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lundi, 02 avril 2018

Ode à la fainéantise

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J’aime ne rien foutre. Et quand je fais quelque chose, je rêve que je ne fous rien. Quoi qu’il arrive et quoi qu’il se passe, je ne pense qu’à ce moment de la journée où je pourrais enfin glander devant la télé, affublée de mon jogging qui pue et de mon casque à bière.

J’aime ne rien foutre car ça m’assure l’assurance qu’on ne me demandera rien. Passé 19h, on sait qu’il ne sert strictement à que dalle de me demander quoi que ce soit. Et vous savez pourquoi? Parce qu’on sait que ma fainéantise est sacrée, belle et glorieuse et que rien ni personne ne lui arrive à la cheville.

J’emmerde l’effort, j’emmerde la compétition, et j’emmerde par dessus tout la société qui exige que j’en fasse toujours un peu plus, avec à la clef le désir illusoire d’être quelqu’un. Je ne suis absolument personne et guess what, ça me convient très bien.

Si je poussais l’étude de ma personne, je pourrais dire que mon besoin de glande vient probablement de mon enfance, quand on «m’encourageait» à ces débiles cours de violon. Des heures et des heures à me péter les doigts sur les cordes devant des partitions qui finissaient par me faire loucher à forcer de me concentrer sur ces notes de cons. Mais ma fainéantise de croire aux effets de la psychanalyse me fait dire qu’en réalité, j’ai toujours été une môme qui préférait juste attendre la mort en bouffant des tartines. Et c’est sans doute là le plus grand regret de ma vie pour le moment: ne pas avoir assez rien foutu pendant ces trente dernières années.

Maintenant je sais jouer des airs tziganes qui font chier les couples dans des restaurants romantiques à deux balles. Super. Ça en valait trop la peine. Quitte à perdre mon temps, j’aurais préféré que ça se passe le nez rivé sur la millième rediffusion de Sissi l’impératrice.

La fainéantise, ça n’est pourtant pas la démission de son propre être, mais sa complète réappropriation (oui, j’avais envie de caser une phrase profonde qui claque). Parle moi de productivité et je risque très probablement de m’écrouler d’inanition à tes pieds. Tout ce trop plein où l’on te demande d’être partout et nulle part, souvent pour les autres, rarement pour toi. J’aime ces moments où il ne se passe que du vent dans ma vie. J’y peux pas grand-chose, j’aime le vide. Pendant trop longtemps, j’ai couru après le temps, en essayant de le remplir aussi merdiquement qu’il est possible de le faire. Et ça, c’était encore plus triste que de me voir aujourd’hui me gratter la chatte un dimanche matin devant un vieil épisode des vacances de l’amour sur Youtube.

Duchamp ne parlait pas de paresse, mais d’indifférence. Je crois que c’est ça. Je suis indifférente à tout ce qui se passe de près ou de loin. Indifférente à l’action, indifférente au résultat. Que ça me propulse sous les feux des projecteurs, l’idée me claque l’effroi. J’y peux pas grand-chose, l’obscurité me sied au teint. C’est même pas pour une quelconque passion de la lose, je réussis très bien mes gâteaux au yaourt, et au final, je trouve que c’est déjà beaucoup. De toute façon, comme le dit Max Black, je suis trop pauvre pour avoir peur du succès. C’est juste qu’il n’est pas mon moteur.

Mais n’allez pas croire que je n’admire pas les femmes qui arrachent leur réussite à la gueule de celles et ceux qui ont refusé de croire en elles. Je crois que c’est avant tout une question de personne. T’en auras qui vont bouger de montagnes pour s’assurer leur place au sommet, et moi, juste rester à la base du truc parce que courir, ça me file des points de côté.

Une histoire d’accord avec soi-même. Prendre son temps et faire les choses. Tranquillement. Des choses qui nous ressemblent. Et pas ce que la société nous impose. Je suis féministe, mais pas pour engraisser le système. Je suis une grande naïve, je me dis qu’on peut encore essayer de dessiner une époque où chacune trouve sa place avec ses envies et ses moyens. Que ce soit pour décrocher les étoiles, ou attraper le dernier paquet de chips onion and cheese. Aller à l’encontre de son destin, sortir de son cadre préétabli. Je crois pas à une quelconque fatalité, mais plutôt à un retour au calme. La fainéantise, de toute façon, c’est pas fait pour durer. Mais parfois ça peut éviter de se planter. Duras parlait du trop plein. C’est un peu ça. Virer ce dont on a pas besoin, sorte de retour aux sources. Garder que l’essentiel, somme toute.

stenia

Stenia est née en 1987 et a une affection particulière pour ses chaussons chauffants. Passionnée de punk et de chanteuses gueulardes, on avait repéré son super boulot de journaliste sur twitter et on s'est permis de lui écrire un petit mail un peu suppliant (on a pas de face, kesstuveux). On est ravies que cette plume douée ait rejoint l'équipe, parce qu'on apprend toujours des trucs, et on les apprend de manière chouette, quand on lit les papelards de Stenia.

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com