Mon mec à 41 ans. Treize de plus que moi. Je ne l’ai pas cherché. Être avec quelqu’un de plus vieux je veux dire… Et je n’ai pas de problèmes avec mon père non plus, je vous vois venir. Beaucoup de gens pensent que la différence d’âge n’est pas importante dans un couple. C’est plutôt vrai, bien que de cet écart générationnel découlent souvent d’indéniables complications. J’avais envie de vous raconter les miennes.
Le truc à savoir avec les quadragénaires, c’est qu’ils sont comme nous, mais en plus déglingués. Très concrètement parce qu’ils trainent dix ans de casseroles de plus que nous. Elles s’appellent souvent « mariage », « divorce », « enfants », parfois tout en même temps, ou rien de tout ça, juste une décennie de plus d’histoires foireuses dans les dents. Certaines de ces histoires mordantes ont laissé sur leurs peaux quelques profondes traces de crocs. Indélébiles j’en ai peur. Au début on ne voit pas la différence d’âge, on pense que ces quelques années d’écart ne viendront pas assombrir un si joli tableau. Ce n’est qu’un jour, au détour d’une dispute, qu’elles deviennent soudainement un problème et au nom d’une autorité suprême paternaliste on se prend dans la face un violent : « T’es trop jeune pour comprendre ». Fin de la discussion. C’est moche de dire ça parce ne pas encore avoir d’ex-mari cinglé ni de mal de dos chronique n’a jamais protégé de la merditude des choses. Les quadras ont l’art de rendre tous leurs problèmes plus important que les tiens. Il faut admettre toutefois que cet argument parfaitement insupportable n’est pas aussi absurde qu’il n’y paraît ; après tout, c’est vrai qu’on ne sait pas ce que c’est d’avoir 40 ans tant qu’on n’a pas 40 ans…
Les quadras ont donc parfois cette dommageable tendance à donner des leçons. Hélas ils ne sont pas seuls. Autour de moi, prêts à dégainer, il y a d’autres moralisateurs bien infiltrés pour juger de ma relation. On aimerait tous être au dessus de cette tyrannie du jugement d’autrui, personnellement je n’ai pas encore atteint ce stade de sagesse. Dans les yeux de mes parents j’ai lu quelque chose comme : « Ma petite fille, tu vas encore te vautrer ». Pour leur décharge, ils ont été les témoins impuissants de tous mes déboires amoureux passés donc je leur pardonne leur pessimisme. Je pourrais être aussi compréhensive avec mes potes, sauf que certains ont la gâchette trop facile à mon goût. Les filles ne sont pas toujours tendres, elles peuvent canarder dur, mais elles ont au moins le mérite de faire preuve en général d’un peu plus d’empathie que les garçons à défaut d’avoir toujours du tact. Mes amis mâles, eux, se permettent en toute décontraction de partager avec moi leurs soupçons scabreux sur ma relation : « Je ne le connais pas hein, mais ça ne me plait pas trop que ton mec est quarante ans ». Pourquoi ? On ne le saura jamais. Plus vieux donc, potentiellement plus nuisible apparemment, si tenté que le carré de la longueur de ta connerie est égal à la somme des carrés des longueurs de tes années d’existence. Mieux vaut ne pas chercher à trouver un sens la dedans… J’ai entendu aussi des « méfie toi, je suis un mec, et je les connais ces mecs » ou « j’ai un pote de pote… » (Celle-là est souvent suivie d’une histoire qui n’a strictement rien à voir avec la mienne), on encore « je dis ça pour ton bien ». Qu’est-ce que tu veux répondre à ça ? Si ce n’est que si je dois me ramasser, je me ramasserai, et je peux déjà te dire que ce sera exactement dans le même trou noir et triste où tu te ramasseras aussi quand ta meuf homologuée t’aura larguée. Les déceptions amoureuses n’ont pas d’âge. Connard.
