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mercredi, 12 juillet 2017

Lilith Fair : Argent, Pouvoir et Guitare Folk

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“Lilith était parfaite, la première féministe au monde. C’était la première femme d’Adam, qui voulait être traitée comme son égale. Quand Adam a refusé de la traiter en égale, elle lui a dit d’aller se faire foutre et elle est partie.”
On pourra dire ce qu’on veut mais Sarah McLachlan avait le sens de la formule.

Nous sommes en 1997 et les femmes se payent laryngite sur laryngite à force d’alterner clopes et gueulantes. Depuis le début de la décennie, nous sommes au pays de la chatte. Courtney Love te crache à la gueule, Shirley Manson roule des yeux et Gwen Stefani te prend pour un con.

C’est aussi l’époque où les femmes, malgré la thune qu’elles font rentrer dans les caisses, se retrouvent à devoir quémander une place de festival ou un petit passage radio. Bien sûr, ça baisse les yeux devant Madonna (et encore…) mais dans l’ensemble, être une femme dans les hautes sphères reste une chose complexe.

C’est dans ce climat qu’émerge le Lilith Fair, festival 100% féminin qui pue bien le patchouli et les huiles essentielles. Étalée sur deux mois, l’événement se voulait le pendant du Lollapalooza de Perry Farrell, où seules quelques nanas triées sur le volet se voyaient la permission d’y jouer.

Avec ses trente-deux dates, le Lilith Fair devient l’événement majeur de l’été: salles et stades de dix à trente mille personnes complets des jours à l’avance, couverture médiatique de compét, on sort même un site internet pour l’occaz, une première. De quoi coller les glandes aux mecs d’en face, d’autant plus que la tête d’affiche du Lolla à ce moment là n’est autre que Prodigy.

Faut dire que les Américains ont toujours bien aimé la formule des concerts en plein air. On peut citer comme ça l’emblématique Monterey Pop Festival et le bien évidemment cultissime Woodstock, comme prémices aux rendez-vous musicaux saupoudrés d’amour et de coke (pour la déconne, on dit souvent que si tu te souviens du de la première édition, c’est que tu n’y étais pas). Tous ces festivals s’étendaient sur plusieurs jours, et sur un même lieu.

Du côté des femmes, nous trouvions déjà un ancêtre au Lilith Fair, dans la catégorie country. C’était le Michigan Women’s, archi focus sur les politiques LGBT et l’empowerment, qui rendaient bien évidemment la confusion avec les autres festivals mainstream plutôt difficile.

Les choses prennent une tournure différente en 91 avec l’avènement du Lollapalooza, qui cette fois-ci, décide d’exporter le concept à travers les USA et non plus sur un seul lieu donné. En parallèle, d’autres projets voient le jour, à commencer par HORDE, et au Canada, Another Roadside Attraction.

La réputation de ces tours se mesure généralement à l’agressivité des fans mais aussi à la quasi absence des femmes sur scène, hormis Hole et Sinead O’Connor, les cautions démocratiques du truc (Sheryl Crow se chargera d’être le +1 de l’Another Roadside Attraction tandis que pour HORDE, on ira pêcher Natalie Merchant pour montrer que si, on aime bien quand même les femmes dans la musique, mais toujours dans la mesure).

Paradoxale de la part des organisateurs de bourrer les affiches avec des hommes quand on sait que ce sont les femmes qui remplissent le haut des charts et les poches des majors bedonnantes. Rolling Stone ira même de sa petite couv dans un numéro spécial sobrement intitulé «Women In Rock», comme on donne à os à ronger à un clébard, ce qui fera d’ailleurs bien marrer certaines musicos, Lucious Jackson en tête.

Dès lors, on peu se demander pourquoi les femmes ne peuvaient pas être récompensées pour leur travail? Pourquoi si peu de considération à leur égard? Pourquoi leur refuser une place de choix alors qu’elles font bouillir la marmite à biftons?

À l’époque, les excuses étaient déjà bidons, comme vous pouvez vous en douter. La patronisation de certains journaleux jouaient pour beaucoup. Ainsi, les critiques étaient partisans de faire le boulot par dessus la jambe quand il s’agissait de causer «musique de meufs», mettant une étiquette similaire sur tout ce qui était made in vagina. Suzanne Vega ou L7 déploraient cette manie qui consistait à mettre toutes les femmes dans le même sac, sans chercher à les intégrer au genre qui leur étaient dévoués, préférant le dorénavant célèbre générique «Women’s Music».

