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lundi, 21 mai 2018

Pas aimable

Par
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En fait, avoir des parents c’est comme avoir des reins : quand t’en as deux, t’es même pas vraiment au courant qu’ils existent. Genre, ils sont là quoi. C’est cool. C’est normal. C’est la vie quoi. On va pas en faire tout un plat non plus. Deux reins, deux parents. RAS.

Quand t’en as qu’un, tu commences à mettre le doigt sur l’importance du truc. En fait, ça sert à vivre. Mais genre vraiment : à vivre. Et euh, ben qu’un seul, c’est déjà vachement moins l’éclate que deux mais ça reste ok.

Et puis y’a ceux qu’on juste zéro rein. 0. Niet nada. Aucune entrée dans l’inventaire.

Et là, en fait, ben euh… Si on te greffe pas très vite : tu meurs.

Par contre ce qui est cool avec les reins, c’est que c’est une greffe relativement (RELATIVEMENT) facile. On peut vivre avec un rein qui n’est pas le sien. Moins bien qu’ « avec deux tiens » c’est évidement mais « un tu as » reste un deal jouable.

Et c’est un peu pareil avec les parents : tu peux vivre avec un seul parent même si ce n’est pas vraiment le tien (famille monoparentale, adoption… ) du moment que quelqu’un t’aime mais zéro parent, ça donne un peu envie de mourir.

Je suis l’enfant non désirée d’un couple qui ne s’aimait pas.

Je me souviens que quand j’étais enfant et que j’étais allongée dans mon lit, les yeux ouverts dans le noir, étouffée par la solitude et le chagrin j’avais l’habitude de ramener les années de ma vie aux 24h d’une journée :

« Admettons que je vive 80 ans et que ces 80 ans soient les 24h d’une journée. J’ai 10 ans, ça veut dire que sur l’horloge de ma vie il est un peu moins de 3h du matin. »

Je me disais, pour me rassurer, que j’étais encore dans la nuit de ma vie et que c’était pour cette raison que les choses me paraissaient si sombres : que l’aube ne s’était pas encore levée et qu’il est difficile de trouver de l’espoir, seule, dans le noir au milieu de la nuit. Je me disais que c’était sans doute normal d’être aussi triste. De se sentir aussi seule. Je me disais qu’un jour, je sortirai de la nuit de ma vie.

L’histoire de mon père et de ma mère n’est pas une histoire d’amour. Ma mère avait 17 ans quand elle a rencontré mon père qui en avait 31. Elle vient d’un milieu très pauvre (elle est presque analphabète) et lui d’un milieu beaucoup plus aisé. Elle s’est dit que c’était sa chance, cet homme qui avait les moyens de lui donner un peu de confort et lui, de son côté, sortait d’une histoire avec une autre femme qui l’avait dévasté et n’avait pas envie d’être seul. Ils ne sont pas restés ensemble très longtemps après ma naissance : ma mère mentait beaucoup et mon père la battait souvent. Après leur séparation, ma mère a rencontré un dealer dont elle est tombée amoureuse et s’est tranquillement mise à l’héroïne. Mon père, de son côté s’est remis à courir le jupon sans plus se soucier d’avoir une fille quelque part.

J’ai été seule jusqu’à mes 6 ans et demi auprès de ma mère qui ne se levait pas même pour me faire à manger - trop défoncée. J’ai donc appris à cuisiner au son vu que j’étais plus petite que la gazinière et je jouais avec des bouillons cube en guise de Lego.

A cet âge-là j’aurai dû être au milieu du CP. Comme je n’allais pas à l’école, la DDASS s’en ai mêlée et j’ai finalement été confiée à mon père.

Quelques semaines après que je sois allée vivre avec lui, il s’est mis avec une femme qui avait déjà une fille. Comme sa femme buvait beaucoup, avec le temps, il s’y est mis aussi lui aussi. Et évidemment ça n’a pas adoucit ni sa misogynie ni sa violence.

Jusqu’à mes 18 ans j’ai grandi entre cet homme à la main leste, trop égoïste pour s’occuper de sa fille et cette femme qui ne pouvait pas m’aimer parce que j’étais l’enfant d’une autre et qui souffrait et de ma présence et de devoir m’élever.

Mais c’était il y a longtemps et maintenant je suis une grande personne qui paye des impôts.

J’ai coupé les ponts avec les gens avec qui j’ai grandis depuis des années. Dans mon entourage, certaines personnes ne comprennent pas pourquoi j’ai décidé de ne plus les voir. On me dit parfois que je regretterai quand ils seront morts. Et c’est vrai que cet homme et cette femme dont je porte les gènes ne sont pas morts : ils ne sont simplement jamais devenus des parents.

