Pour parvenir à toi, il me fallait écrire les autres
J’écrivais furtivement, d’un temps qui te ressemble
J’écrivais d’un œil clair que je ne connaissais pas
Malheureusement sans doute, un grand soleil percé me faisait face.
J’écrivais la carcasse et la gloire
les valses inachevées
J’écrivais les coupures au talon d’avoir trop marché l’été
Dans des robes inadéquates
J’écrivais les nuits qui avaient eu du mal à finir.
J’écrivais 2016, les coins de rue implacables et ma peur de l’orage
J’écrivais Turin au mois de septembre, le rire de ses rues d’or
J’écrivais la ZAD et sa rosée, la confiture de fraise. J’écrivais Paimpol, le sang à marée haute. J’écrivais le jour où je coupai mes 50 centimètres de cheveux au ciseau à ongles seule, saoule, et sous la douche.
J’écrivais cet au revoir et la blessure qui montait dedans, j’écrivais que je savais qu’il me faudrait revenir à cette blessure, dans les heures creuses comme dans les heures pleines, pour en délimiter le périmètre
Ce moment où les larmes en moi commencèrent à tomber.
J’écrivais les visages que l’eau avait déjà écrits pour moi sur les étangs
Des étangs, j’écrivais aussi les berges.
J’écrivais comme j’avais voulu de toi et comme j’étais ivre du tonnerre que tu charriais avec toi, le vacarme de ta voix, ton tumulte et tes mains désespérément vides.
J’écrivais les paysages,
les petits-déjeuners
Le nombre de cafés que j’avais bus, comme j’avais arrosé mes plantes avec le fond de ma tasse froide
Pour parvenir à toi, il me fallait écrire
Pour écrire, il me fallait boire du café
J’écrivais, il y en a d’autres qui préfèrent éviter
J’écrivais, il y en a d’autres qui c’était très bon mais n’en reprendront pas
J’écrivais, il y en a d’autres qui on va y aller maintenant
On ne va pas commencer à se regarder dans le dedans
J’écrivais que j’étais
Toujours un peu malade
Que pour m’occuper j’avais lu quatre fois mon horoscope
Et qu’il me conseillait pour les fêtes l’eyeliner vert plutôt que le bleu.
J’écrivais l’état dans lequel je t’avais trouvé
Comme saisi par les fleurs
Modelé par le monde
Déchiré par le givre
Malléable
Récurrent
J’écrivais que la honte était le sentiment premier à tout sentiment et à toute existence et que l’ivresse ne venait qu’ensuite
Qu’il nous aurait fallu cacher cette ivresse
Qu’elle me mettait mal à l’aise.
J’écrivais ce que j’allais faire l’été prochain, ce que je m’apprêtais à faire ce soir. A Rennes, la fatigue prenait toujours mieux que la fièvre. J’écrivais le linge qui sèche et les coutures qui craquent, J’écrivais les violentes roses qui tombaient à mes pieds et me foudroyaient dans ma chair.
J’écrivais la douceur des veilles de vacances et la mélancolie des années qui se terminaient bien. J’aurais voulu encore en savourer les restes et déjà il fallait retourner en cuisine.
J’écrivais les enfances à peu de frais, les continents d’hématome, le nez qui me coulait. J’écrivais qu’en mangeant les miettes de pain destinées aux oiseaux, je pensais pouvoir m’envoler. J’écrivais le goût du sang rouge, moelleux, comme le sang des baies.
J’écrivais les années sous acide.
J’écrivais sur tous supports, y compris les murs de ma chambre à l’âge de trois ans et demi la veille de mon premier déménagement
Il y a eu, depuis, une douzaine d’autres déménagements, que je n’ai pas tous écrits.
J’écrivais, j’ai peur du téléphone.
J’écrivais, je voulais retourner en moi-même. Retourner dans les contes dont on avait extrait mages et croquemitaines, pour les semer sur mon passage comme des cailloux blancs.
J’écrivais pour te perdre, retrouver mon chemin.
Je t’écris de la nuit qui commence, de la nuit où je tourne
Malheureusement sans doute, je n’en connais pas d’autre.