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lundi, 12 février 2018

Pendant

Par
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Tu n’arrives plus à écrire.

C’est venu comme ça. Enfin non, ça n’est pas venu comme ça. C’est arrivé et c’est là, c’est tout. Ça ne repart pas. Et tu ne sais plus quoi faire.

En novembre tu as été prise dans un tourbillon de merde. Quand la même semaine, tu changes de travail, d’appartement, que tu apprends la maladie d’un proche et que tu commences à sortir avec quelqu’un qui a une histoire lourde, tu fais quoi ? Bah tu te prends tout dans la figure, et puis t’attends que ça se tasse.
Ça finit toujours par se tasser.

Tu sais que ça ira mieux après, le temps que tu digères toutes les informations, et elles sont nombreuses, ces informations. Il y aura un avant, et il y aura un après tous ces événements, tu le sais. Tu as hâte d’y être, de pouvoir constater avec la sagesse que ça t’a donné tout ce qui s’est passé, après.
Ça sera surement très enrichissant.

Mais le seul problème, c’est le “pendant”.
Et qu’est ce que tu vas foutre de tout ce temps, “pendant”.

Pendant, c’est un fait, tu n’arrives plus à écrire.
Surtout après qu’il t’ait quitté, aussi. Il est sorti de ta vie aussi vite qu’il n’est rentré.
Qu’est ce que tu veux rajouter de plus. Les tourbillons de merde se suivent, et se ressemblent toujours un peu.
Retour à la case départ, avec cette solitude qui ne t’avait pas vraiment manqué.

Bien sur, il y a les autres. Ils sont là. Ils essaient de te joindre, d’être de bons amis, et c’est pas facile, dans des conditions aussi pourries. Toi aussi, tu as merdé, souvent, avec les gens que tu aimais. Oublier de prendre des nouvelles. Ne pas savoir quoi faire. Tu te rappelles et tu as honte. Mais tu ne peux pas effacer.

Cette fois-ci, c’est toi, la personne avec qui on peut merder. Des fois ça va, tu réponds, des fois ça va pas, et tu décroches pas. Tu ne sors plus de chez toi, après le boulot. Tu n’as plus envie de boire, tu n’as plus envie d’écouter des trucs, tu n’as plus vraiment d’opinions. Tu n’es plus acteur de ta vie, t’es le spectateur pendant l’entracte, espérant qu’il se passe enfin quelque chose sur scène.
Mais il ne se passe rien.

Les gens qui sont encore proches de toi te disent de sortir, de te concentrer sur autre chose, il est chouette ton boulot hein ? Oui, évidemment. Et cet appartement, ça fait du bien aussi de changer d’air, de vivre seule ? Bah oui. Et puis c’était trop compliqué cette histoire, tu avais pas besoin de ça maintenant, il était chouette mais pas tant que ça, heureusement que tout ça s’est arrêté vite, tu n’étais pas amoureuse hein, pas si rapidement ?
Surement.
Mais tout le reste fait mal, différemment.

Le plus souvent pourtant, tes proches calent, ils ne te contactent plus ou peu : ils te disent qu’ils ne savent pas quoi te dire. Tu ne sais pas quoi te dire non plus, alors. Tu hausses les épaules et tu les oublies, tu essaies d’enchainer pour les autres sur un autre sujet de conversation. Le temps. Les gens. Le passé.
Ils te disent que tu devrais t’occuper.

Ta vie d’avant, tu te rends compte, c’était celle d’une autre personne. En une seule semaine, cette fichue semaine de novembre, tu t’es pris des années. Tout te parait tellement loin : ton précédent taf, tes petites crises de mal-aimée. Tu es transformée. La personne d’avant n’existe plus. Tu le sais, elle n’aurait pas su gérer ce nouveau merdier.

Mais la personne d’avant, elle écrivait et toi, là, tu aimerais bien écrire.
Seulement tu n’y arrives plus.

