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lundi, 25 février 2019

2001, l’odyssée de l’internet

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Je suis née en 1986, mais je n’ai jamais eu l’impression d’être une vraie «digital native»: mon enfance, de la fin des années 80 à la fin des années 90, s’est paisiblement déroulée entre le magnétoscope, les VHS, et les appareils photos jetables qu’on allait faire développer au centre commercial. En 1997, j’ai eu un Tamagotchi et l’impression vertigineuse de pénétrer un futur follement prometteur (teintée d’angoisse face à des questionnements tels que «Qui va nettoyer les cacas de mon Tamagotchi pendant que je serai à l’école?»). Mais il a fallu que j’attende d’avoir 12 ans pour que ma vie soit vraiment bousculée par les balbutiements de l’ère numérique à proprement parler.

1998: Dès la 6ème, j’ai eu la chance de pouvoir me familiariser avec les «Personal Computers» en cours de Techno: la joie d’y insérer d’énormes et absurdes disquettes molles de la taille de deux iPhones 8+, le bonheur de taper des conneries sur son écran noir dès que le prof tournait le dos, sans oublier l’incompréhension totale des exercices obscurs que ce dernier nous faisait faire sur le bon vieil MS-DOS. Bref, ce fut loin d’être un coup de foudre, mais souvent tu commences par le trouver moche, le mec avec qui tu vas rester 10 ans, nan?

1999: A la maison, on sera équipés pas longtemps après car papa travaillait dans «les télécoms»: il a d’abord eu un téléphone portable avant tout le monde - enfin, tout le monde dans notre bled des Côtes d’Armor du moins -, à peu près le même modèle que Costa dans la saison 1 de Hartley Coeurs à Vif, très gros avec une antenne télescopique et un petit clapet ridicule. Puis, le Graal, le fameux PC, est arrivé. A l’époque, cet engin incroyablement gros et bruyant n’avait qu’une seule et unique signification pour moi: me transformer en mini-Dieu cruel et manipulateur au gré de mes interminables parties de Sims. Je me souviens d’ailleurs avec émotion du jour où j’ai trouvé cette astuce imparable pour éviter d’avoir à trouver un job à mes Sims: je faisais l’acquisition d’un établi de bricolage et je leur faisais fabriquer des nains de jardin (l’unique possibilité qu’offrait l’établi en question) que je pouvais ensuite revendre contre des sommes d’autant plus importantes que les aptitudes de mes Sims en matière de bricolage augmentaient. Je trouvais ça super futé parce que ça leur épargnait la galère de chercher du taff, être à l’heure le matin, dormir suffisamment, bosser leurs compétences et leurs relations sociales: ils avaient juste à faire deux ou trois nains de jardin par jour pour remplir leur frigo et s’acheter un canapé pas trop mal. 20 ans après, je jette un regard mi-amusé mi-affligé sur ce détail incroyablement évocateur: il n’y a pas de doute, j’ai appliqué la méthode des nains de jardin à ma vie d’adulte. Et je ne parle même pas des codes de triche pour faire tomber la thune comme s’il en pleuvait et qui, il faut le dire, rendaient la vie bien plus douce - un peu comme quand tu omets de payer ton saumon fumé bio chez Carrouf.

2000: Je suis en 3ème, et, depuis quelques mois, l’ordinateur familial n’a plus du tout le même rôle dans ma vie. J’ai lâché les Sims pour la conquête d’un monde infiniment plus fascinant et mystérieux, j’ai nommé: internet. Les mercredi après-midis avec mes copines sont désormais dédiés à la fréquentation assidue des différents «chats» que le maigre World Wide Web de l’époque avait à offrir: le fameux Caramail et ses salons à thématiques, bien sur, mais aussi des sites beaucoup plus simplistes comme «Tchatche.com» ou il te suffit de te trouver un pseudo pour entrer de façon complètement random dans le fil d’une grande conversation commune où l’on te bombarde de «ASV?» intempestifs (« Age, Sexe, Ville? »). Le but de ces plongées en eaux troubles est très clair: on cherche des garçons. Quels garçons? On ne sait pas, mais on fantasme, on spécule, on file même notre numéro à «Fab 13 ans fan de skate et de Offspring de Lamballe» qui est surement en fait un homme d’âge mur moyennement fréquentable. Une amie dresse des listes de proies potentielles, nous les attribue, les agrémente de remarques du type «trop sympa» ou «musclé» (après trois phrases échangées et sans photo à l’appui, cela va sans dire).

Ces longues après-midis les yeux rivés sur l’écran (sans que personne ne nous taxe encore de «geeks», ah! la belle époque), en plus de nous faire vraisemblablement côtoyer des pédophiles de très près, nous vaudront quelques réprimandes… On ne bloque pas la ligne téléphonique de la maison tout en flinguant le forfait AOL 30 heures déjà gentiment financé par les parents en toute impunité. C’est pourquoi on se rabattra parfois sur le cyber café du centre ville, où l’on se délestera gaiement des quelques malheureuses dizaines d’euros d’argent de poche dont nous disposons, avec la sensation de faire une super affaire: ce thrill de la vie en ligne est décidément inestimable.

