Un week-end de pluie à la campagne en famille, on était en mission pour acheter La Dépêche du Midi chez le buraliste et j’en ai profité pour prendre un coloriage Petit Ours Brun, un hors série sur la vie de De Funès et un magazine de mode enfant avec un dossier spécial sur le corps et « trouver son chemin, aussi parfait qu’imparfait ».
Evidemment, Petit Ours Brun m’a pris tout mon temps et j’ai à peine eu le temps de m’endormir sur le dossier qui m’intéressait. L’édito société est plutôt complet et alarmant avec les effets du diktat de la minceur sur des petites filles au régime de plus en plus tôt et des complexes fous qui arrivent dès 5 ou 6 ans. Je suis entièrement d’accord avec l’article sur le fait qu’on ne donne pas assez de rôle modèles variés aux petites filles mais là où je me suis étouffée c’est que leur conclusion était que c’est aux mères d’être mieux dans leur peau pour donner au modèle positif à leur enfant. BEN VOYONS. Attendez c’est pas fini ! Ils écrivent là noir sur blanc que c’est aux mères de montrer qu’on peut être « épanouie sans rentrer dans les codes de la féminité parfaite des magazines » et terminent par « vous savez ce qu’il vous reste à faire ».
En résumé un magazine parfait nous dit que c’est à nous de faire un effort pour que nos filles, traumatisées par les magazines parfaits, ne deviennent pas complexées à mort.
Encore une fois : la faute de la mère. (vous allez vraiment finir par trouver que je me répète)
Franchement énervée, je suis allée me coucher en laissant le magazine sur la table du salon pour m’y repencher à froid le lendemain.
A froid, penses-tu.
Ma belle-soeur (qui avait eu une insomnie et avait lu tout ce qui traînait) m’attendait de pieds fermes, le dit magazine dans la main « C’EST QUOI ÇA ? DANS QUEL MONDE ILS VIVENT ? ».
« Mais moi j’aime bien regarder les habits, me tape pas »
Et mon mari d’enchaîner « MAIS ELLE EN A PAS ASSEZ DES HABITS LÀ LA GOSSE ? »
Bref, j’ai fini en boule dans un coin du canapé avec mes tartines beurrées à me demander pourquoi j’avais acheté ce magazine à la con et qui je choisirai dans nos rôles quand Bacri réalisera un film sur ma vie. (Yolande Moreau)
Enervée, j’ai envoyé mon mari et ma fille jouer dans le poulailler pour finir de regarder ça sans insulter tout mon entourage. Et j’ai compté. J’ai compté et sur les 12 mères présentées dans le magazine, il n’y en a pas une qui ne fasse pas un 36, qui n’ait pas de beaux cheveux longs et qui ne soit pas blanche. Pire, les femmes interviewées sur plusieurs pages pour parler du rapport au corps chez les mères sont toutes les deux mannequins et l’une d’elle s’est reconvertie en prof de yoga pour retrouver son corps grâce à la respiration.
Des rôles-modèles réalistes pour aider les mères et les filles à être bien dans leur corps, on est d’accord.
J’ai continué de compter les enfants présentés dans les éditos (donc toujours hors publicités). Je vous passe le nombre de petit.e.s blond.e.s mais par contre 0 enfant en surpoids, 0 appareil dentaire ou oreilles décollées et 0 enfant noir - franchement heureusement qu’il y avait 3 métisses et 1 albinos pour la diversité sinon on aurait pu croire que ce magazine était parfait.
Mais bon c’est la faute de la mère qui est mal dans sa peau si des gamines de 6 ans complexent. Pas des médias. Franchement, elles pourraient pas y mettre du leur un peu les mères ? Allez, body-positivisme là !
Enfin body-positivisme… Soyons réalistes, le mouvement vendu par les magazines féminins n’a rien à voir avec les filles incroyables* qui se battent pour se faire entendre sur les réseaux sociaux. Ici on parle de filles minces qui se sont trouvées un peu grosses pour la première fois de leur vie, pas de filles grosses qui sont encore plus grosses - la double-peine c’est votre problème.
On est bombardées d’exemples de mères de familles biens dans leurs courbes. Trois mois cachées dans une grotte avec leur coach et elles ne réapparaissent sur Instagram que quand elles ont des abdos et des fesses rebondies « oh ça ? Non, c’est le lait de soja et le pilates, j’ai un très bon métabolisme et j’adore les graines de chia ». Comme c’est sur le ton de la bonne copine instagram c’est forcément la vraie vie !
