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jeudi, 07 juin 2018

Passion Multipla

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Mon intérêt pour le Multipla a commencé par de simples blagues, la première fois que j’ai vu cette voiture et son bourrelet inesthétique l’année passée. Au même titre que les claquettes-chaussettes, le mulet et les chemises dragon, le Multipla est emblématique du mauvais goût. « On dirait deux voitures différentes collées ensemble », résume un ami. Il m’arrivait donc pour plaisanter de prétendre avoir un goût pour cette voiture, élue la moins réussi esthétiquement par Auto info, le Journal de Montréal ou encore Caradisiac. Le Multipla est un incontournable.

Puis un jour, je me suis sérieusement demandé qui étaient les possesseurs de Multipla et comment un tel design avait-il pu être approuvé. La question me taraudait. Existait-il des gens aimant sincèrement les Multiplas ? Les responsables de chez Fiat s’étaient-ils dit que ce design plairait ?

C’est ainsi que j’ai démarré mon enquête.

En 1956, le constructeur automobile Fiat sort la première génération de Multipla, basée sur la Fiat 600. Le design de la Fiat 600 Multipla fait l’objet de moqueries, car il est déjà atypique. Avec sa face avant aplatie et sa face arrière allongée, sa silhouette est l’inverse de celle des autres. En 1998, le Multipla tel que nous le connaissons actuellement apparaît, et si c’est un succès majeur en Italie, il est boudé en France et dans les autres pays. En 2004, le bourrelet est gommé : Fiat a estimé qu’il était responsable des ventes insuffisantes. Le Multipla phase 2 n’aura pas plus de succès et sa production sera arrêtée en 2010.

Sur les réseaux sociaux, les pages et groupes consacrés à la bête sont légion. Le groupe facebook Chineurs de Multipla fédère une véritable communauté qui partage tous les jours des photos de cette voiture si atypique, sans tarir d’éloges. Les textes accompagnant les clichés frôlent le lyrisme. Augustin déclare ainsi, en légende d’une photo sur laquelle il sourit devant un exemplaire rouge de ce véhicule :

« J’arpentais les rues ensoleillées de Calais lorsque que j’ai aperçu cette œuvre d’art mécanique, je n’ai pas pu résister à immortaliser ce moment ! A la fois sportif et luxueux, ce Multipla reflète la perfection. Ses courbes audacieuses, agressives et douces a la fois la rendent unique. Lorsque mon regard s’est posé sur cette divinité mécanique, toute de bronze vêtue telle une sculpture antique, le temps s’est comme arrêté. Ce sentiment de pur apaisement m’a paru éternel. Il m’a donc fallu immortaliser ce moment, de manière à m’en souvenir toute ma vie, mais aussi pour partager ce moment avec vous, adorateurs de Multipla ».

A ce stade, je me disais que l’adoration de ces gens pour le Multipla n’était, comme la mienne, que du second degré. Mais certains poussaient même la blague jusqu’à en acheter un, alors il devait y avoir plus que de la simple raillerie.

Je me suis donc intéressée à Roberto Giolito, le designer de cette voiture. J’étais curieuse de voir ses autres réalisations et m’attendais à d’autres design aussi étranges et mal-aimés. Cette enquête m’a complètement fait changer d’avis sur lui et sur le Multipla.

Roberto Giolito n’est rien de moins qu’un visionnaire incompris.

L’histoire de la conception du Fiat Multipla commence au milieu des années 1990. Paolo Cantarella, alors directeur de Fiat SPA, confie à notre designer l’étude de style d’un véhicule au cahier des charges ambitieux. Il lui faut imaginer une voiture familiale pouvant transporter 6 personnes et ayant un gros volume de coffre, mais qui ferait moins de 4 mètres de long et qui serait moins chère que les autres monospaces de l’époque. Le défi est de taille, mais Giolito ne se décourage pas. Les trois premières propositions qu’il fait sont bien plus esthétiques que le Multipla tel qu’on le connaît ; seulement, elles n’ont pas un coffre assez grand. Giolito abandonne donc ses designs futuristes au profit d’un véhicule disgracieux, mais qui correspond exactement à ce qu’on lui a demandé.

Alors certes, le Multipla a un bourrelet disgracieux. Il est à l’inverse des silhouettes allongées des voitures jugées belles.

Mais les conducteurs de Mutipla vous le diront : c’est un véhicule agréable à vivre. En tant que conducteur, il est facile à conduire : sa tenue de route est irréprochable et il est hautement sécuritaire. La position du conducteur a été pensée pour un maximum de confort, le levier de vitesse tombe naturellement sous la main, elle est lumineuse. Le Multipla dispose de 2 rangées de 3 vraies places, à l’inverse des autres monoplaces dans lesquels les places arrières semblent avoir été conçues pour des gens sans jambes.

Mais c’est encore Giolito qui en parle le mieux. A la sortie du Multipla en 1999, il déclare :

« De l’extérieur, vous voyez les gens heureux, mais vous ne comprenez pas pourquoi ils sont si heureux. En réalité c’est un véhicule extrêmement confortable, c’est une voiture faite pour encourager les interactions sociales entre les occupants. Elle est dessiné comme un salon plus que comme une voiture ».

Giolito est devenu mon modèle de vie. Il a cru en son design malgré son opposition totale aux critères de beauté. Il a préféré penser un véhicule intelligent plutôt que beau. Ceux qui se demandent si le Multipla a été dessiné sous l’emprise de l’alcool ou comment on peut autant manquer de goût n’y ont rien compris : il n’a jamais censé être beau.

Et au fond, pourquoi une voiture devrait être belle ? Les études marketing sur l’achat d’une voiture distinguent avant tout deux profils, les conducteurs avec enfants et les autres. Alors que les premiers aspirent avant tout au confort et à la sécurité pour leur famille, les seconds ont un comportement d’achat bien différent. L’aspect d’un véhicule oriente leur choix dès le début. Sans tomber dans la sociologie de comptoir, on peut opérer un rapprochement entre l’envie d’avoir une belle voiture et la société de spectacle dans laquelle l’image superficielle importe plus que tout.

J’ai interrogé les gens autour de moi afin de savoir comment ils avaient choisi leur première voiture. Là, je me suis rendu compte que parmi mes amis, ceux qui n’y connaissaient rien en mécanique avaient été les plus influencés par l’apparence. Mais ce n’était pas qu’une question de couleur ou de forme : tel design était préféré parce qu’il suggérait la performance, la solidité, la vitesse, la puissance. En l’absence de connaissances théoriques, le consommateur est incapable d’interpréter la fiche technique du véhicule alors il interprète les indices visuels.

Le bourrelet du Multipla casse sa silhouette et compromet son aérodynamisme. Personne, en voyant cette voiture, ne se dit que c’est un vrai bolide.

Mais le propriétaire de Multipla sait que dans ce corps disgracieux se cache un cœur d’or. Alors quand sur la route des vacances il se fait doubler par une décapotable clinquante, il n’est pas jaloux. A la plage, il aura un parasol, un paravent, la bouée crocodile des enfants, un énorme ballon, un filet de beach-volley démontable, de quoi faire le château de sable le plus beau de l’année et même une glacière pleine de rafraîchissements opportuns.

Tout ça, grâce au coffre spacieux du Multipla.

Un article non sponsorisé par Fiat.

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com