La troisième et dernière soirée de la Route de Rock 2014(1) s’ouvre avec eux, les cinq énervés de Syracuse, État de New-York. Un concert d’ouverture qu’on s’est pris en pleine face comme une grosse baffe de son, 30 minutes pendant lesquelles on a pas tout compris à ce qui se passait sous nos yeux et dans nos oreilles. Perfect Pussy, c’est une puissante déflagration punk-noise-hardcore qui joue avec les limites de la saturation et des larsens, sur laquelle s’époumone Meredith, chanteuse charismatique et méchamment sauvageonne.
La Route du Rock est le seul festival français de l’été pour eux et on est bien contents de les avoir pour nous. Ne pleurez pas, si vous les avez ratés, ils reviennent pour le Pitchfork Festival et quelques autres dates à l’automne.
Rencontre donc avec Meredith Graves (au chant) et Shaun Sutkus (aux machines), deux des membres de Perfect Pussy, probablement les musiciens les plus cools et les plus accueillants du festival.
Alors ce concert à la Route du Rock ? Comment vous êtes-vous sentis à jouer ici ?
MG : Great! Toute l’équipe, les ingés sons, tous les gens impliqués dans ce festival ont été incroyables. Ils se sont super bien occupés de nous, on avait l’impression d’être entre copains, pas comme si on était là pour bosser ensemble. Very cool !
Et par rapport aux autres concerts de la tournée ?
MG : Nos concerts sont les mêmes, qu’on joue devant 10 ou 2 000 personnes, où qu’on soit. Chaque soir, on joue exactement de la même façon.
Vous pouvez me parler de l’origine du groupe ? Vous avez commencé comme un « faux groupe », c’est vrai ? Vous sentez-vous plus réel maintenant ?
SS : À la base, c’était un projet pour un film indépendant (2) dans lequel étaient impliqués Meredith, Greg et notre batteur Garry. Par la suite, Garry a voulu remonter le groupe et m’a proposé de les rejoindre.
MG : Au début, je jouais de la guitare et puis Ray m’a remplacée.
SS : On a commencé à répéter toutes les semaines, puis on a enregistré, puis on nous a demandé de jouer et on a dit oui à TOUTES les propositions !
MG : On est super« friendly », donc dès qu’on nous demande de jouer, que ce soit dans une grande ville ou ici en France, on dit oui et on vient !
Votre album s’appelle Say yes to love mais la phrase originale (tirée du super morceau Interference Fits est Since when do we say yes to love, ce qui veut quasiment dire le contraire, non ? What the fuck about love en gros ?
MG : exactement, tu as tout compris.
Meredith, tes paroles sont super personnelles, notamment dans Interference Fits qui fait référence à une rupture compliquée. J’ai lu que c’était quasiment douloureux lorsque tu la chantais sur scène. Est-ce encore le cas ou as-tu plus de recul maintenant ?
MG : Oui, c’est toujours super dur. Je me suis encore pris la tête au téléphone avec mon ex aujourd’hui même au sujet de ce morceau! On est les meilleurs potes du monde maintenant mais on a été ensemble pendant très longtemps. On a même été fiancés mais ça fait maintenant un an et demi qu’on est séparés. Et on passe encore notre vie à se battre. Tous les gars du groupe le connaissent super bien, on est tous potes depuis longtemps, on connaît tous nos copains, nos copines, nos parents… Donc le fait d’écrire une chanson sur lui, ça n’a pas une si grande importance. Il sait que cette chanson est sur lui, il était même dans le studio quand on l’a enregistrée ! Et là au téléphone aujourd’hui, il me prend encore la tête genre « c’est ça, éclate-toi bien en France, moi je suis à New York et je t’en veux ! » « Et ouais, mec, je suis en France et je t’emmerde ! » Whatever…
Ça met au moins une distance géographique !
MG : La distance est actuellement la seule chose qui m’empêche de l’étrangler !
Au fait, je fais cette interview pour Retard Magazine, un site girly mais pas girly en fait. Je suis sûre que tu peux comprendre Meredith avec ton rapport au féminisme et à toutes ces questions « filles ».