« Pendant”, pendant que tu attends les résultats médicaux, d’avoir moins mal au coeur, de ne plus te sentir toute vide à l’intérieur, tu n’as rien d’autre à faire que de te mettre en stand by, et de charger tes journées, histoire qu’elles passent plus vite. Tu bosses beaucoup. Tu vas au sport. Tu lis tout ce qui te tombe sous la main. Tu t’endors tôt. Chaque jour se ressemble et se perd dans le brouhaha du temps qui passe. Les lundis et les vendredis se succèdent, chaque jour un peu moins douloureux. On s’habitue à l’absence, à l’attente, à l’angoisse, au désamour, mais il y a toujours l’après qui plane, et dont on ne connait pas la contenance.

Quand tu lui as dit tout ça la psy a posé son stylo et elle a respiré très fort. Toi non plus tu n’aimerais pas être dans sa situation, et essayer de te réconforter. Des fois il n’y a rien à dire ni à faire. Il faut juste se taire. Elle a pourtant prononcé quelques mots, elle a dit que tu ne t’en apercevras pas tout de suite, évidemment, mais que c’était surement ce qu’elle appelle “un moment de vie”. Ceux qui changent tout d’un coup.

C’est surement ça, mais tu t’en fous.

Tu réfléchis alors à comment tu envisageais l’écriture avant, comme une espèce de manière de réimaginer le passé, toutes ces situations foireuses dans lesquelles tu t’es souvent noyée, tout le rien de ta vie que tu essayais de sauver avec les mots. Ces non relations amoureuses dans lesquelles tu t’embourbais, des rêves de grandeur tout pété, ton adolescence que tu as fait durer bien trop longtemps. Tu vois, la réalité est nulle mais c’est pas grave, t’as réussi à écrire quelque chose dessus, tout n’est pas perdu.

Aujourd’hui tu t’es fait rattraper par la réalité et elle t’a mis tellement le nez dans ta merde que tu n’arrives même plus à faire semblant. Trop intense, trop effrayante, elle a mis à mal ton imagination, réduite à peu dorénavant. Tu es contente quand tu arrives à te lever le matin. Où que tu augmentes la vitesse sur le vélo elliptique de Neoness. T’aimerais être capable de faire autre chose pourtant. Tu as essayé d’écrire tout ce qui venait de se passer, t’en as rempli des cahiers, mais à chaque fois que tu as relu

c’était nul
Tellement nul
Tellement à côté
Qu’à la fin tu as arrêté.

Tu savais écrire,
Dorénavant tu n’y arrives plus.

Dernièrement, tu étais chez tes parents, et avant de t’endormir, tu lisais une interview de Sfar (ouais, craignos) dans Voici (ouais, encore plus craignos) qui disait qu’il ne pouvait pas écrire quand il vivait des choses, mais que son vécu devenait ensuite un matériau. Ce mot, qui résonne à chaque fois que tu passes devant le bricomarché du village de tes parents, te hante.
Un “matériau”. C’est comme ça que tu envisages ta vie, ton passé ? Est-ce que tu as envie encore ton intime à la gueule des gens ? Est ce que tu ne trouves pas ça déplacé, dorénavant ?

Tu ne sais plus vraiment ce que tu as envie de penser, en fait. Tu sais même plus ce que tu devrais faire.
T’es coincée dans le « pendant ».

Et pendant,
Pendant tout ce putain de temps,
Tu n’arrives plus à écrire.

Marine

Leader Autoritaire
Marine est née en 1986 et vit avec un petit chien trop mignon. Après avoir joué avec des groupes de filles ultra classes d'après les autres membres (Pussy Patrol/Secretariat/Mercredi Equitation), elle gagne sa vie en écrivant sur des sujets cools et se la pète déjà un peu. Ca ne l'empêche pas de traîner en pijama dégueulasse le dimanche en essayant de twerker mal sur du William Sheller. L'AMOUR PROPRE C'EST DÉMODÉ OKAY.

Amina Bouajila

Amina est née en 1989 et possède un VTT tout dégueu qu'elle aime pourtant d'un amour fort. Détentrice de tous les diplômes coolos (BTS Graphisme Print + Equivalence aux Beaux-Arts + Formation de plasticienne aux Arts Déco), elle illustre beaucoup et tatoue aussi en handpoke, en attendant de voir Marilyn Manson sur scène et de vivre de son travail. On croise les doigts pour elle.