Lors de mon année de master à Londres, le babysitting en soirée me permettait d’arroser mes concerts de pintes de bière. Lors de la première rencontre avec les parents des deux chères têtes blondes, la mère m’indiqua, en toute franchise, qui étaient leurs voisins de ce quartier huppé au Nord de la capitale cosmopolite. Chris Martin en face, Helena Bonham Carter souvent croisée chez le boucher en pyjama et David Arnold. Pardon my french, David who ? Pas Beckham, mais Arnold. Piquée par la curiosité, je découvris ainsi un homme des coulisses qui mérite son quart d’heure de gloire.
Quelle est la différence entre James Bond, Fast Furious, Independence Day et Stargate ? Aucune me direz-vous, si ce n’est que ces films sont des blockbusters où l’action n’a de répit qu’au générique de fin. Néanmoins, derrière ces œuvres se cache tapi dans l’ombre d’un studio du nord de Londres, un homme tout autant d’action, David Arnold. Compositeur de bandes sonores, ce quinquagénaire détonne par son parcours atypique cristallisant musique et cinéma. Rencontre avec un homme de l’ombre.
Il était une fois… d’une rencontre dans un escalier au tapis rouge.
Enfant, David rêvait déjà de sa destinée dans l’industrie musicale en parfait musicien ou compositeur de cinéma. Bercé dans une maison où résonnait en permanence la radio allumée dès l’aube, il fut encouragé par ses parents à exercer son art majeur. Son père, ancien boxeur professionnel, s’était d’ailleurs reconverti en musicien. Ce n’est donc en rien anecdotique si la guitare achetée pour ses 18 ans serait l’objet ultime à sauver si la maison prenait feu.
Une belle leçon de ténacité qui donnerait à être commencée par « Il était une fois dans la perfide Albion la rencontre entre deux réalisateurs en devenir, David Arnold et Danny Cannon qui bouleversa à jamais leur vie paisible ». C’est dans un escalier, symbolique forte de la filmographie d’Hitchcock, dans cet école d’art de la ville industrielle de Luton, que les deux protagonistes se croisèrent, alors que David s’apprêtait à s’enfoncer au rez–de-chaussée pour jouer sans relâche. A contrario, Danny s’apprêtait à grimper à l’étage, un œil caché derrière la caméra, se rêvant déjà cinéaste. « Il m’a dit qu’il souhaitait devenir un réalisateur, et je lui ai répondu que je voulais être compositeur, donc on a commencé à travailler ensemble » explique David Arnold.
N’abandonnant pas son envie irrépressible de jouer avant tout, David s’essaya aux auditions, notamment celle de The Clash et The Waterboys après avoir feuilleté son Melody Maker et tombé sur la page des petites annonces.
Cependant, le destin en décida autrement, l’arrachant prématurément des feux des projecteurs d’une scène pour l’attirer viscéralement dans l’ombre préservée du cinéma. Loin de lui l’idée qu’il serait érigé seulement quelques années plus tard en compositeur britannique le plus doué de sa génération. Apprenant à écrire, composer et orchestrer des musiques avec son colocataire étudiant Danny Cannon, ils donnèrent naissance en 1993 à leur premier long métrage The Young Americans, où Bjork prêta sa voix. Ainsi la porte tant convoitée et pourtant étroite de la reconnaissance de ses pairs fut ouverte à jamais.
Appelé l’année suivante à Los Angeles par Roland Emmerich, il convaincu son auditoire de son talent en visualisant Stargate, la porte des étoiles, comme une rencontre musicale entre Star Wars et Lauwrence d’Arabie ; lui assurant un siège incontesté dans le cercle fermé d’Hollywood.
Dès lors, du rez-de- chaussée obscur de l’école d’art de Luton, David ne cessera de gravir l’escalier de la gloire et fouler les tapis rouges. L’industrie l’appela sans répit sur de nombreux films et le salua par pléthores de récompenses, dépassant le quota des deux doigts de la main. Il reçut notamment sept BMI Awards pour les musiques de Demain ne meurt jamais, Le monde ne suffit pas, Meurs un autre jour, Stargate la porte des étoiles, Independence Day, Godzilla et Fast Furious.
Mais quand dort-il ?
De Zoolander au Monde de Narnia, l’univers est vaste, mais étrangement la création ne l’est pas.
Cette boulimie de travail se déroule toujours avec une même logique implacable. Levé à l’aube, cinq minutes de marche suffiront à David pour rejoindre son studio. L’inspiration lui viendra entre sept et dix heures trente du matin dans un calme religieux, assis dans un bureau où s’amoncellent quantité d’instruments, CDs, DVDs, avant la frénésie et chaos des appels et déplacements extérieurs. Le calme du foyer ne sera retrouvé qu’aux alentours de minuit, où le cycle routinier reprendra. « Je travaille beaucoup, mais ma source d’inspiration est la deadline. Et le temps passe très vite quand je travaille sur de beaux projets avec des personnes intéressantes » nous confia t’il.
Dans cet emploi du temps millimétré, David prend le temps et l’envie de visiter les tournages de films, parler aux acteurs et directeur, et s’imprégner durablement de l’atmosphère, des émotions et sensations à véhiculer.
L’expérience lui préconise de laisser reposer et d’assembler au cours d’un long processus les idées kaléidoscopiques en un parfait puzzle.
David Arnold trouve encore le temps de s’imprégner de cultures, tel un personnage de Woody Allen, cinéma, musique, théâtre, l’homme contemporain ne se laisse pas enliser dans les sables mouvants du passé. Le présent l’inspire : « j’adore m’imprégner de nouvelles musiques. Si je devais confier la B.O de mon biopic, je ferais appel à Aphex Twin et Skrillex ». Choix audacieux mais non surprenant de la part de ce fanatique de musique.
James Bond : du film à l’album
Brillant de multiples facettes, David su ajouter des flèches à son arc. En 1997, il revint à ses premiers amours avec la production d’un album hommage à l’agent mondialement connu. Avec une légèreté et liberté de ton totale, non dérangé par des problèmes de scènes coupées, d’annotations de studios, Shaken and Stirred, voit se réunir un casting pour le moins surprenant (Pulp, Iggy Pop…) pour des reprises à la gloire de 007. « Je venais de terminer de travailler sur plusieurs films, et voulais me plonger dans quelque chose de plus léger, sans contraintes. Et comme je suis un grand fan des anciennes chansons de James Bond, j’ai contacté des chanteurs pour cet album de reprises ».
John Barry, mondialement adulé pour son thème d’introduction devenu un classique des Bond, honora cet album comme la parfaite symbiose entre le classicisme des mélodies et harmonies de Bond, dilué dans une fraîcheur rythmique.
Loin de prendre sa retraite, David Arnold composa en 2012 la musique de cérémonie de clôture des Jeux Olympiques d’été de Londres, exercice périlleux mais excitant, comme le fut également la création d’une comédie musicale acclamée à Londres, Made in Dagenham
Se renouvelant sans cesse, l’homme est actuellement en écriture d’un épisode de Sherlock Holmes, d’une nouvelle comédie musicale et bientôt en tournée en Angleterre rejouant ses plus grandes créations sonores. Tel un Joe Strummer, l’attrait adolescent de la scène refait surface. Discret comme un espion, moins extravagant que Bond, on le retrouvera sûrement tapi dans l’ombre d’une salle obscure.
Une véritable rock star des temps modernes entre ombre totale et lumière partielle.