Je suis, je suis, la fête qui contribue le plus au CA des fleuristes après la Saint Valentin et avant la fête des grand-mères; instaurée par celui qui, tour à tour Anakin puis Dark Vador, écrivit quelques uns des sombres passages de notre Histoire; les plus vaillantes d’entre-celles que je célèbre étaient, au mérite, médaillées de bronze d’argent ou d’or, et peuvent être au foyer ou indignes… Je suis, je suis…
-…
Il est encore temps de bafouiller une dédicace au type d’Interflora, grouille, c’est la fête de ta mère… Usurper le collier de pâtes de ton dernier frangin en CP – parce que toi aussi t’es en CP, pour Classe préparatoire, heinheinhein – ne fera absolument pas l’affaire; trouve autre chose.
Pour vous culpabiliser à fond, cette année j’ai mis les petits plats dans les grands, je lui ai acheté une grosse bagouse à ma maman, un caillou vert avec autour de beaux zirconiums qui brillent trop à la lumière pour faire vrai. Elle grève tellement mon trou bancaire que je ferai sûrement pas chauffer l’eau des pâtes ce mois-ci, ou alors avec le pécule que je serai encore obligée de mendier auprès de toujours la même mère (pardon)… Maman s’est offert une belle bague que je lui ai choisit pour la fête des mères cette année donc…
Revenons à moi plutôt. Je suis un peu tristoune à dire vrai parce que d’une part c’était mon anniversaire il y a pas longtemps et cette année encore, omerta unanime de mes « ami(e)s » sur les vœux. Effectivement, c’est un moment « littéraire » embarrassant pour tout le monde. Un bonheur n’arrivant jamais seul, à mon dîner d’anniversaire, ma mère me dit que ça y est, je suis sur le versant descendant de la pente – j’ai eu 26 ans pour info. Plutôt, elle a dit, que maintenant elle se sent vieille pour de vrai, parce que je le suis aussi. Si en réalité j’ai le moral un peu en vrac c’est parce que je me rends bien compte qu’elle a raison. Pas sur l’âge, sur tout le reste.
J’ai été élevée comme le membre d’un corps d’assaut d’élite, un cheval de course, avec un seul mantra en tête : « La vie est un combat. » Ici on ne parle pas d’introspection, mais d’une véritable bataille rangée, contre les autres et le monde.
Mon physique de mâle Zeta et mon tempérament craintif m’ont naturellement rendue à l’évidence qu’opérer un retrait préventif de cette logique ne pourrait qu’être un choix tactique salutaire. C’était avant que kamikaze soit tendance. Evidemment j’aurais été gaulée comme un taureau gonflé aux hormones j’aurais sans doute eu moins d’états d’âmes.
Le combat donc c’était bon pour les mamans, les dames qui ont aujourd’hui 50 ans (à la louche), qui ont grandi dans un monde où déjà passer à travers les fines mailles du filet macho-rétrograde pour faire un bac, des études supérieures et une carrière à soi –celle où ta secrétaire à toi c’est Don Draper et non plus l’inverse – n’était pas une donnée acquise mais un exploit. Forcément ça forge une vision du monde et des relations humaines. Maligne j’ai voulu penser qu’aujourd’hui on est plus obligé d’exister dans la confrontation.
Je me suis plantée de dingue, comme un monospace lancé à plein tube sur l’autoroute du soleil dans la rambarde inter-chaussées une journée bison noir. Les dents du petit dernier dans les charentaises du camionneur qui arrivait en face. On range les Polypockets, nouveau programme : carnage et fin de rêve. A l’époque j’ai cru que par combat elle voulait dire le combat des femmes contre la société i.e. des hommes. Je n’ai pas eu l’occasion de le lui faire préciser, mais maintenant j’ai ma propre opinion, ca concerne hommes et femmes. J’ai été expatriée pendant quelques temps, et depuis mon retour je me rends chaque jour un peu plus compte de cette agressivité environnante qui m’échappait avant totalement. Elle ne laisse pas un moment de répit : dans la rue, dans les transports en commun, au travail, en boîte, dans n’importe quelle file d’attente, et hop quand tu rentres, ton mec trouve encore le moyen de te dire que t’es un peu grosse et que t’as oublié de t’épiler un poil de jambe OK. C’est quoi votre problème en vrai ? Vous voulez me forcer à demander pardon à maman, à lui dire que c’est elle qui avait raison ?
Parce que vraiment c’est épuisant cette attitude, ça donne bien envie de démissionner. Tout cet épuisement pour obtenir quoi au juste ? Je me demande comment elles ont fait elles, toutes ces mamans, pour en supporter autant et plus – parce qu’il paraît que c’était pire avant. Elles avaient du courage et de la force ces Walkyries qui passaient la serpillère en tailleurs YSL. Je ne sais pas si je serais capable d’en faire autant.
Allons tous déposer des bises sur les joues de nos mamans aimées aujourd’hui, on se fera de l’air cinq minutes, et ce sera bien.