Et toi t’es là avec tes hormones qui font Space Mountain, tes vergetures et ta cicatrice de césarienne qui refusent de s’estomper. J’ai mis 32 ans pour m’habituer à mon corps d’avant, 9 mois à supporter ces changements et ce ventre et VLAM d’un coup je suis étrangère à mon propre corps. La seule image que j’avais et que je répétais en boucle à mon mari ou mes amies « mon corps a fait la guerre, je ne contrôle plus rien ». Je suis en mode survie et les médias me parlent de graines de chia et de pilate.
Bon alors on triche, on fait illusion et on quitte le legging et le shampoing sec quand il faut sortir et affronter le monde. Avec la magie des gaines, des jeans taille haute et des chemises vaporeuses, on camoufle pas mal tout ça. Mais il reste une chose qui ne trompe jamais concernant le passage nullipare/mère : la vendeuse de Sephora qui - au lieu de vouloir me parfumer comme à leur habitude - m’a proposé de chercher avec moi un anti-cernes orange pour (je cite) mes cernes noires et profondes. Ça m’avait achevée. J’abandonne. Laissez-moi là, je vais vous ralentir.
J’imagine que vu que je ne suis pas à l’aise avec mes cernes NOIRES ET PROFONDES, ça sera donc de ma faute si plus tard ma fille est complexée par son oreille gauche décollée. Et il a forcément un article dans un magazine quelque part où Gwyneth Paltrow nous explique qu’elle est adepte du concombre, de l’huile de coco et de 8h de sommeil pour contrer les poches sous les yeux et les ridules.
Je ne comprends pas.
Vraiment je ne comprends pas qu’aucune fille n’ait jamais mis le feu à un buraliste au mois de mai devant les couvertures « -3kg avant l’été, c’est maintenant ! ». Au lieu de ça on courbe encore un peu plus le dos avec toujours plus de culpabilité et de poids à porter.
C’est drôle cette expression de poids de la culpabilité, de poids sur les épaules.
Comme si ce poids allait s’envoler en même temps que le poids autour de nos cuisses : tir groupé sur les kilos, on sera heureuse quand on sera mince !
Ce qui me rend le plus zinzin ? Le sexisme jusque dans la grossophobie des médias. Y’a qu’à voir tous les articles et diaporamas qui ont pullulé sur la mode du « dad bod’ ».
Le dad body (pour daddy body, le corps du père de famille lambda américain) est à la mode parce que Di Caprio se tape des mannequins de 18 ans tout en ayant un gros bide de bière MAIS IL N’A JAMAIS EU D’ENFANT ! Appelez ça un beer bod’ ou un magret-frites bod’ et valorisez le autant chez nous au lieu de zoomer comme des connards sur les cuisses de Sharon Stone, 60 ans, à la plage en la traitant en couverture de cougar cellulitée.
Je n’en peux plus de la presse.
Si je suis mal dans ma peau et mes kilos de grossesse, on va me faire me sentir coupable de pas être assez body positive et de ne pas donner le bon exemple. Si j’assume mes bourrelets, alors là je suis fainéante et inconsciente de prôner le gras car c’est bien connu, les grosses sont toutes en mauvaise santé et malheureuses. Lose-Lose.
L’été arrive et quand on a déjà dépassé le 44 on sait ce que ça veut dire : les cuisses vont frotter jusqu’à brûler et la vendeuse Zara qui dira que « désolée, tout est en rayon mais essayez le M il taille grand » (Pourquoi je ferai ça ? Le plaisir de pleurer dans la salle d’essayage ?). Ô joie. Vivement.
Et si on se serrait les coudes cette année ?
On va se refiler entre grosses le bon plan pour les cuisses : se tartiner de crème Akileine Nok (vous me remercierez en juillet tkt) et maintenant achetez sur internet et faites un apéro essayage avec une copine et une bouteille de vin blanc. Tout est bon pour se remonter le moral entre nous et prendre soin les une des autres - parce que le bonheur ce n’est pas 3kg en moins, c’est 3h à rire avec mes potes autour de rillettes et de brie.
C’est fini de donner des thunes aux magazines féminins et aux grandes enseignes qui fabriquent en Chine leurs t-shirts féministes pour surfer sur la vague de révolte qui gronde. Broderie, ciseaux et peinture textile, le DIY sera mon arme cet été pour crier que mes copines et moi on en a ras le yoyo. Et you’re gonna hear us roar.
Des exemples de comptes instagram : theutoptimist_soeurvulverine (FR), Megan Jayne Crabbe et Jessamyn