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mercredi, 14 septembre 2016

Marseille

Marseille c’est comme New York ou la Corse, tout le monde en dit la même chose, décrit la même image d’épinal mais il faut y aller par soi-même pour le voir, pour le croire, pour constater que c’est une autre planète comme l’annonçait IAM en 1991. Une planète rouge comme les dernières images que nous a livré Curiosiy de la planète Mars, la vraie.
Pour ma part, parisienne de merde que je suis, j’ai toujours haïe Marseille. Sans y avoir mis les pieds, encore un autre cliché. J’ai essayé de lui donner sa chance, un jour, il y a quelques années, on m’y avait invité à participer à une expo, je l’ai détesté.

Elle était vulgaire, mal accueillante, voir violente, impolie.

Pourtant je venais de Paris, dont on pourrait dire exactement la même chose, le soleil en moins, les dorures en plus.

Sauf que là où Paris accueille ses touristes, un marseillais si il n’en a pas envie, ne sert pas un parisien. Marseille choisit.
Et puis prenant de l’âge, devenant plus sage, je l’ai retenté, comme un ex dont on a complètement oublié le mauvais coup qu’il était, dont t’entends parler en bien et tellement il te charme de loin avec ses photos photoshopées sur les réseaux.
J’y suis retournée, pas rancunière.
C’est simple dès mon arrivée j’ai croisé un mec avec un t shirt de l’OM, évidemment, une équipe de football algérienne et un autre mec avec écrit noir sur blanc dans le dos « fais 13 attention ».

La couleur était annoncée.
En descendant la Cannebière on m’a crié « Eh! Mademoiselle! Ton cul il danse le MIA« . Voilà, j’étais à Marseille.
Mais en toute honnêteté je m’en foutais, parce qu’au bout de la rue, il y avait le port, et la mer, il faisait chaud et les gens parlaient le Fernandel.
Y avait bien des mecs sur le vieux port, qui entre deux poissons péchés et deux bateaux amarrés faisaient des plongeons rekins aux pieds, parce que d’après eux, elles étaient faites pour ça, d’après le nom de poisson que portaient ces baskets.
Et puis il y a eu ce taxi qui m’a facturé le triple de ce que j’aurai du payer, mais là encore je m’en tapais, parce que c’était une Peugeot 406 blanche avec une couverture ferrari rouge sur le siège arrière, que j’ai fait un tour complet de la cité phocéenne à 200km/h et que le chauffeur m’a parlé pendant tout le trajet de prostituées.
Je m’en foutais surtout parcequ’une fois arrivée à la madrague, je me suis retrouvée entre les montagnes, la mer et le soleil qui s’y couchait. À ce moment-là j’ai bien compris la détresse de Brigitte Bardot dans la chanson du même nom que ce petit quartier.

Je ne voulais plus partir, j’aurais voulu être enfermée dans le château d’If, prendre la place du compte de Montecristo, pour n’avoir que l’horizon
à regarder, j’en rêve encore la nuit, d’y avoir été incarcérée et d’y être la plus heureuse, loin de tout, à regarder les mouettes, les bateaux naviguer, les ferrys partir et arriver, par la fenêtre de ma geôle.

La ville dans toute sa largeur est un mec qui a bu trop de pastis, gagné par la sociabilité de l’ivresse t’ouvre grand ses bras.
Le lendemain entre les petits poissons, dans l’eau turquoise, allant et revenant de la bouée, je ne savais même plus d’où je venais, j’ai bien failli tout quitter pour aller habiter dans une grotte de sirène aux reflets iridescents, mais il fallait déjà partir. Je pourrais citer Booba, et des kalash comme à Marseille que j’aurai pu voir, sur le chemin du retour après avoir crié « Ici c’est paris » submergée par une foule turquoise qui sortait du stade vélodrome mais pour le coup c’est eux qui s’en foutaient, ils venaient de gagner.

Depuis chaque été j’y vais, et à chaque fois j’envisage d’y rester.

Les règles y sont différentes, il faut juste s’y adapter, accepter qu’en fait il n’y en a pas.

Regarder les mecs sauter du haut du rocher de sugiton après une heure de marche, prendre le bus et longer la mer sur tout le trajet, manger un kebab au cabillaud avec une chicha fraise, écouter Jul très fort à la plage, parce que c’est comme ça, qu’on ne peut pas s’en plaindre, que c’est le plus vieux qui a le contrôle de l’enceinte, la part de pizza chez Charlie à 1€, les rencontres faciles, les paroles données qui s’envolent dès que le mistral souffle, le temps qui passe lentement, la latence, la culture de la sieste, les mecs qui t’abordent sans cesse comme si tu étais un pokemon et qu’ils étaient plein de pokeballs, et qu’ils fallaient absolument qu’ils t’attrapent, les bandes de médiateurs aux abords de plages qui ne médiatisent que leur ennui.

Puisque j’aime la dualité du jour et de la nuit, à Marseille je suis servie, le jour, le soleil ardent, les tenues de plages, la nonchalance, le bronzage orange, les tenues fluo et légères, les pac à l’eau, la nuit, l’ivresse, les mauresques, les histoires pour tout et pour rien parce qu’il faut bien se parler, se prendre la tête pour une histoire de chaise pendant 3 vraies heures, IAM qui passe tous les soirs dans les clubs, les rats qui courent les rues, dévorés par les mouettes qui dansaient dans le ciel un peu plus tôt.

Marseille est à l’image de malmousque, le paysage est magnifique, l’eau est claire, à la bonne température, situation idyllique, pourtant il n’y a que des rochers pour s’allonger, on ne peut pas vraiment s’y reposer et il est impossible de trouver une position confortable, il faut toujours être en mouvement, sinon ça fait mal aux fesses.

Marseille est joliment inconfortable.

Comme dirait l’autre, je viens de Paris, personne n’est parfait.
Marseille, c’est Marseille, c’est un autre fuseau horaire, un autre espace temps, quoi qu’on y fasse, quoi qu’on en dise ça restera toujours Marseille, elle parle fort, et beaucoup, te gifle et te caresse en même temps. Plus belle n’y est pas vraiment la vie, mais comme m’a dit cette dame juste avant le départ, on y prend le temps de vivre cette putain de vie. J’y retournerai, bientôt, je n’y resterai pas, promis, juste assez pour que me manque Paris.

Safia Bahmed-Schwartz

Safia est née en 1986 et porte à son auriculaire une très jolie bague en or. Quand on a proposé à cette artiste/prestidigitatrice/receleuse de passer des MP3 à notre soirée au Trabendo (on était tombées amoureuses d'elle en regardant son clip "Vaseline"), on a halluciné quand elle accepté (et on était aussi super contentes, elle a passé MARIAH CAREY). Puis on a re-halluciné quand elle nous a proposé de tenir une chronique qu'elle illustrerait de ses belles mains. Sérieux, comment pourrait-on dire non à Safia ? Tout son travail déglingue.