Il y a quelques temps à une soirée, une connaissance d’un ami parlait des Beaux Gosses. Il évoquait cette ode à l’adolescence et à l’amitié entre mecs, cet énième exemple très réussi de la fameuse bromance célébrée en long, en large et en travers par la culture populaire. Les filles, m’a-t-il dit, n’ont pas tous ces problèmes. Leur adolescence reste un mythe opaque et mystérieux. Forcément, on ne les associe pas aux bouteilles de lotion et aux mouchoirs, aux magazines cachés sous le matelas. Il n’y a pas d’équivalent à la voix qui mue et au rasage d’une barbe encore imaginaire. C’est là qu’une conversation avec Jenny Zhang, autrice du génial Âpre cœur m’est revenue. Je lui disais qu’elle avait réussi avec ses nouvelles à toucher de près ce que c’est d’être une adolescente pas cool, qui se pose des questions, surprise de trouver ce magma informe et gluant dans son cœur et dans les entrailles de son corps. Ensemble nous avons parlé de ce trou qui existe dans la fiction autour des adolescentes. On s’était reconnues dans L’attrape-cœur, mais quel était l’équivalent féminin ? Nous n’avons pas toutes été des jeunes filles en fleur, qui nous réveillions maquillées, bien brossées, le sac rempli de journaux intimes roses et de gloss, prêtes à s’asperger d’une odeur fleurie. Nous n’étions pas la source de fascination au cœur de Virgin Suicides. Quand je marchais le matin pour aller au collège, les yeux collés et le sac à dos couvert de paroles de chansons torturées écrites au blanco, rien chez moi ne donnait envie de passer Playground Love en me filmant au ralenti. Longtemps, j’ai dû m’imaginer avec un pénis pour m’identifier aux mecs de Superbad ou à la bande de copains de Stand by Me. Merde, c’est quoi être une adolescente ?
Quand je repense à mon adolescence, des flashs incohérents me reviennent. Les sweats Chipie et les Dr. Martens achetées à la Solderia dans ma province bretonne. Les Kickers roses, probablement un prototype foireux, que j’ai vite remisées au placard parce que j’étais la risée du collège. Les après-midis passés à courir en hurlant dans la réserve du Shopi de Concarneau avec une copine de l’époque, dont les parents étaient gérants du magasin. Je trouvais que c’était le rêve d’être le boss du Shopi, parce que ça voulait dire avoir des magnets et des porte-clés gratuits. Les règles qui débarquent en voyage scolaire en Allemagne et que je dois nettoyer en pleine nuit sur une couette qui n’est pas la mienne avec une honte qui s’accroche et que je ressens parcourir mon échine encore aujourd’hui. Les sentiments confus, tout le temps, partout, la peau dégueulasse, les poils qui poussent, l’embarras de ne jamais se sentir préparée pour rien, les garçons qui passent derrière nous pour faire claquer les bretelles de nos soutifs tout neufs achetés au Leclerc, les cols roulés orange qui grattent, la transpiration qui imprègne les maillots de basket qu’il faut choisi au début du cours de sport, la jalousie, l’envie, les filles cool, les fesses de Patrick Swayze dans Dirty Dancing, les mots dans les agendas, les carnets Diddl que l’on garde pour les grandes occasions. Cette impression de ne pas réussir à contenir ce que les autres ont l’air de gérer parfaitement, ce que les filles semblent maîtriser à coup de pinces en forme de papillon et de jeans brodés achetés chez Pimkie. Être une adolescente, ça a tout de la cringe comedy. C’est le malaise incarné et un bordel sans nom. On n’a pas tous été les ados glamour de Sex Education, et je ne parle même pas de Riverdale car je me respecte un peu.