MG : Girly mais pas girly, j’aime l’idée, je saisis complètement l’esprit !
Je suis sûre que Shaun comprend parfaitement aussi, n’est-ce pas Shaun ?
SS : Oui, je crois que oui !
Tes paroles sont super importantes mais tu joues beaucoup avec ta voix qui est à la fois audible et pas audible en même temps. Sur album, comme en concert, on cherche toujours à t’entendre, on te cherche.
MG : Pourtant j’essaye à fond. Les mecs jouent vraiment fort et c’est compliqué de trouver sa place dans le mixage. Je fais le max pour chanter dans le micro mais je suis tellement dans l’émotion, tellement dedans quand je chante, que ce n’est pas évident de m’imposer.
Comment envisagez-vous la voix et la façon dont on l’entend, notamment sur le fait qu’on entende ou pas les paroles ?
MG : Shaun est ingé son, il fait tout le son de l’album donc il peut sûrement te répondre là-dessus.
SS : C’est comme ça que je conçois la voix dans un groupe. Dans d’autres styles musicaux, comme la pop, on entend très clairement les paroles. Pour ma part, même quand j’écoute de la pop, je vais écouter la batterie, la basse et les mélodies qui ne sont pas vocales. C’est comme ça que j’envisage le « mix » de notre groupe, je veux que ça sonne comme UN seul son qui sort des enceintes, un bloc homogène. On peut tout entendre mais on ne peut pas forcément différencier clairement ce qui se passe. Parfois oui, mais pas toujours. Un peu comme un gros mur de son.
On l’entend vraiment sur l’album, mais sur scène, c’est encore plus fort. Cette puissance, cette homogénéité, tout le monde ensemble.
MG : Oui, tout est comme… synchronisé. C’est pour ça qu’on joue en ligne. On fait en sorte qu’on voit Shaun, Greg, Garret et moi. Tu peux voir tout le monde sans être obligé de me regarder en particulier. Normalement, il y a toujours une personne sur le devant mais je ne veux absolument pas que quelqu’un dans ce groupe soit plus important qu’un autre. On est une famille, on ne pourrait rien les uns sans les autres. Je ne veux pas être plus importante, c’est pour ça que je recule parfois et que quand je sens que je prends trop de place, je lâche le micro.
En tout cas, vous donnez tout sur scène. Surtout aujourd’hui, sur une petite scène,pas très haute, on se sentait proches de vous.
MG : La dernière fois qu’on a joué sur une petite scène je me suis ouvert la main donc je suis contente qu’aujourd’hui elle ait été petite mais pas trop haute !
Meredith, tu es impliquée dans énormément de projets (groupes, blogs, mode, politique, féminisme…). Es-tu quelqu’un d’hyperactif ?
MG : Oui, c’est vrai que je fais plein de trucs mais, en règle générale, je suis une personne assez calme. La plupart du temps, je me lève, je bois un café, je sors mon chien, je jardine et je lis des livres. Et je suis beaucoup plus calme grâce à ce groupe ! Quand je me sens hyperactive, un peu folle et surexcitée, je monte sur scène pendant 30 minutes, je me fais mal (façon de parler) et ça va mieux !
C’est assez difficile à comprendre mais même quand je prépare des hamburgers, je suis hyper impliquée. Je mets exactement la même intensité dans tout ce que je fais ! Je suis « super intense » et engagée dans ce que j’entreprends.
Je suis tellement à fond que même mes amis ne m’aiment pas !
Comment ça ? Shaun, c’est vrai ?
SS : Je ne sais pas. Je crois qu’on est tous assez intenses quand il s’agit de faire de la musique et jouer nos morceaux.
MG : L’autre jour, on était en Suisse et Shaun m’a fait remarquer que tout le monde dans ce groupe est narcissique. Je lui réponds « non », la définition du narcissisme c’est « je pense que je suis génial ». Alors que tout le monde dans ce groupe est conscient de ce qu’il fait, chacun a une grande compréhension de soi.