Et malgré mon caractère bien trempé, je pleure devant « Brave » (qui est bien meilleur que « Frozen » soit dit en passant) parce que moi « J…Je…je n’aaaauraiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ja… Ja…Jamais de m… De maam… De maaamaaaaan qui m’aiiiiiiiiiime se mouche». Et j’ai honte d’être incapable, à mon âge, de dépasser ça. J’ai honte d’être cassée. Et tous les jours j’ai honte d’être aussi lamentable de ne pas réussir à aller mieux alors que tant de gens ont bien plus de raison de souffrir que moi.

Et je ne crois pas qu’un psy y puisse quoi que ce soit : aucun psy au monde ne peut réparer le fait que je n’ai pas de famille. Aucun psy au monde ne peut changer le fait que ni ma mère ni mon père ne m’aiment.

Ça ne m’empêche pas de faire beaucoup d’efforts, tous les jours, pour essayer d’être une personne meilleure que moi-même (ça ne marche pas toujours). Parce que je suis convaincue que si tout le monde faisait plus attention aux autres, le Monde serait un bien meilleur endroit (oui, je le pense vraiment, non je ne me présente pas à Miss France, non n’insistez pas).

Et c’est la raison pour laquelle j’écris cet article aujourd’hui, même si je suis mal à l’aise d’exposer aux yeux du monde les petites misères de mon existence. Je me dis que peut-être, si je partage mon expérience, cela fera réfléchir sur le fait d’avoir des enfants. Sur l’engagement que ça devrait être. Sur les dommages que cela peut causer de ne pas être prêt à devenir parents.

Parce que j’ai l’âge où on commence à me poser la question. Parce que dans mon entourage, certains commencent à se poser la question. La question des enfants. Et en fait, je pense qu’on réfléchit mal à cette question. On ne devrait pas se demander « Est-ce que je veux des enfants ? » mais « Est-ce que je suis capable d’être un bon parent ? », « Est-ce que je comprends ce que cela implique ? » mais aussi « Est-ce que mon/ma partenaire ferait un bon parent au-delà de mon attachement pour cette personne ? » … Parce qu’on peut aimer quelqu’un. L’aimer absolument. Même si cette personne est particulièrement dysfonctionnelle. Mais je pense qu’il est du devoir de chacun de prendre du recul sur soi et sur la personne avec qui l’on est et de considérer que la durée de vie d’un enfant c’est du même ordre que celle d’un perroquet : dans les 80 ans (à priori ça nous survivra ou du moins c’est comme ça qu’on prévoit le concept). Et qu’en mettant au monde un enfant, on devient sa première référence. On devient la Mesure du Monde. Et si cette mesure n’est ni la seule ni définitive, elle reste la première sur laquelle chacun se construit.

Aujourd’hui il est 9h du matin sur l’horloge de ma vie et je me sens toujours seule. Toujours. Seule. Et triste. Et abandonnée. Et tous les jours, je pense à la mort qui est, pour moi, une idée agréable, une rêverie. Comme le rivage après un long naufrage. Parce que je trouve que la vie n’est pas si formidable que ça.

Ce qui me rend coupable du crime de ne pas aimer vivre. Ce qui est socialement très très mal vu.

Crime d’autant plus impardonnable je suis blanche, blonde et valide, que je vis à Paris dans un appartement très mignon et lumineux auprès d’un homme qui – selon ses dires – m’aime et que j’ai des amis formidables – qui eux aussi disent m’aimer. Très objectivement, environ 99,99% de la population mondiale a beaucoup BEAUCOUP beaucoup moins de chance que moi. Et j’en ai conscience. J’imagine que beaucoup pensent que je suis dépressive et ils ont peut-être raison.

Toujours est-il que je ne me sens pas aimée. Je ne suis sûre de l’amour de personne. Jamais.

Et je suis à peu près sûre que tu ne comprends pas ce que je veux dire quand je dis ça… Le genre d’impact tragicomique que ça a. Et c’est normal d’ailleurs (et je te souhaite de tout mon cœur de ne pas comprendre en fait et si tu comprends ben je suis de tout cœur avec toi parce que c’est assez nul comme truc). Je vais te donner un exemple très anodin et très concret, ce sera plus simple.

