L’adolescence n’a pas vraiment de grandeur. Elle n’est qu’une période stupide de notre vie où l’on croit que tout dure éternellement. Mais la vérité, c’est que tout est éphémère. Les souvenirs disparaissent, laissant place à quelques mirages, histoire de commencer en grande pompe notre adultat, dans le déni le plus flagrant. Transformer le moche en beau, le petit, en grand, pour tenter d’avancer dans le monde en se disant que nos choix, même les plus délirants, ont toujours été les bons.
Les packs de bière qu’on s’enfile dans les jardins publics de sa cambrousse décomposée, pour tronquer l’ennui latent. Les concerts gratuits des has been sur des scènes recouverte d’une vulgaire bâche bleue, similaire à un sac poubelle. L’image, cruelle, de la fin qui vous prend aux tripes quand il ne reste plus rien de sa superbe passée. Alignant conneries sur conneries, au son d’un vieux titre oublié du Martin Circus, parce qu’on est les rois du monde les plus minables qui soient.
On est là, autour des âmes qu’on a choisi, croyant avoir enfin trouvé notre place. Home sweet home comme ils disent. Des misfits sur le bord de route, tous plus tarés et illuminés les uns que les autres, tentant de venir à bout des ses propres démons, véridiques ou inventés, pour les raisons qui les regardent. Des cervelles vides et puis, d’autres, trop remplies. Cherchant par la petite lucarne un échappatoire à l’être que l’on doit devenir.
On ne s’appartient jamais vraiment, mais on essaie de faire comme si.
J’ai été de ces mioches naïfs, croyant tout connaître de la vie alors que je n’avais même pas dépassé la ligne de départ. Les claques qu’on m’administrait n’étaient qu’un putain d’amuse-bouche mais je prenais ça comme la souffrance la plus intolérable. Pourtant, quand j’y repense, c’était pas si doucereux, mais le jeu n’a pas cessé de croître. Je croyais jamais ces adultes qui me disaient de faire profil bas. J’ai compris plus tard qu’ils ont été de ceux à qui on a appris à faire le dos rond. Parce que plus la force d’ouvrir sa gueule, plus la force de marcher à vents contraires. Je ne peux pas les blâmer, combien de fois j’ai eu envie de tout lâcher.
Je déteste pourtant la résignation qui m’empare, parfois. Je déteste l’impuissance qui m’englobe. Les voix qui s’élèvent et que je sais déjà condamnées d’avance. Comme une histoire qui se répète, inlassablement.
Je déteste perdre la foi.
Je déteste repenser à mes erreurs de jugement, mes croyances tronquées. Je déteste d’avoir cru qu’il existait ce foutu paradis perdu, là où j’aurais enfin pu déposer tout ce bardas de colère qui pourrissait mes entrailles.
Au lieu de ça, je suis devenue la misfit des misfits. L’intolérable des intolérables. Celle qui doit gagner sa place, une nouvelle fois, face à d’autres, membrés pour le rôle.
C’est que là-bas, rouler des mécaniques était comme un passe droit. Une domination quasi parfaite, faits de gatekeepers ayant le pouvoir de t’adouber comme de te renvoyer dans tes pénates.
Se plier aux règles ou crever la bouche ouverte.
Un monde hypocrite, où les nouvelles lois ne sont qu’en vérité un ersatz de l’oppression dénoncée. Là, à devoir se taper toujours les mêmes règles déguisées en ouverture d’esprit pétée. Les victimes deviennent les bourreaux, érigeant sur la place commune un bûcher pour celles qu’y doivent se résoudre au silence sous peine de partir en fumée. Une histoire de contrôle, où l’on distribue le petit ticket gagnant vous autorisant à exister, du moment que vous la fermiez.
Nous ne sommes jamais voulu, nous les femmes. Nous sommes tolérées, comme quelques vulgaires mannequins derrière une vitrine. Et ça, ça fait toute la différence.
J’y croyais pourtant, à ma délivrance. Pouvoir enfin gueuler comme je l’entendais, libérer la violence qui me bouffait. Mais je n’y ai trouvé qu’un nouvel enfermement. Les voix masculines continuant de cracher leur propre soupe pour un public qui se devait d’être à leur imagine quasi divine, dans des esprits s’auto proclamant artistes alors qu’ils ne dépassaient jamais l’écoute polie de leur petite mamie chérie.
J’étais la fille au milieu de la meute. Craignant à chaque instant le basculement. Celui tant redouté à mesure que les bouteilles se vidaient. J’étais la fille, mais j’étais surtout connue par de tendres sobriquets, une fois que j’avais le dos tourné, la plupart du temps à ceux auxquels j’avais signifié un charmant doigt.
Alors que je ne voulais parler que de musique, j’étais sans cesse challangée, stéréotypée, interrogée, poussée, voire ignorée. Parce que pas possible, pas réelle, pas naturelle.
