rentrer dans ton sac de voyage, au point qu’on a failli louper le train le mois dernier. Tu te marches sur le clavier de mon ordinateur quand j’essaie de travailler. Sans parler des poils que tu sèmes sur tous mes vêtements. Tu essaies de bouffer tout ce qui te passe sous le museau. Tu déplaces les affaires planquées sous mon lit, fais tomber les montres et pièces de monnaie par terre. Tu te glisses dans ma housse de couette le matin, m’obligeant à me lever pour t’en sortir. Tu n’aimes rien tant que cavaler dans tout l’appart après minuit, et renverser le fauteuil du salon. Je n’en voudrais pas aux voisins du dessous d’appeler les flics.

Mais je t’aime, mon chat. Je t’aime parce que tu es ma première vraie responsabilité d’adulte, si on omet le trio de l’enfer loyer/factures/impôts. Tu m’apportes bien plus d’amour que d’emmerdes. Tu m’as appris la beauté d’un langage universel, celui entre un chat et son humain. D’ailleurs, tu roucoules plus que tu ne miaules, au point que je te surnomme “La Castafiore” et “Rossignol”. Surtout, tu me fais grandir. Avec toi, je prends conscience que je suis capable de m’occuper d’un petit être vivant. Que je ne suis pas qu’une humaine égoïste. Que je peux dépasser mes peurs. Et ça, ça vaut tous les réveils à 5h du matin du monde.