Et voilà qu’un jour de février 2019, PEN15 a débarqué dans ma vie et j’ai enfin pu revivre mon adolescence sans avoir besoin de me coller un pénis imaginaire entre les jambes. J’ai découvert ce sentiment génialement cathartique de voir ce qu’on a vécu devenir drôle et émouvant par la transformation magique de la fiction. Diffusée sur Hulu, PEN15 (je vous laisse comprendre le titre par vous-mêmes) part d’une idée totalement foireuse qui s’avère être du pur génie : deux adultes (Maya Erskine et Anna Klonke) jouent le rôle d’ados de 13 ans. Tous les acteurs autour d’elles sont quant eux de jeunes prépubères. Ce décalage semble de premier abord une idée hyper gênante mais elle est en fait pleine de sens puisque toute l’idée de la série est de revivre son adolescence avec des yeux d’adultes. Maya est fan de Jim Carrey et imite volontiers les scènes les plus embarrassantes d’Ace Ventura en classe. Elle fait parler ses fesses en cours de sport (et pour cela, elle est désormais en top 1 de mes personnages de fiction préférés). Sa mère est japonaise et elle entretient un rapport compliqué à ses racines, exploré dans un superbe épisode sur le racisme ordinaire. Elle est fan des Sylvanian Families, qui lui font d’ailleurs bizarrement découvrir la masturbation, elle a une coupe au bol moche et une passion pour les débuts d’Internet. Anna est timide, elle a des parents dysfonctionnels, elle remet sans cesse ses deux mèches de cheveux en humectant ses doigts et a un appareil très moche dans lequel elle coince souvent sa lèvre supérieure.
PEN15 se déroule dans les années 2000 et c’est un festival pour celles qui, comme moi, ont grandi à cette époque bénie des débuts d’Internet. Je n’avais jamais vu une série retranscrire aussi bien ce petit frisson que l’on avait en se connectant sur AIM (RIP Caramail) avec les petites phrases d’une chanson mise en avant par son crush en statut que l’on tourne et retourne dans sa tête jusqu’à ce qu’elles prennent un sens transcendental. Et la jungle des chat rooms où les ASV s’enchaînent et où l’on s’imagine d’un coup une autre personne, hyper cool et sexy, vidée de ce corps embarrassant qui commence à déborder de partout. Cette porte sur un autre monde, à la fois effrayant et excitant. Maya se laisse prendre au jeu et s’imagine dans une relation avec un ingénieur en informatique de 30 ans. Les amoureux se gravent des CD, ont leurs premiers émois devant Sexcrimes, les projets de l’école se font autour de chansons des Spice Girls et bien sûr à la fin de la saison les réconciliations se scellent avec You Gotta Be de Des’ree.
C’est aussi une série qui se place du côté des losers - et c’est plutôt rare quand on parle d’adolescentes. Pas les losers que l’on voit habituellement dans les séries avec des grosses lunettes, qui se font voler leur argent du déjeuner par un gros bully. Pas non plus les filles « moches » qui s’avèrent être magnifiques sous leur pull informes. Plutôt des losers transparents, un peu quirky, une catégorie sociale à laquelle j’ai appartenu toute ma scolarité. Quand Anna et Maya ouvrent le sac de l’une de leurs camarades de classe, elles découvrent un monde parallèle. Celui des filles cool qui portent des strings roses et du gloss probablement acheté chez Claire’s un samedi après-midi. Un épisode entier est d’ailleurs consacré à la culotte de la fille populaire, que les deux copines se passent entre elles et qui leur donnent d’un coup un super-pouvoir : une confiance en elles à toute épreuve.
PEN15 c’est aussi, bien évidemment, une série sur le regard que deux trentenaires peuvent poser sur leur adolescence. En dehors de tous les crushs, de tous les cours et de toutes les heures passées à essayer d’être ce qu’elles ne sont pas, ce qu’Anna et Maya tirent de ces années c’est bien la beauté d’une amitié. Elles s’éloignent totalement des clichés autour de la rivalité féminine et adolescente pour toucher à des sujets beaucoup plus subtils. Par exemple la peur de grandir seule et de ne pas évoluer de concert, l’angoisse de perdre la place préférentielle auprès de ses parents et de son amie, le besoin de reconnaissance, la solitude de la puberté et des premières règles. Et puis surtout cette sororité qui se créée à cet âge, et que j’espère que vous avez toujours dans vos vies, même à 30 ans. Pas forcément avec les mêmes copines — le Shopi de Concarneau a fermé depuis longtemps — mais avec d’autres. On commence la série en ricanant bêtement, voire en se cachant les yeux du malaise si bien exposé par les héroïnes, et on finit dans les larmes. En terminant le dernier épisode, un vrai poème sur le déchirement de devoir grandir, je me suis même demandé ce que j’avais fait des mes pinces à cheveux papillons, de mon baladeur CD et de mes sweat Chipie. La vérité de PEN15 c’est qu’on garde toutes un peu de l’ado que l’on a été. Peut-être que maintenant on peut même le raconter.