Ma Juliette a les yeux pétillants, les mains fines, la peau douce, une odeur à faire frissonner, et hier, au milieu d’un bar bondé, ma Juliette m’a murmuré, comme toute bonne Juliette se doit, « notre amour est impossible ».
Pourquoi? Parce que sa meilleure amie est ma meilleure amie. Que c’est cette amie qui, lors d’une soirée presque costumée d’ailleurs, nous a présentées. Parce que pendant quelques instants, j’ai eu une histoire avec cette meilleure amie. Et que ça ne se fait pas, on ne couche pas avec les amies de nos amies qui sont aussi nos anciennes amours. Ah oui, et aussi impossible, donc, parce que je ne suis pas un Roméo, mais une fille. Comme ma Juliette.
Ce qui ne l’empêche pas de m’allumer comme Katy Perry un quatorze juillet. Pourtant, comme les deux amants maudits, le masque est de rigueur, surtout quand son Pâris est là et que notre Mercutio observe le moindre de nos gestes. Ainsi, ces gestes remplacent nos caresses, nos regards remplacent nos baisers, et nos danses nos enlacements. Mais la tentation est bien trop grande pour s’arrêter là.
Alors lorsque ma Juliette retire son pull, elle s’arrange pour dévoiler bien plus que nécessaire, les yeux braqués sur ma réaction. Et lorsqu’elle se cambre au-dessus de moi pour attraper une bouteille, sa chemise s’ouvre comme les cieux, dévoilant putti, chœurs chantant, licornes roses et arcs-en-ciel. Et je me mords les lèvres, discrètement, farouchement.
Et bien plus farouchement, lorsque ma Juliette sort des toilettes du bar, elle me susurre que je l’excite tant qu’elle a hésité à s’y caresser. Parce que oui, elle mouille à chaque fois que je la frôle. Et je reste plantée là, absolument déboussolée.
Fort heureusement, ma Juliette, elle, ne perd pas le nord, et dès que notre Mercutio a le regard absorbé par son verre, d’un mouvement subtil, elle glisse sa main sous mon haut, pour passer ses doigts sur la courbe de mon sein nu. Puis remonte le long de mes jambes, langoureusement, pour s’arrêter entre mes cuisses, pendant que les garçons d’à côté tentent de nous arracher nos numéros. Et à l’instant où ma paume hésitante ose enfin survoler son genou, elle s’empare de ma main, et de la sienne, la plaque contre son entre-jambe. Je me retourne vers elle, pour découvrir un délicieux sourire espiègle. Et bam, je suis sous le charme.
Alors forcément, après l’avoir laissé m’effleurer les lèvres plusieurs fois, je l’ai rattrapée par la main alors qu’elle s’éloignait, comme dans les films, et l’ai fait’ virevolter pour lui saisir le visage de mes mains et l’embrasser.
Et c’est comme cela que l’on s’est retrouvées ce soir-là, au milieu d’une foule d’hommes suants et bandants, ma Juliette se cachant de son Pâris pour me rouler des pelles, pendant que par-dessus son épaule, je surveillais notre Mercutio, déjà complètement déchirée au bras d’un barbu à bonnet.
Boire d’un trait le poison ou simplement y tremper les lèvres, telle est la question. N’est-ce pas l’impossible qui rend tout cela si sublime, si excitant? Désirer ce que l’on ne peut avoir, toujours et encore. Mais si l’on peut se pécho sans vergogne malgré tout, alors pourquoi se gêner? Et puis pour les conséquences, les Capulet et les Montaigu, on s’en occupera demain, avec la gueule de bois.
Mais contrairement à Roméo, et au risque de choquer Shakespeare, moi, avant d’engloutir le poison et de mourir comme un con, c’est décidé, je coucherai avec Juliette.
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jeudi, 14 juillet 2016