Par ricochet, les femmes étaient dès lors mise dans une sorte de concurrence qui n’étaient pas naturelles: pour prendre l’exemple de la radio, le quotas de femmes sur les rotations empêchaient d’intégrer plusieurs noms. Quel que soit le style, si Alanis, Tori ou Sarah étaient déjà présentes, c’était mort pour ta gueule, même si tu t’appelais Björk. L’assomption derrière cet argument bien évidemment débile était que toutes les femmes occupant le même espace dans la musique, il n’était pas nécessaire d’en porter mille à l’écoute.

Cet argument de crétin se retrouve aussi du côté des majors. Victoria Williams se rappelle avoir fait parvenir une démo à EMI qui s’empressa de lui rétorquer que le paysage musical n’avait pas besoin d’elle, car il y avait déjà Kate Bush. Même son de cloche du côté des organisateurs de concerts. Le cas d’école le plus célèbre est le fameux épisode où Sarah McLachlan souhaitait inviter Paula Cole pour les premières parties de sa tournée Fumbling Towards Ecstasy Tour, alors que les organisateurs étaient plus que réticent à l’idée: «Oublie ça, ça ne marchera jamais». Sarah, pas du genre à se démonter, insiste LOURDEMENT pour connaître les raisons de cet échec latent. Les mecs finissent par dégueuler le fond de leur pensée: personne ne veut voir deux femmes en une soirée.

La guerre est lancée.

McLachlan finit bien évidemment par obtenir ce qu’elle veut mais cet épisode la marque profondément. Étant une vieille roublarde du milieu (elle a commencé à l’adolescence), elle s’interroge peu à peu sur la place des femmes dans l’industrie musicale. Elle songe entre deux concerts à un festival entièrement féminin, sans trop y placer du sérieux. «Girliepalooza» est une idée en l’air. Mais une idée qui fera son chemin.

Alors que McLachlan n’est pas très inspirée pour la composition de son nouvel album, elle décide de se relancer sur les routes: c’est là que naitra une première version du Lilith Fair. On y trouve Patti Smith, Aimée Mann, Suzanne Vega, Lisa Loeb et Sarah. Ces quatre shows lui donnent l’assurance de faire quelque chose de plus grand.

Mais comme tu te doutes, l’affaire ne va pas être aussi simple. Déjà parce que un concert avec deux nanas, c’est tendu pour certains fragiles, mais une trentaine, n’y pense même pas. Convaincre les organisateurs étaient une chose, convaincre le public et la presse, encore une autre. Neneh Cherry, Erykah Badu et Liz Phair, déjà prises par leurs propres projets, déclinent l’invitation. Mais d’autres noms ne tardent pas à donner leur accord, obligeant le rajout de scènes supplémentaires devant un line up devenant de plus en plus conséquent.

Le projet prenant de l’ampleur, les gens du business ne tardent donc pas à rappliquer histoire de voir comment ils pouvaient participer. Vu l’engouement du truc, chacun veut poser sa patte mais McLachlan, pas née de la dernière pluie, met un stop vite fait à tout ce beau monde: tu veux donner? Ok, mais ce sera pour des œuvres de charité. Autre obligation de poids: inspecter les entreprises voulant se lancer jusqu’au tréfonds de leur slip histoire de bien s’assurer que tout est clean: «pas de travail d’enfants, pas de tests sur les animaux».

Comme tout événement de ce type aux relents philanthropiques, les journalistes sont restés quelque peu septiques. La conférence de presse s’est déroulée dans une ambiance étrange, car personne ne savait vraiment quoi poser comme question, quand on ne craignait pas qu’un mauvais esprit mette sur le tapis des histoires de rouge à lèvres ou de cycles menstruels partagés.

Dans l’ensemble, la presse joue malgré tout le jeu. Jewel fait la couv du Times US tandis que Sarah se charge de la version canadienne. Une grosse pub afin de bien faire imprimer dans certains esprits que ce festival n’était pas le Sarah McLachlan Show mais bel et bien une association de plusieurs artistes.

