Buffy, Charmed, Ma sorcière bien aimée, Sabrina l’apprentie sorcière et Sliders, voilà les séries que j’aimais plus jeune, pré-pubère, pré-personne, pré-vie, propice.
Sliders, n’était pas vraiment ma série préférée mais je regardais, ça me fascinait, de voir ce grouper « slider » de monde en monde, à l’aide de cette télécommande qui indiquait le temps restant à passer dans chacun des mondes en question. La quête étant de retrouver le vrai monde. Le premier, celui qu’ils avaient quitté par inadvertance.
Je ne sais d’ailleurs pas comment ils l’ont quitté, je n’ai jamais vu le premier épisode. C’était à l’époque de la télé, bien avant Netflix et internet, ça tournait en boucle sur des années, ce n’était pas si grave car chaque épisode se valait individuellement, on pouvait ne pas suivre le fil de l’histoire de fond.
Des histoires d’amour j’en ai eu plein, avec des hommes, avec des chiens, avec des images des couleurs des riens. Avec des villes, des boulevards, des rues, des architectures.
L’autre soir, pas vraiment par hasard, j’avais rendez vous à Mairie de Clichy, 23h30, pour aller zoner, j’ai arpenté l’asphalte de Clichy jusqu’à St-Ouen, et je suis tombée dans cette rue, sur cet immeuble, et puis ça m’est revenu, j’avais escaladé la façade par la gouttière, une nuit tard, encore plus tard que cette nuit là. Mais il n’y avait plus la gouttière, est-ce que j’inventais, mes souvenirs se brouillaient et puis en regardant de plus près : la trace de la dite gouttière. Tout m’est revenu d’un bloc.
J’avais 15 ou 16 ans, j’habitais à Corbeil-Essonnes, et le week end je prenais le RER, d’abord pour aller trainer à Châtelet puis pour sortir, à Pigalle, Blanche, Place de Clichy, c’était là qu’étaient les clubs, c’est comme ça que j’avais rencontré Steeve, il avait 20 ans, il était grand et beau, c’était mon petit ami, on buvait des perroquets avant d’aller danser sur de la funk ou du r’n’b, Usher venait de sortir « U remind me« , Eve « who’s that girl« , au petit matin je reprenais le RER pour aller au lycée, j’avais cours le samedi, et je réitérais le jour même.
J’avais un petit téléphone portable, un Panasonic qui tenait dans la paume de la main. Il avait même un lacet pour le mettre autour du cou. Ce que je ne faisais pas car je trouvais ça un peu vulgaire.
Un samedi après une nuit de danse, avec Steeve, je suis rentrée chez moi, ma mère folle de rage m’a frappée, elle n’était pas très grande, ses coups n’étaient pas violents, mais perfides, et ce jour-là elle m’a frappé les oreilles, bruit sourd, plus rien, juste du sang qui coulait de l’oreille gauche. Tympan percé.
Je suis sortie par le jardin, j’ai escaladé le mur, et couru sans m’arrêter jusqu’à la gare, comme poursuivie, vite, un sprint. J’appelais Steeve essoufflée, lui expliquais ce qu’il venait de se passer, il me donnait rendez vous à Blanche, on s’est retrouvé devant le moulin rouge, on s’est enlacé. Je lui ai dit que je ne voulais pas retourner chez moi, il m’a répondu que je pouvais rester avec lui et ses frères à St-Ouen.
Dans cet appart vivait Steeve, son petit frère de 16 ans qui venait de sortir de prison, sa copine, blonde aux yeux bleus, son grand frère, la trentaine, qui venait de sortir de prison, sa copine, qui avait été sa prof de matières générales à Fleury. On a passé la soirée tous ensemble, puis on s’est endormi, tous dans la même pièce, chacun à sa place dans un agencement de lits superposés. En plein milieu de la nuit le plus jeune s’est réveillé et a retourné l’appart, cherchant une boulette
« Non ya pas de boulette cachée, prends du subu«
« J’veux pas prendre du subu ça m’fait vomir »
« Vazy arrête de tout retourner là, y’a pas de shit prends du subu »
« Non j’veux pas prendre du subu »
J’avais 15-16 ans je ne savais pas que « subu » était le diminutif de Subutex, un médicament de substitution aux drogues.
On s’est rendormi, le lendemain Steeve est allé cherché le petit déjeuner, puis est parti, je suis restée avec son grand frère et sa copine, on est allé faire des courses, au Liddl d’à coté, naïvement j’ai tout mis sur le tapis de la caisse, il m’a repris et plus tard m’a expliqué comment voler au supermarché, puis je l’ai accompagné s’acheter une paire de shox aux puces de Clignancourt.
