Mon malaise vis à vis du choix doit remonter à l’enfance.
Ce grand moment où les sorties se font au restaurant avec les jolies serviettes blanches qu’on ne sait pas trop où mettre quand on est gamins.
La souriante serveuse qui nous tend une carte mille fois trop grande pour nous et le silence dans lequel chacun se plonge pour décider de qui du plat de pâtes au nom italien imprononçable ou de la salade composée, finira dans son assiette.
Déjà, là, ce moment où il faut parcourir des yeux l’étendue des plats me laissait perplexe.
Que de choix, que de possibilités, que d’envies gustatives pas encore prononcées qu’on nous propose de combler à 15 euros. Le plat arrivait enfin, devant moi alors : le fruit de mon choix.
Et là, je crois que c’est là que tout a commencé, insidieusement certes mais quand même. Ce que j’avais devant mes yeux n’était jamais vraiment ce que je voulais.
Au fond de moi, à 8 ans je ne savais déjà pas comment choisir.
Depuis, j’ai grandi, le temps du collège, du lycée même est passé, si long quand on y est, si loin quand on en sort.
Et pourtant, ce problème critique de choisir persiste, et non plus au restaurant où j’ai maintenant trouvé mes goûts (-sushi ou rien-) mais bien dans d’autres faits aussi insignifiants que tourner à droite ou gauche dans un parc, prendre ce pull bleu marine ou vert, prendre la sortie 2 ou 3 du métro, quelle musique le matin dans le casque, quel film aller voir le prochain moment libre…
Comme si je me posais un catalogue de questions à chacun de mes gestes, chacune de mes actions que je devais effectuer, imaginant mille montagnes de conséquences.
C’est super chiant de pas être sûre de soi dans ce qu’on décide, d’être le cul entre deux chaises comme qui-dirait. Ce truc lancinant qui prend un malin plaisir à venir s’imposer dans mon esprit dans ces moments blancs où les conséquences pourtant, de telles ou telles options seraient minimes.
Certes je finis par choisir, en quelques secondes ou longues minutes selon l’enjeu, mais le réel handicap subsiste parce que je ne peux m’empêcher de revenir dessus.
De construire des fugitives images de ce qu’aurait été le moment si j’avais décidé d’appuyer sur l’autre option.
De répondre à ce mec qui me demandait une cigarette et lui demander son prénom plutôt que lui dire non.
Combien de temps j’aurais pu gagner dans les magasins de souvenirs où mes yeux ne cessaient de parcourir les quelques cadeaux-sélections rassemblés difficilement, heureux objets passibles de finir dans ma valise ?
Combien d’heures auraient pu m’être offertes si j’avais su me décider où aller les dimanches ensoleillés dans paris ?
Alors je me rends compte que je fuis, je contourne les occasions de rencontrer ces méchants points d’interrogations.
Je joue à cache-cache, je fonds :
-« Mais non choisis toi plutôt j’te dis
-« Sûr ? Alléééé dis moi ce qui te tente le plus
-« Vas- y , je te suis t’inquiète … !
(Ah quelle erreur de croire que même tes meilleurs amis peuvent deviner qu’à ce moment-là tu n’as pas envie d’aller boire un énième verre mais plutôt de t’incruster dans un bar latino pour danser comme on devrait vraiment danser, avec tout le corps et pas juste les mains dans les cheveux ?)
La faute à qui alors ? Peut-être ne suis-je pas entièrement responsable, peut-être que c’est le trop plein de possibilités, de visuels, d’envies suscitées par tout ce qui nous entoure dans chaque endroit où on se rend qui semble me chuchoter à chaque fois :
« regarde ce que tu pourrais avoir, regarde ce que tu pourrais faire »
Miserdise des petites choses.
Car j’en suis pleinement consciente, ce débat intérieur n’est pas du tout constructif, ni agréable, ni quelqu’intéressant que ce soit puisqu’à cause de lui, je maudis mon engluement perpétuel dans ces « non–choix ».
À quoi bon alors ? Chance ou frein à notre pensée ce questionnement sans vraie fin ?
La vie quotidienne (qui a, je le pense sincèrement, ses bons côtés) serait donc alors réduite à un puzzle de choix, petits ou grands, voulus ou pas qu’on met bout à bout le plus vite possible, avec du scotch double face pour être sur de se faire un bon chemin solide pour la journée ?
Mais la v-i-e, le frisson sans fin promis par notre imaginaire et par les petits bouts qu’on en reçoit.
La vie en grand, tel qu’on se la raconte toujours, un peu plus brillante que celle d’aujourd’hui est elle aussi résumée à ces fameux choix ?
J’aimerais que non.
J’aimerais me laisser porter par une volonté sans nom qui choisirait pour moi, mais pas sans moi.
À bon entendeur.