Mais la confiance de cet argumentaire est mis à mal par plusieurs journalistes dès le démarrage, à commencer par Lorraine Ali, pour le Rolling Stone, qui dépeint un lieu où la communauté artistique tant célébrée a du mal à émerger. Backstage, Valérie Leulliot, d’Autour de Lucie, seul groupe français à avoir eu la primeur d’une place au sein du Lilith Fair, confirmera à demi-mot les difficultés d’entente pouvant régner sur le festival: « Bien qu’elles disent toutes ne sentir aucune rivalité, il n’y en a pas deux qui se parlent dans les loges. Paula Cole a déclaré forfait aujourd’hui parce que Joan Osborne jouait. Elles ne pouvaient pas être à la même affiche parce qu’elles se détestent. Elles ont chacune un ego énorme.”

Du côté du magazine web Salon, Sarah Vowell ne ménage pas non plus le concept, traitant les participantes de petites mignonnes gentillettes pas franchement malignes, et quelque peu ridicules avec leur petit club rose bonbon à laquelle le panneau «hommes interdits» a été rajouté à la porte.

Même si McLachlan insiste sur le fait de ne pas exclure les hommes (on retrouve ainsi, ironie de la chose, plus de musiciens sur scène que de musiciennes), le public, lui est définitivement composé à 80% de femmes (les 20% restants étant soit des pères de famille venus accompagner les gamines, soit des petits amis traînés de force, soit des mecs visiblement suicidaires). Des filles partout, donc, et de tout genre, de la petite godiche estampillée clueless à la nana casual look de chez Gap. Un public bien normcore comme la décennie a su en fabriquer: le fémininement correcte.

La faute sans doute à tout le tra la la du sisterhood, les filles qui s’autocongratulent et se mettent des pâquerettes dans les cheveux. Les nanas sont plutôt langue de bois dans l’ensemble, ne soyons pas naïfs. Victoria Williams, alors atteinte de sclérose en plaque, sort le laïus pré mâché: «Toutes les filles sont vraiment très mignonnes, très gentilles entre elles. Il y a comme une espèce d’entraide entre nous. D’habitude, personne ne pense jamais à aller m’acheter des produits spéciaux en pharmacie, mais ici ils l’ont fait, ils font attention aux artistes

Tu vois le genre?

On l’aura compris, ce festival n’était pas toujours des plus finauds mais n’était pas dénué d’intérêt pour autant. En plus d’offrir une tribune à ces artistes brimées dans leur art et leur créativité, il a permis l’émergence de la notion de role model et a ecnouragé les femmes à prendre leur guitare. Le Lilith Fair, vu comme une machine à fric entre copines par toujours si copines que ça a pourtant eu le mérite de mettre sur la table ce concept et d’en montrer l’importance au sein d’une décennie qui en fera son fer de lance: aider les filles à grandir en sachant qu’elles ont le droit d’exploiter leur propre créativité sans pour autant chercher à dépasser leurs propres idoles, au risque d’échouer. Une recherche de sa propre vérité et non pas de l’idôlatrie premier degré:«J’avais l’impression d’être une imposture, parce que je croyais ne pas être une vraie chanteuse, une vraie musicienne. Je suis toujours anxieuse, j’ai toujours peur de ma situation, j’ai toujours l’impression de ne pas avoir suivi assez de leçons de piano, de ne pas savoir lire la musique correctement», explique Fiona Apple. Un sentiment complexe d’illégitimité et de manque de confiance qu’il fallait apprendre à apprivoiser pour réussir à avancer.

Pour beaucoup, ce «Women In Rock» n’était vu que comme un ramassis de petites idiotes inoffensives, chantant leurs chansonnettes doucereuses inventées pour les jeunes cadres dynamiques trentenaires américains achetant du cd. Un genre relégué à un simple courant pour faire rentrer de l’argent en offrant un leurre de qualité tout à fait discutable pour certains. Quand on évoque d’ailleurs McLachlan, on pense à une chanteuse fadasse, copine des baleines et qui fait gouzi-gouzi aux oiseaux. Une musique facile, soporifique ou sans intérêt, avec des thémtiques dont tout le monde se fout.

Du côté de la chanteuse d’Autour de Lucie, la description de McLachlan est tout aussi indolore que le personnage que l’on veut mettre en exergue: «Sarah McLachlan, elle aussi, est très gentille, mais elle est carrée, il n’y a rien qui dépasse, elle dit exactement tout ce qu’il faut dire pendant le concert, elle est parfaite. C’est une grosse machine, puissante. Tous les soirs, elle chante en dernier, elle dort dans son bus, elle parle à tout le monde parce que c’est quand même elle qui organise, elle fait des conférences de presse, adorable, toujours super-souriante. On n’a pas l’impression qu’il y a un moment où ça ne va pas, elle n’a pas une faiblesse, on ne l’a pas vue faire la gueule une seule fois. Elle est presque pas humaine.»