Devoir se bouffer les discours plus cons les uns que les autres de petites frappes du dimanche s’extasiant sur des albums que ma mère aurait eu honte de se foutre dans les oreilles. Mais la toute puissance subsistait. Les femmes ne sont bonnes qu’à baiser pour s’attirer quelques intérêts bien placés. Comme si le summum d’une nana de 15 balais revenait à se taper l’illustre inconnu du quartier. Les mecs ne manquent jamais d’humour quand il s’agit d’eux-mêmes, on doit bien le reconnaître.
Ne pas avoir la gueule de l’emploi en revient à devenir deux fois plus psycho. Ne pas avoir la gueule de l’emploi à l’adolescence, c’est Hiroshima qui crépite sous les doigts. Ne pas avoir la gueule de l’emploi à l’adolescence et être une fille, c’est un dernier signe de croix, le genou à terre. Pas la peine de te bouffer le crâne, tu seras toujours perdante quand le nombre joue forcément contre toi. Aussi forte et tarée que tu puisses être. On attrape pas les mouches avec du vinaigre. Et certainement pas des types avec des cous de la superficie du Canada avec des cupcakes.
Alors je me suis mise à être plus royaliste que le roi. A devenir toujours plus, dans une surenchère masculine que je pensais être ma planche de salut. Je ne voulais pas être mes quelques rares copines à rester à l’arrière du concert, faisant office de vestiaire à leurs mecs venus s’amuser, telle une mère amenant leur gosse faire du manège. Je préférais ne pas faire de vagues, ne pas faire jouer l’étiquette contre moi. Mon premier concert de punk, je me suis ramenée avec un t-shirt trop large de Flipper (le groupe, pas le dauphin) pour qu’au final on me demande si j’étais fan du dauphin.
Pour vous la faire courte, oui, la soirée a été longue.
Mon pote, plus âgé que moi, me dit avant de partir de cacher mes nibards autant que je peux. En une phrase, je comprends où est ma place. Je le regarde. «Non mais pour moi c’est okay, mais tu sais, les autres…»
Ah oui, ces autres qu’on protège des gros vilains nichons.
Et j’ai cédé. Marche après marche. J’ai monté les escaliers de la masculinité. J’ai adopté les moindres codes, juste pour qu’on apprenne au mieux à me respecter, au pire, à m’oublier. Au final, qu’est-ce que j’étais, quand je finissais par leur balancer une chaise dans la tronche après le démarrage d’une baston? Qu’est-ce que j’étais, quand j’en arrivais à avoir un goût de sang dans ma bouche, déformée par la rage? J’avais beau me dire, l’impulsivité, elle a pas de sexe, pas de genre. Juste un mauvais fond qu’il y a en chacun de nous. Je devenais un homme. Je devenais un lâche. Mais c’était le prix à payer pour que je garde le peu que j’avais réussi à arracher.
Et tout ça pour quoi? Redémarrer tout le cirque de l’éternelle incompréhension. Du monde mainstream, l’underground garde les pires travers. Comme quoi, la connerie transcende toutes les sphères. J’en ai vu, de ces femmes négociant leur féminité par le biais de ces regards inquisiteurs. Des femmes qui souvent, en venaient elles aussi à catégoriser, de la même manière que ceux qui prenaient un malin plaisir à nous aliéner: soit vous devenez une badass, dans ce cas la féminité te rejette et l’homme te taxe de lesbienne, soit vous assumez ce que vous êtes, fragile et/ou sexuelle, et vous ne passez jamais par la grande porte d’entrée mais direct par l’ascenseur au fond des cuisines, menant à un cagibi tranquille. L’idéal serait presque de n’être rien ni personne, et quelque part, ça se tient quand on y réfléchit bien. N’être rien ni personne. Leur rêve ultime quand ils nous vivent de l’intérieur.
Je ne leur en ai jamais voulu, on était toutes logées à la même enseigne. Mais réaliser que les sous-cultures étaient tout aussi patriarcales que les grandes instances m’ont fait réaliser que la seule personne sur laquelle je pouvais compter, c’était définitivement ma gueule.
Obliger de s’altérer pour pouvoir survivre parmi un système oppressif? J’en avais plus rien à battre. Aussi connement que ça. Refuser d’être là où je devais aller, refuser d’être ce qu’on attendait de moi. J’ai appris à me voir, à me regarder, et à laisser de côté ces autres qui se devaient de me modeler. Je suis devenue quelqu’un. Pas parfait, sans doute loin de faire rêver, et certainement pas un exemple à suivre. J’ai décidé d’être nulle part, sans code, sans corpus, sans pouvoir décisionnaire. J’ai décidé de raccrocher les boots crantées et de dire merde à toutes les règles possibles et inimaginables, en sirotant, peinarde, mon lait fraise, au son des Black Flag. Je crois que c’est à partir de ce moment que je suis devenue, paradoxalement, une punk. Rise Above. Sans crête ni rage.
J’ai décidé de devenir mon propre rêve. Et leur pire cauchemar.