En fait, on est tous intenses et à fond dans ce qu’on fait, que ce soit pour préparer des hamburgers, jouer de la guitare, fumer de l’herbe ou dessiner une BD. On est juste super impliqués.
Vous devez croiser pas mal de groupes sur la route. Avec qui vous rêveriez de jouer ?
En chœur : The Blood Brothers !
MG : On dit ça seulement pour nous (je ne sais pas ce qu’auraient répondu les autres membres du groupe) mais nous deux on adorerait jouer avec eux. On a grandi en les écoutant et ils sont l’une de nos plus grandes influences. Ils viennent de se reformer et de reprendre les concerts.
Dans le hardcore et dans les musiques violentes en général, les chanteurs aboient, genre Black Flag. Alors que Johnny Whitney et Jordan Billie (les chanteurs de The Blood Brothers) ont des voix aigües, comme moi, ils m’ont appris que je n’étais pas seule.
Je les ai vus lors de leur dernière tournée à Montréal et c’était incroyable, un des meilleurs groupes que j’aie jamais vu sur scène. Si on joue un jour avec eux, je serais tellement heureuse, je pourrais en crever !
On a été aussi super heureux de partager quelques dates avec JoannaGruesome, un chouette groupe du Pays de Galles. La chanteuse Alanna est une des meufs les plus incroyables sur la scène musicale actuelle. Elle est terrifiante et géniale à la fois.
Vous deux, vous vous connaissez depuis longtemps, non ? J’ai entendu que vous aviez un autre projet ensemble ?
MG : Oui, on AVAIT un projet ensemble ! On a fait un concert et on s’est engueulé, voilà.
SS : Mais non, on a juste pas eu le temps.
MG : Ça a l’air chiant quand tu le dis comme ça !
SS : Oui, mais c’est la vérité !
MG : À cause de ce groupe, on n’a pas le temps de faire autre chose mais tout le monde a d’autres groupes à côté. Garret, Ray et leur pote Ricky ont un autre groupe qui s’appelle Sswampzz. C’était un des meilleurs groupes de Syracuse même s’ils n’ont pas fait grand chose depuis un certain temps.
Et Shaun a un projet solo qui s’appelle Pretengineer,un projet noise et art visuel. C’est absolument génial.
SS : Et Greg aussi a plusieurs autres groupes dont j’ai produit tous les albums. Greg et moi on bosse ensemble dans la musique depuis trois ans. Il se pointe dans mon studio, je branche quelques micros, on enregistre et je lui file un CD en partant.
MG : On fait tous de la musique indépendamment les uns des autres. On se voit plus comme un collectif que comme une groupe vu qu’on est tous engagés sur plein de projets à la fois.
On a fait une chanson il y a quelques mois moi, Shaun, Garret et notre pote Sam qui ne fait pas partie du groupe, mais au final c’est devenu une chanson de Perfect Pussy. On est 5 à la base, mais on a aussi Casey (merchandising et tour manager) et Adam (au son). Ces deux là, on ne pourrait rien faire sans eux ! Alors, notre groupe, c’est plutôt sept personnes que cinq, on est une famille. On est tous embarqués là-dedans.
Et la suite ?
SS : Demain, Luxembourg, puis on rentre aux USA où on a 4 jours de repos avant de repartir en tournée ! C’est constant ! C’est la plus longue pause qu’on ait eue depuis le début, depuis 9 mois ! On ne fait jamais de pause, on est sur la route absolument tout le temps.
Et ça va ? Vous n’êtes pas trop crevés par ce rythme de tournée ?
MD : Ça va super, merci ! On n’est pas vraiment crevés, ça fait longtemps qu’on est sur la route et ça se passe bien ! Parce qu’on l’a choisi.
Et bien revenez vite, on est super impatients de vous revoir à Paris !
Nous aussi, on a hâte ! À très vite au Pitchfork !
(1) Voir le compte-rendu du festival Route 14
(2) Adult World de Scott Coffey