Et pourtant… Sourire carnassier derrière ses lunettes noires, ne prenant même pas la peine de les enlever pour te dire qu’elle t’emmerde bien profond, alors qu’elle te caresse bien tendrement les cheveux. La réussite de Monsieur Dollar et l’envie d’avoir aussi sa part du gâteau. Peut-on vraiment blâmer l’acte quand des hommes ne se gênent pas pour toucher les retombées? McLachlan m’a enseignée une chose: la froideur n’est qu’une autre manifestation de la colère, et elle est toute aussi dangereuse qu’un hurlement.

Chanter sur ses faiblesses, c’est aussi ce que l’on peut résumer de ce fameux Woman in rock. Chanter ses faiblesses pour mieux montrer sa force. Se mettre à nue est sans doute la pire violence qui soit, surtout venant de la part d’une femme, où la retenue est de mise s’il on ne souhaite pas passer pour une hystérique. Étonnamment, l’art permet l’épanchement masculin, il est même fortement souhaité, mais pour une femme, il s’agirait presque d’une transgression ultime, qu’il faut éviter à tout prix. Éviter que ça déborde, toujours cette histoire de contenir, depuis la nuit des temps.

La célébration masculine, sous ses airs de fangboying suant, est pourtant admise. Nous devons subir à longueur de temps les élucubrations de mecs pour la plupart du temps médiocres s’autoproclamer génie, réaliser des tours pour amuser le populo, casser de la guitare, baiser tout ce qui passe, se prendre pour le roi du monde etc etc etc mais la plupart des artistes femmes présentées sur le Lilith Fair étaient raillées alors qu’elles étaient pour neuf cas sur dix des auteures-compositrices. Certaines étaient même plutôt douées dans leur domaine. Au hasard Sheryl Crow, qui n’a pas fait que coucher avec Eric Clapton, merci pour elle.

Étaient-elles toutes intéressantes, peut-être pas. Mais les mecs d’en face, étaient-ils forcément mieux? Tout ça parce qu’ils tapaient plus fort, criaient plus fort? Pourquoi ne pas vouloir donner les mêmes armes aux femmes? Les mêmes chances? Les mêmes pouvoirs? Est-ce que le sentiment masculin serait plus valide que le sentiment féminin? Est-ce là tout le crédit qu’on donne au talent?

Il est vrai que le Lilith Fair représente, rétroactivement, un ghetto musical problématique et a sans doute contribué à l’effacement progressif des femmes dans le rock, les années 90 ayant été une manne assez importante, tandis que les années 2000 ont vu peu d’artistes féminines reprendre le flambeau et tirer son épingle du jeu. Cela s’explique principalement par la création de plusieurs radios exclusivement féminines. Par effet miroir, les stations alternatives, où certes les femmes étaient peu représentées mais malgré tout présentes, ont littéralement évacuées le peu de personnalités restantes pouvant se permettre le luxe d’exister dans un univers d’hommes. Ces petites stations de radio, de par leur écoute faible, ne pouvaient tenir la route face aux mastodontes de la promotion.

Cette émulsion musicale féminine s’est également tarie avec l’expression générique «Women In Rock», montrant les limites de l’exercice. Créer un espace exclusivement féminin a ironiquement renforcé la césure entre chaque artiste femme. En rangeant toutes les artistes sur la même étagère, elles ont repris le flambeau masculin qui empêche de faire un travail de classification certes chiant, mais nécessaire. Car peut-être est-ce là que ce trouve notre planche de salut. Cette classification de genre qui emmerde tant tout le monde. Les étiquettes qui pourraient paradoxalement réintégrer chaque artiste femme là où sa place l’attend. Un travail qui reste encore aujourd’hui à effectuer et dont où sous-estime l’impact qu’il pourrait provoquer dans la réhabilitation de certaines figures oubliées ou tout simplement mal jugées.

stenia

Stenia est née en 1987 et a une affection particulière pour ses chaussons chauffants. Passionnée de punk et de chanteuses gueulardes, on avait repéré son super boulot de journaliste sur twitter et on s'est permis de lui écrire un petit mail un peu suppliant (on a pas de face, kesstuveux). On est ravies que cette plume douée ait rejoint l'équipe, parce qu'on apprend toujours des trucs, et on les apprend de manière chouette, quand on lit les papelards de Stenia.

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com