En 1984 Madonna débarque sur le devant de la scène. Avec sa choucroute peroxydée et son gros grain de beauté dégueulasse fait au crayon à maquillage, elle ressemble à ta copine tarée de quatrième qui a déjà couché et qui apprend aux autres à fumer derrière le gymnase. Pourtant, comme par magie en 1989, après avoir copié le milieu Underground new-yorkais dans lequel elle évolue, elle devient la référence ultime de la femme fatale et moderne avec son single Vogue.
En smoking et soutif, elle joue sur ses préférences sexuelles et son côté masculin/feminin, devenant une icône gay. Elle troue par la même occasion son fond de commerce, sur lequel elle vit (encore) à l’age de 54 ans. S’il te plait quand même, rhabille toi, t’as l’âge de ma mère.
D’autres ont depuis pris la suite. Azealia Banks, Lady Gaga et la plus forte et lisse de toutes, Beyoncé. Toutes jouent sur le même registre, celui de la femme furieuse et étincelante.
À l’intérieur, ce sont des hommes. Des bêtes de travail tyranniques, exigeantes, charismatiques, des terroristes en body qui n’acceptent pas qu’on leur dise non. A l’extérieur, on ne voit rien qu’un physique de rêve, l’équivalent de la plus bonne de tes copines en plein zénith de son modjo.
Et le tout incarne la femme parfaite version 2012.
C’est de cela dont je rêve. Etre une working girl sexuelle et sans défaut, un bulldozer qui sait où il va en talons hauts et les sourcils froncés. Un individu qui fait ce qu’il veut, quand il veut, au corps constellé de paillettes, gainé dans une culotte Spanx, avec une tenue en pierres précieuses réalisés par The Blonds.

Ils font les plus beaux bodys du monde.
Le modèle de toutes ces artistes ?
Les transsexuels 80’s du monde de la nuit.
Madonna a beau citer Greta Garbo ou Grace Kelly dans son gros tube de 1989, on sait très bien où elle a été piquer toutes ces petites idées LA SALE VOLEUSE. Chez les gays. Qui sont, peut-être, eux aussi allés les chercher chez les stars glamour des années 50 et les couvertures de magazine, mais qui avaient filés à leurs inspirations un petit truc en plus.
Le « Fierce ».
Les actrices hollywoodiennes étaient somptueuses galbées dans leurs fourreaux, elles étaient magnifiques avec leurs rouges à lèvres, mais ce n’étaient que des sex symbols sans aucune personnalité, des gravures de mode aussi ennuyeuses que ta partenaire de tennis de table.
Dans les films, elles incarnaient souvent le même schéma le quota beauté et vicieux (salope d’allumeuse, pourquoi tu fais cela au gentil héros ?), tandis que leurs homologues masculins se voyaient décerner l’intelligence et la personnalité. C’est ça d’avoir des seins, que veux-tu.
Depuis le début de l’humanité, et jusqu’à il n’y a pas très longtemps, l’image prédominante collée à la femme est celui d’un être bouffeur de pomme et vil, fragile et bizarre, qu’il faut vite engrosser et mettre dans la cuisine jusqu’à ce qu’elle crève la tête la première, dans le hachis parmentier. Pas le droit aux rêves, à l’avenir, pas de personnalité, pas d’opinion, juste un rôle d’assistant dans la vie de son époux (enfin un assistant avec qui tu couches, une secrétaire salope en fait). Et les féministes de tout bord pourront dire tout ce qu’elles veulent, c’est difficile de supprimer toutes ces idées reçues en un demi siècle, même avec les meilleurs sentiments.
Néanmoins, elles ont depuis pris le contrôle sur de nombreuses choses. Cela n’empêche qu’elles se font régulièrement rappeler leur statut de sexe faible. Et si tu es dans ce cas là meuf, t’as besoin d’inspiration. Parce que les filles de 2012 ne veulent pas être ces filles, au fond.
Il faut la chercher auprès des transsexuels des ballrooms. Les Drag Queens et travestis (que je n’assimile pas aux transsexuels, évidemment) ont lancés l’idée au milieu du siècle, voire même dans les années 20. Elles affrontaient la nuit et ses bêtes sauvages dans des costumes grandiloquents et sur des chaussures à talons plus hautes que celle de Sarah Jessica Parker dans n’importe lequel épisode de Sex and the City. Toutes amorçaient une idée : la féminité est finalement un rôle. Elle est ici peut-être exacerbée, too much, mais possède tout de même ce pouvoir de fascination, parce qu’elle est un jeu choisi et assumé par celui ou celle qui le réalise. Et puis parce que c’est beau, aussi.