Quand j’avais 15 ans, j’avais un pote qui s’appelle Jules (oui il s’appelle Jules parce qu’il est pas mort entre temps et donc il « s’appelait » pas). Et ce mec un mardi après-midi de mars me tapote l’épaule à la fin d’un cours de math pour me dire qu’en français il faut qu’on se mette à côté parce qu’il veut me parler d’un truc. réunion d’état-major sur fond d’étude détaillée de « La Peau de Chagrin » son anniversaire tombe le we suivant et il veut organiser une soirée chez ses darons. Il a besoin que je lui file un coup de main pour l’orga : qui inviter, quoi acheter, en quelle quantité, emprunter les CDs de qui. Bref. Une soirée dans les années 2 000. Sa fête était prévue pour le samedi soir. Grosse ambiance en perspective.

Le lundi matin suivant arrive, Jules laisse tomber son sac Eastpack sur le bureau vide à côté du mien et reste debout à me fixer. Vu comme il a l’air vénère, j’en arrive assez rapidement à la conclusion que j’ai dû faire quelque chose qu’il ne fallait pas.

« Putain mais t’étais où samedi soir ?! T’es même pas venu à ma soirée ! On avait tout prévu ensemble et même pas tu t’es pointée ! C’était mon anniversaire quand même !»

« Mais Jules, tu ne m’as jamais invité. » lui ai-je répondu avec le premier degré absolu qui me caractérise dans ce genre de situation.

Il s’est assis. Il m’a regardé. Et dans ses yeux j’ai lu que j’étais une grande malade irrécupérable.

Voilà. Ma vie ressemble à ça. On peut mettre cette scène en boucle.

Je passe mon temps à penser que je vais déranger, qu’on sera mécontent si je téléphone. Que je ne manquerai à personne si je ne viens pas et que de toute façon tout le monde serai sans doute bien plus tranquille si je ne suis pas là. Que ce serait sûrement un désagrément pour ma pote Axelle si je lui proposais de venir boire le thé chez moi (on est amie depuis 15 ans) ou que ça va faire chier Pimp’ si je lui propose une soirée (un très bon ami avec qui j’ai habité presque 4 ans en coloc’). Et bien sûr, si mon mec est avec moi c’est parce qu’il se sent vieillir et qu’il avait envie de se poser mais pas vraiment parce qu’il m’aime moi (le mec a quitté son taff et traversé toute la France pour qu’on habite ensemble).

Mes amis sont des miracles qui continuent de m’appeler et de m’écrire alors que je ne le fais jamais – parce que je pense que ce serai étouffant pour eux si je le fais.

Je sais que mes amis tiennent à moi. Je le vois. Genre, d’un point de vu intellectuel. Objectivement. Il est assez évident qu’on te fait pas un super cadeau d’anniversaire si on en a rien à foutre de toi (sauf si tu es vraiment super bonne et/ou riche sur le point de clamser: et clairement, je ne rentre dans aucun des deux cas). Et tout le piquant de cette situation réside dans le fait que savoir que mes amis tiennent à moi ne m’empêche pas d’être convaincue qu’en fait c’est sûrement une fausse impression de ma part. Que j’ai mal interprété leurs intentions (peut-être qu’ils se sentent obligés d’être gentils avec moi mais qu’en vrai ça les saoule) et qu’il vaut quand même mieux que je les laisse tranquille et que j’interfère le moins possible avec eux.

Un peu comme sur un hologramme : je vois très bien les trois dauphins qui bondissent hors de l’eau MAIS AUSSI le chaton dans l’herbe. Et c’est particulièrement fucked up. Parce qu’en dehors de rendre ma vie assez dégueulasse, c’est pas juste non plus pour les gens qui m’aiment vraiment, que je remets en permanence en question et dont, sans en avoir l’intention, je dévalorise les actions.

Alors voilà : ma vérité la plus sincère est que je n’ai pas choisis de naître et que si j’avais pu décider, j’aurai préféré ne pas venir au monde. Parce que les gens qui m’ont eu n’avait pas de place pour moi. Ni dans leur vie ni dans leur cœur. Et la trajectoire de ma vie, malgré toute ma bonne volonté et tous mes efforts, est teintée par leurs manques. Et ni mon mec ni mes amis, aussi généreux et patients qu’ils puissent être, n’effacent pas ce vide d’amour qui me remplit et me noie. Parce qu’avant même que je sache lire ou compter, on a commencé par m’apprendre que je ne valais pas la peine qu’on m’aime ou qu’on prenne soin de moi. Et de la même manière qu’on se souvient tous, qu’on le veuille ou non, des comptines de notre enfance, moi, ce qui raisonne au fond de mon cœur c’est qu’on ne peut pas m’aimer.