Un autre truc compliqué quand ton mec à 40 ans, c’est qu’a priori ses potes aussi. Assumer ta courte et chaotique expérience de vie face à lui est une chose, mais en face d’un bataillon de quadras t’as intérêt à avoir sacrément confiance en toi. Evidemment, beaucoup de choses entrent en jeu qui ne sont pas forcément liées à l’âge. Si tu passes après « la grande ex » par exemple, l’accueil qui t’est réservé dépend évidemment un peu de l’estime qu’ils avaient pour elle, de l’état de ton mec après elle etc. Une simple présentation peut parfois prendre des proportions étranges, comme la veille d’une rentrée des classes – t’as mal au ventre et tu fais des rêves chelou où t’es à poil quelque part où tu ne devrais pas être. La peur d’être inconsidérée et mal aimée paralyse parfois. Alors on n’est pas toujours soi même, on tâtonne et on se fout trop la pression. Pourquoi ça va dans ce sens là et pas l’inverse ? Surement parce qu’on a plus de trucs à prouver à 30 qu’à 40 ans. Bon, ça peut aussi très bien se passer, même si cette barrière intangible est et sera toujours là – celle liée à l’expérience de vie que tu n’auras que dans quelques années, quand ils seront tous encore plus sages. C’est comme ça, on ne rattrape pas le temps qu’on a pas encore vécu. Et puis merde, il manquerait plus que ça qu’on est envie d’être vieux… D’ailleurs, on oublie trop souvent que cette jeunesse parfois difficile à assumer est aussi un super pouvoir au milieu de ses vieux grisons. Les raisons pour lesquelles les quadras nous prennent parfois de haut sont aussi celles pour lesquelles ils nous veulent à leurs côtés. À la recherche du temps perdu comme disait Marcel. On est jeunes et cons alors qu’eux sont seulement vieux et cons. Au fond, crois moi, ils nous envient un peu.
Dans tous les bouquins sur les relations sentimentales, il y a forcément des chapitres un peu trop longs et pas très clairs avec un titre chiant du genre : « De l’art de la communication ». C’est de loin ce qu’il y a de plus dur dans toutes les relations amoureuses, et cela va sans dire avec les quadras c’est encore moins de la tarte. Faut-il rappeler que ces mecs ont quand même vécu 25 ans sans internet et sans portables ? Ils font parti de cette génération qui a vécu des relations à distance sans autre moyen de communication que LA POSTE. Qui donnait des rendez-vous téléphoniques dans des cabines, qui a voyagé sans iPhone, qui n’utilise Google Maps qu’en cas d’extrême perdition et qui déteste communiquer par texto (qu’ils écrivent d’ailleurs à un seul doigt). On aurait rien contre l’idée de recevoir des foutues lettres à la limite, mais du coup ils ne font plus ça non plus. Juste pour dire : le fossé est immense et le dialogue forcément laborieux avec une génération comme la nôtre, scotchée à son téléphone. En tout cas, sortir avec un type de dix ans ton aîné, c’est pas forcément plus difficile qu’avec un mec de ton âge, c’est juste difficile d’une autre façon parce qu’on ne parle pas toujours le même langage. Les gens me demandent parfois ce que je fous avec un « vieux con » – comme il se qualifie lui-même les jours de grande lucidité – je leur réponds simplement de regarder autour d’eux et de constater qu’ailleurs c’est tout aussi compliqué. Et puis évidemment, il y aussi des avantages à sortir avec un quadra. Mais ce n’est pas l’histoire que j’avais envie de vous raconter, et qui a envie de lire ça de toute façon…
Si tenté qu’un quarantenaire égaré s’est retrouvé à lire ce texte sur Retard, ne te sens pas insulté, je sais que toi aussi tu aurais beaucoup de choses à dire sur les filles de mon âge… Je ne parle ici que de mon expérience personnelle et de celles de filles autour de moi qui ont vécu des histoires avec des mecs qui en étaient à ce stade particulier de leur vie. De ce que j’ai pu observer, je dirais que ces grands garçons sont un peu des sortes de vieux trentenaires qui n’ont pas vu venir la crise existentielle. Je t’épargne le chapitre bien cliché sur la peur de vieillir et de mourir qui explique pourtant parfois la girlfriend de dix/quinze ans de moins. Les quadras sont souvent un peu plus paumés qu’ils ne veulent bien l’admettre. Des sortes de grands blessés de guerre, des « soldats de l’amour » comme dirait Sade. Alors oui, c’est sûrement aussi la raison pour laquelle on les aime. Par goût de l’uniforme…
Il y a un certain nombre de déserteurs dans leurs rangs, ceux qui trahissent quelques promesses pour revenir un tout petit peu en arrière et goûter à nouveau à quelques illusion perdues. C’est là que tu interviens : à la réception du parachute troué. Certains prétendent au combo gagnant, le beurre et l’argent du beurre à savoir leur femme et la fille de mon âge. D’autres ne choisissent que la jeunette. Cette échappée parfois salvatrice intervient pour un certain nombre quand la trentaine les abandonne. Heureux hasard ? Peut être. D’autres crieront à la crise de la quarantaine. Je penche pour cette explication. D’ailleurs, sortir avec un quadra implique de flirter dangereusement avec ce marasme existentiel. Personnellement, j’ai parfois l’impression d’y être comme si j’y étais et je n’ai que 28 ans.