Et si Beyoncé est une copie de la femme parfaite distillé à tout bout de champ dans les médias (Obama la cite en modèle pour ces filles, et COME ON, viens pas me dire que t’aimerais pas être dans son body l’espace d’un instant meuf), c’est une image largement inspirée des LGBT 80’s, période Voguing et Ballroom qu’elle a prémaché pour le grand public.
Sa chorégraphie maintenant mythique de Single Ladies est inspiré d’un grand maitre de la culture Vogue, Willie Ninja, qui avait travaillé sur le clip de Malcolm Mac Laren. Pour l’album dont est tiré la chanson, elle l’intitule “I am…Sasha Fierce”, changeant son nom et son prénom. Ca ne vous rappelle pas ce que faisait les danseurs de Voguing, qui changeaient de patronyme pour prendre celui de leur House (note : une House est un regroupement de danseurs sélectionnés par un leader, la Mother, et chargé de représenter la maison dont ils font partie dans les compétitions) ? Une idée que sa mère avait déjà émise en fondant sa marque de mode, « House of Dereon ». Un truc aussi qu’a chopé Lady Gaga et sa « Haus of Gaga », censé représenter sous ce nom sa team de crétins à son service. Les conasses. Elles s’en sont à peine vantées…
Je ne te parle même pas d’Azealia Banks. Enfin si, tiens, je vais t’en parler. Elle est arrivée sur le devant de la scène cette année, du haut de ses 19 ans, en déchirant tout avec ses tubes dance qui te donne des fourmis au boule. Comment ne pas l’aimer, cette furie furieuse aux cheveux longs comme le cousin Machin dans la famille Adams ?
Elle est maligne, Azealia, elle a tout compris aux machins à la mode (bravo la récupération Seapunk pour ton dernier clip bichette, il y a des gens aux cheveux arc en ciel devant leur windows 95 qui ne s’en sont toujours pas remis).
Alors elle se sert de la hype comme toi des légumes de chez Flunch. Open bar. Elle crane parce qu’elle est bi dans 212, elle pose en bikini étoilé sur des troncs d’arbres dans Liquorice en mode « me fait pas chier connard, j’ai un gros fusil » et elle intitule un de ces morceaux Van Vogue, et met des vrais morceaux de danceurs de Vogue dedans. Un bel hommage ? Ouais, on peut dire ça, je crois qu’hommage est le synonyme de toute manière de « je te pompe et je le fais pas assez bien pour que ça soit discret, alors autant que tout le monde le sache ».
Mais comment en vouloir à ses icônes pop ? J’ai envie de faire pareil. Et c’est ta faute, Jennie Livingstone. En 1989 elle sort un documentaire sublime sur la scène des Ballrooms (lieux des compétitions de Voguing, didonc, faut tout t’expliquer à toi) dans le New York de la fin des années 80. « Paris is Burning », le nom de ce film TROP BIEN, connait un succès public et se retrouve bientôt primé au festival Sundance. Dedans, une ville dégueu qui te rend bien contente d’avoir grandi à la même époque dans la campagne tourangelle avec un bébé sanglier (je t’en reparlerais promis). Mais surtout, et ça c’est magique, elle filme et immortalise sur la pellicule des danseurs et des transsexuelles, belles, belles, belles comme l’amour. Il n’y a qu’à voir Venus Xtravaganza ou ma préférée, Octavia Saint Laurent.
Octavia crève tout de suite l’écran. C’est simple, on dirait Sade en encore plus jolie. Elle fait partie de la House of Saint Laurent et illumine à chaque fois les ballrooms de sa présence. Il ne faudra qu’entendre sa voix pour découvrir le « trick ». C’est une superbe femme avec une voix d’homme. Pourtant, quand elle marche, quand elle pose, quand elle parle, elle est femme, plus que n’importe qui, plus que les top models dont elles s’inspirent. Et finalement tout devient évident.
Ce jeté de cheveux, putain, j’aimerais tellement pouvoir faire pareil.
