L’ESPOIR SE CACHE PEUT-ÊTRE DANS LA POUDRE DE HIBOU
La tradition veut souvent que chacun aille passer les vacances de Noël chez papa-maman. La mienne, de maman, habite au Togo.
Cela explique très certainement pourquoi je me suis retrouvée, ce 21 décembre, dans la voiture d’Igwe, marchand d’art africain et vendeur de téléphone à ses heures perdues, en route vers le quartier d’Akodésséwa à l’est de la capitale.
Ce que j’y ai vu n’a rien d’une petite balade de vacances, mais nous y reviendrons.
Après avoir roulé sur une courte piste ravagée par les bosses et les trous, dans une voiture aux suspensions aléatoires, nous arrivons sur une grande place, où des deux côtés s’étend une vingtaine de boutiques, qui forment à elles-seules le fameux marché des fétiches de Lomé.
Ici le calme est maître, vaguement perturbé par quelques poules qui traversent la place en courant. Pas de foule, pas de chaos, tout semble fonctionner selon un système bien huilé qui m’échappe encore.
Notre arrivée provoque illico l’approche d’un des grands maîtres, Joseph, autoproclamé « Ingénieur Traducteur des Forces Vaudous Africains » comme l’énonce sa carte qu’il me remettra en partant.
Il nous accueille et nous récite son discours robotisé : « Bienvenue au marché des fétiches. Nous sommes un marché traditionnel, pas un marché public. Avant la visite était gratuite, mais depuis peu nous avons un syndicat » dit-il en m’indiquant trois gars qui font la sieste sous un arbre. « Nous avons un tarif de 10 000 francs CFA par personne, mais pour ce prix vous pouvez prendre des photos et un guide vous expliquera toutes les subtilités de cet endroit».
Une bande de gamins d’à peine 10 ans accourt aussitôt, guide du Lonely Planet West Africa à la main, pour attester de sa bonne foi en me montrant le tarif inscrit noir sur blanc.
Le deal ne nous semblait pas très juste : 15 euros chacun pour déambuler sur à peine 2×20 mètres de long. Nous repartons, un peu dépités.
Quelques mètres plus loin, notre voiture tombe en panne. Igwe rigole : « C’est un coup des esprits ». No comment.
Le lendemain, nouvelle tentative, avec un habitué des lieux.
Joseph nous reconnaît à peine, s’apprête à nous ressortir le même discours, puis s’écrit « mais il fallait me dire que c’était tes amis ! ». Nous arrivons finalement à négocier un tarif ultra préférentiel, et Joseph en personne nous fait la visite.
Le marché des fétiches possède deux grandes fonctions : c’est une sorte de centre de consultation qui se veut répondre à tous vos problèmes d’ordre médical, sentimental, financier,… et c’est aussi l’endroit où vous trouverez les médicaments que l’on vous prescrit. Parce que oui, ces remèdes sont généralement à base d’os de singe en poudre, ou de peau de serpent séché, ce qui, vous en conviendrez, n’est pas commode à trouver. Une sorte de cabinet médical / pharmacie en plein air, avec une vague odeur de poulet mort dans l’air.
Devant nous sont étalés les crânes d’à peu près tous les animaux d’Afrique : chiens, chats, singes, serpents, panthères, crocodiles, tortues, chouettes, pigeons, le monde animal dans son ensemble se retrouve posé là. Il s’y murmure même que certains ossements humains sont également disponibles en réserve.
Si vous souhaitez aller plus loin que le simple talisman, les sorciers vous accueillent dans des petites cases en arrière boutique, pour « charger » vos fétiches d’un sort en particulier. « Je veux bannir la malédiction qu’il y a sur moi », « je veux me venger de l’amant de ma femme », « je veux devenir riche », « je veux guérir ma calvitie », ici, n’importe quel souhait peut être exaucé, si les esprits le veulent bien. Et c’est avec eux que vous négociez, via un interprète.
À la fin du tour, nous partons nous asseoir à l’ombre, sous un arbre, avec Joseph aux yeux rouges.
Il nous montre les grigris qu’il a avec lui : le classique pour trouver l’amour, celui qui protège pendant les voyages (à ne porter sur soi QUE pendant les voyages), celui qui évite de se faire cambrioler, ou celui pour redonner de la vigueur aux amants masculins fatigués (« vous êtes trop jeunes pour ça », nous dit-il).
Alors que nous remontions dans la voiture, Joseph insistait : « la prochaine fois, vous devriez vraiment parler aux esprits, je sens que vous avez un ami qui a une malédiction sur lui, il faut l’aider ».