Ça va. J’aime mon travail. Ma famille et ma patrie aussi mais je ne sais pas pourquoi je ne le sens pas comme ça, dans ce sens-là ni les trois en même temps. Je suis en bonne santé, j’ai des amies géniales, je n’ai pas d’emmerdes, mon niveau et mon espérance de vie font de moi une grosse chanceuse. Nous sommes lundi, temps moyen d’octobre, ça rend la lumière vive et le soleil cru, j’ai eu un gros coup de bol en m’asseyant dans le bus dès que je suis montée dedans ce matin. Et ça m’arrive souvent. Pourtant et putain, tada, revoilà le lundi maussade. Je suis suffisamment surprise de le revoir pour me rendre compte que je ne l’avais pas ressenti depuis quelques mois. La peur des mails qui contiendraient des mauvaises nouvelles, le café à goût de fer, la petite boule au ventre sans raison claire et la recherche d’expiatoire. A ceci près qu’après vérification de la définition, expiatoire implique de revivre le péché pour l’absoudre. Et moi je n’ai rien fait de mal et je veux juste penser à quelque chose.
Il est 11h11, je devrais travailler comme une folle et bâtir ma semaine, désosser les embuches et faciliter l’avancée de mes projets et de ceux des autres parce que je suis animée par l’amour du service public. Je comprends des trucs, je lis plein de machins, j’aime le vin et la lecture, voir des films et rêver, je peux aller écouter plein de musique que j’aime à des concerts, je cuisine bien, je dors dès que je me couche, des fois je vais nager et j’aime ça et là c’est lundi : je suis grosse.
Je me sens engoncée. J’ai cru que j’étais amoureuse il y a six mois, je me suis sentie normale. J’avais enfin rejoint mes amies, mes cousins et les autres sur la voie du vivre et penser pour deux. Je me sentais jolie, j’étais désirée, je riais beaucoup. La vie passait à une vitesse folle même quand je m’ennuyais. Puis il m’a gentiment viré de sa vie parce qu’il ne le sentait pas, parce qu’au bout de 8 mois il sentait bien en revanche qu’il ne m’aimait pas. Il a été correct, il a eu raison de ne pas laisser pourrir notre histoire fake et quand je ne suis pas vexée, je le remercie. Depuis et presque six mois plus tard, il me manque de moins en moins, je ne pense presque plus à lui. Je le trouvais touchant et je nous sentais harmonieux et bien intentionnés mais j’ai envie d’un autre (que je ne connais pas et je ne suis pas certaine qu’il existe). C’est juste que je panique certains matins. Dans la brume du réveil quand je ne choisis pas mes pensées. Je me souviens d’une odeur douce et d’une présence chaude quand je me réveillais. Et surtout je suis systématiquement assaillie par la peur de rester seule par la crainte d’avoir compris que je ne donnerai jamais envie. La certitude d’être dans un petit fossé statistique, d’être une exception tellement rare que personne ne veut croire qu’elle existe : la meuf qui ne donne envie à personne, pas même pour du cul. Une version postmoderne de la meuf mignonne-mais.
J’ai bien compris que j’avais un petit souci avec la drague : je ne suis pas très attentive et j’ai vite peur. J’applique le suis-moi-je-te-fuis à des personnes avec lesquelles je ne rentre pas en contact du tout, de sorte qu’ils ne me fuient pas exactement. Ils ne me voient pas non plus. A ma décharge je n’ai strictement aucun souvenir d’avoir été une fois draguée (okay une ou deux mais pas trois) en dépit d’un rythme de sortie de débauchée et d’un réseau social conséquent. J’ai pensé aux sites de rencontre comme thérapie mais j’ai la flemme de me vendre, j’ai l’impression que c’est mort d’avance : je n’ai pas envie de la laborieuse prise de contact, je n’ai pas envie d’aller boire un verre avec du stress dedans. Et ce n’est pas très charitable de vouloir se guérir avec un innocent.
Je ne suis pas déprimée, je suis même plutôt volontaire et souvent surprise de me sentir bien, débarrassée de certaines ombres qui me poursuivaient avant. Je manque juste un peu d’envie. Je pense que si je n’avais pas un trou au gros orteil de mon collant, mon lundi aurait un peu mieux démarré. Je sais d’expérience qu’il va suffire que j’ouvre demain pour que mon mardi valle mille dollar de plus que ce lundi. Mais en attendant là j’ai un peu peur. De vivre un peu à côté de ma vie, de me réveiller trop tard, d’en vouloir à ceux que j’aime quand ils sont heureux. De me regarder le nombril en pleurnichant au lieu d’être utile. Et de me trouver tout le temps désormais et à l’avenir, boudinée dans mon collant, ma robe, mon jean le matin et triste la journée ensuite.