C’est elle la femme moderne, celle qu’on aimerait toutes être si on avait le choix. C’est une femme plus belle que moi, et plus contente de l’être, puisqu’elle y travaille chaque jour à grands renforts de maquillage et de costumes toujours impeccables et ultra glamour. Une personne qui a continué pourtant à tracer sa route et à construire son corps, son image, sa personnalité, au fur et à mesure d’opérations chirurgicales et d’humiliations toujours plus lourdes les unes que les autres.
Elle finira, si elle le désire vraiment, par ressembler « blibliquement » à une femme, mais elle n’en sera jamais une tout à fait pour la populace de connards qui pensent que ton sexe ne s’affiche que sur ton corps et pas du tout dans ta tête. Pendant tout ce temps, elle aura gardé la tête haute et accepté le double jeu des hommes. Ceux qui la jugent tant qu’il y a du monde autour, tout en ne rêvant que de te baiser la nuit (n’est ce pas Eddie Murphy, coincé en 1997 avec un travesti dans une caisse et qui continue toujours à nier avoir eu des relations sexuelles avec des membres de cette communauté, alors qu’il est connu comme le Loup Blanc), quand leurs épouses sont couchées et qu’ils ne restent sur le dancefloor que ces sublimes créatures.
Oh Octavia. Belle Octavia.
C’est peut-être pour cela que les gays ont toujours une culture, un imaginaire d’avance. Quand tu sais que tu vas être forcément rejeté par l’autre, qui a décidé de considérer que tu fais tâche et que tu n’es qu’une merde, tu as deux choix. Celui de mourir (qu’il ne faudra évidemment PAS PRENDRE) ou celui de continuer à avancer sans te préoccuper du groupe, qui n’a jamais finalement eu de bonnes idées (Tu as vu le nombre de vente des singles de Christophe Maé ? Et bien tu vois où je veux en venir).
Ça donne de très belles choses. De belles idées. Des auteurs et des livres grandioses, et ça de l’Antiquité à l’époque contemporaine (bisou Wilde, bisou Gide, bisou Michou, et surtout, bisou le Voguing). Des trucs moins biens, aussi (je ne reviendrais pas sur les candidats de téléréalité ou sur Guillaume Dustan).
Le transsexuel n’échappe pas à cette logique, et fait son chemin, sachant pourtant qu’il va être rejeté, jugé, moqué. Mais comment faire autrement, quand les gens refusent celui que tu es vraiment. Une autre alternative est-elle possible ? Non. Alors qu’ils aillent se faire foutre. Ne t’en préoccupes pas, continue ton petit bout de chemin. On est toujours le zarbi de quelqu’un de toute manière. Alors met ta plus belle robe, couvre toi de fond de teint et va affronter la piste en mode « Fierce ». C’est toi qui ira danser et bluffer tout le monde, même si ce n’est l’espace qu’une nuit.
C’est pour toutes ces choses que le transsexuel est source d’inspiration, que ce soit pour moi, meuf hétéro toute banale aux rêves de rideaux de velours rouge et de robes à sequins brodés à même le corps, ou de Beyoncé.
Car finalement, le transsexuel et l’individu transgenre est peut-être l’être humain le plus abouti, le final, l’apothéose. A l’image de l’androgyne de la mythologie grecque, être parfait que Zeus tellement jaloux a fini par séparer en deux, il est à la fois homme et femme, prenant les forces et jouant avec la faiblesse des deux camps pour apprendre à s’aimer pleinement. Ce n’est pas une erreur de vivre avec un corps différent de celui qu’on veut. C’est une forme de bénédiction. J’espère juste qu’on finira tous par s’en apercevoir.
À lire :
Strike a pose, histoires du voguing, de Jeremy Patinier. Ce livre est le fruit des recherches d’un passionné, et le premier en france consacré à cette culture. C’est une mine d’informations. Alors achète le, en plus tu soutiens un petit éditeur, ça changera.
Voguing 1989-1992 par Chantal Regnault. J’aimerais t’en faire un compte rendu plus poussé, mais Amazon me l’a amené hier. Alors je te dirais juste qu’il y a de belles images dedans.
À voir :
Paris is burning, de Jennie Livingstone. Un documentaire magique. Bien que fort déprécié par la communauté à sa sortie, le portrait est beau et réaliste, sans concessions. Tu peux le trouver sur Youtube ou bien faire comme moi, harceler Loïg pour qu’il te le prête. Ouais, ok, il est sur Amazon aussi.