2001: J’ai 15 ans et demi, je suis en Seconde, je suis gothique et c’est Noël. Probablement vêtue de mon habituelle jupe noire extra-longue surnommée «soutane» par ma mère (trouvée sur un malentendu providentiel non pas dans un magasin de déguisements mais dans un rayonnage du Pimkie local), assortie d’un chandail aux «couleurs» d’un groupe de black métal de supermarché, je me sens un poil en décalage avec l’ambiance festive à l’approche du 25 décembre. Pas parce que «être gothique c’est être déprimé» comme a l’air de s’inquiéter l’infirmière du lycée, non, mais parce que je suis en train de découvrir les Cure et les Sisters of Mercy et que ça ne colle pas trop avec l’album de Tino Rossi que mon père passe en boucle tous les ans en décorant la maison de guirlandes lumineuses ringardes au possible. Le seul remède à cette désagréable sensation de ne pas être dans le bon décor tient en trois lettres: AOL. Vissée sur la chaise du bureau familial, bénéficiant d’un forfait internet un peu plus généreux que les années précédentes, je peaufine la page de blog ultra rudimentaire créée avec ma meilleure copine goth où l’on fait étalage d’affligeants poèmes et de dessins douteux en noir et rouge, et j’arpente consciencieusement les sites encore rares consacrés à mes idoles, Marilyn Manson en tête. J’imprime les paroles de chansons, des photos de groupes hyper-pixélisées afin d’en décorer ma chambre à l’aide de Patafix, je cherche avidement interviews et anecdotes… mais au fond, la quête reste la même qu’à l’époque des premiers chats: les garçons. C’est donc un 22 décembre que je me retrouve, sans doute par la force d’un ennui des plus plombants (quoi d’autre?) sur le livre d’or d’un site français consacré à ce cher Marilyn Manson (en 2001, chose étrange, tu pouvais laisser un petit mot de satisfaction après la visite d’un site internet comme après une nuit d’hôtel). C’est là que, contre toute attente, se noua ma toute première vraie relation amoureuse: au détour d’un commentaire laissé par un pseudonyme peu évocateur auquel j’avais répondu pour des raisons qui me sont désormais totalement mystérieuses. S’en suivirent 6 mois (six mois!) d’une correspondance absolument pas digne de Choderlos de Laclos, constituée de centaines d’e-mails et de lettres décorées de sang et de lyrics nihilistes, puis 2 ans de relation « dans la vraie vie » - même si toujours souvent à distance - avec un garçon qui, ce n’est peut-être pas grand chose pour vous, ressemblait à s’y méprendre à… Marilyn Manson, pardi. En somme, j’avais tiré le gros lot, presque complètement à l’aveugle: la main dans le bac à boules de Motus, c’est la noire qui est sortie pour mon plus grand plaisir.

2004-… : Lors de la décennie qui a suivie, plus par habitude que par peur de l’IRL (In Real Life), j’ai continué à faire des premiers réseaux sociaux mon Tinder version bêta, tout en explorant cette caverne d’Ali Baba des découvertes musicales qu’étaient internet et le peer-to-peer - j’ai commencé par télécharger des clips des Ramones via Kazaa et Emule en une nuit, puis l’intégrale de leur discographie en quelques minutes pas si longtemps après. Particulièrement obsédée par le site Last FM, qui, alliant mes deux passions dans la vie (la musique et les garçons, comme Viv Albertine en gros*) permettait de «scroller» (c’est à dire relever) chaque morceau écouté via iTunes pour générer des statistiques qui s’affichaient fièrement sur le profil, puis suggérait des utilisateurs du monde entier avec la meilleure compatibilité musicale. Une aubaine! Enfin, s’il on considère que découvrir que son âme soeur (ou plus précisément la personne qui écoute les 3 mêmes albums des Buzzcocks et des Undertones que toi en boucle) réside à Atlanta, Georgie, et que par conséquent on ne le rencontrera vraisemblablement jamais, est un cadeau de la Providence (étrangement, cela était mon cas, pour une raison qui, encore une fois, m’échappe maintenant totalement).

C’est réellement grace à MySpace et à son prédécesseur semi-confidentiel Parano.be (site communautaire divisé en «secteurs» d’intérêts) que je suis assez vite passée maîtresse dans l’art de la terrifiante première rencontre - d’autant plus terrifiante que la discussion qui a précédé fut longue, et je sais de quoi je parle (six mois!). J’ai développé un flair plutôt aiguisé qui m’a valu un taux de réussite honorable à cette cyber-roulette Russe globalement complètement flippante. Comme je vivais dans un monde où il était plus probable de trouver mes semblables sur le web plutôt que sur les bancs de ma fac, l’arrivée de Tinder n’a nécessité pour moi aucune période d’adaptation. J’ai d’ailleurs été ravie d’apprendre que l’on peut désormais ajouter un morceau de musique sur son profil, comme à l’époque dorée de MySpace où une track bien dégueulasse des Dead Boys se déclenchait quand tu voulais aller lorgner sur mes vieux selfies de salle de bain. J’attends donc l’option Livre d’Or avec impatience: ainsi, la boucle sera bien bouclée.

  • Viv Albertine, Clothes, Clothes, Clothes. Music, Music, Music. Boys, Boys, Boys. (2014)

Annie

Annie est née en 1986 et porte encore son t-shirt Marilyn Manson, acheté en 2001 à Châtelet Les Halles. Je n'ai pas trop compris où Anna et elle s'étaient rencontrées, mais nos chemins se sont recroisés ensuite plusieurs fois, et on m'a demandé de la pousser pour qu'elle fasse des articles pour nous. Une grande idée. Actuellement surveillante et maîtresse d'internat, Annie n'oublie pas d'être drôlement cool, et d'écrire drôlement bien. On a besoin de quoi de plus, hein, sérieusement ?

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com