Les shox, c’était l’ultime modèle kaira, bien au dessus des requins, une paire de requins valait un peu plus de mille francs, et n’importe quelle mère de bonne famille refusait d’en acheter à son enfant tellement c’était connoté, les shox, seules les kairas se les offraient à eux-mêmes, avec généralement de l’argent sale.
Les siennes étaient noir et argent, brillantes.
Steeve n’est pas rentré le deuxième soir, mais le jour d’après. Dans son porte feuille, il y avait un pascal, des yens, des deutsch marks, des livres, ça me fascinait, ce n’était pas tant la somme que ça representait, mais l’image des ces billets, les ailleurs d’ou ils venaient, leurs rareté.
Je crois d’ailleurs que ma fascination pour les billets de banque me vient de là, plus que du rap jeu.
J’ai passé une semaine, comme ça, avec eux, à écouter des histoires de prison, à zoner dans St-Ouen, je n’avais pas vraiment d’affaires de rechange, alors un matin j’ai décidé d’aller en chercher chez moi, j’ai repris le RER, arrivée devant la porte de chez ma mère je l’ai entendue a l’intérieur, alors j’ai attendue, assise dans les escaliers de l’immeuble.
Dans ce long moment d’attente mon père m’a appelé, ils ne vivaient plus ensemble, depuis que ma mère était partie, il me posait des questions, et je ne disais rien de clair, au fur et a mesure de la conversation il a réussi a me convaincre de me laisser prendre des affaires, et de m’emmener lui même à St-Ouen pour voir où j’étais, en me disant que ça le rassurerait. A force de persuasion, il est venu me chercher en voiture, sur l’autoroute pas un mot, pas un mot jusqu’à St-Ouen. On est monté dans l’immeuble, au troisième étage, arrivé devant l’appart il a ouvert la porte, il est entré et s’est mis a hurler en arabe, à insulter ceux qui y étaient, les a menacé, il m’a attrapé par le bras et on est reparti.
Sur le trajet retour, mon petit panasonic qui tenait dans la paume d’une main a sonné, c’était ma copine Ophélie, ma copine de pérégrinations avec qui je sortais le weekend, avec qui j’allais à Châtelet, à Pigalle la nuit. Je ne pouvais pas parler, elle l’a très vite compris alors elle a commencé a m’énumérer les personnes avec qui je pouvais être, ce à quoi je ne répondais que « non » puisqu’elle ne pouvait pas se douter que l’homme avec qui j’étais c’était mon père, jusqu’à ce qu’il m’arrache le téléphone des mains, raccroche, l’éteigne, ferme les yeux et appuie sur l’accélérateur. On fonçait sur la A6. Les voitures nous évitaient, je ne sais plus combien de temps ça a duré, mais je me souviens très bien avoir cru que c’était là, maintenant, que j’allais mourir, avec mon père au volant de cette fiat uno grise métallisée.
On a fini par arriver à Evry, il m’a emmené directement chez un ami imam, qui vivait dans le bâtiment adjacent au sien, je restais là avec sa femme, une très belle jeune femme convertie à l’islam, qui venait d’avoir un bébé, Adam, je dois encore avoir une photo de lui quelque part.
Mon père m’avait pris mon petit panasonic, mais je connaissais le numéro de Steeve par coeur, c’était mon mec, j’avais besoin de soutien, le seul qui pouvait encore être de mon coté, alors j’ai prétexté vouloir appelé une copine, ma sœur, ou ma mère et j’ai appelé Steeve. Il m’a alors menacé, à son tour, m’a dit que si mon père ne rendait pas le portefeuille qu’il avait volé quand il était venu, ils le tueraient, ils me tueraient aussi, ils nous défonceraient la gueule, puis nous tueraient. Je n’imaginais pas mon père avoir volé un portefeuille mais plus rien ne m’étonnait, alors oui ça devait être vrai. Je n’avais plus personne à qui me vouer.
Mon père venait régulièrement me chercher, pour me faire la moral et me mettre une raclée, quand il a consulté les relevés téléphoniques de son ami imam et qu’il a vu que j’avais appelé Steeve, la raclée a été encore plus forte.
J’ai dû rester une bonne semaine, voir 10 jours chez ces gens, à Evry.
Il y a 4, 5 ans j’étais avec des amis, de longues dates, à Paris, des U.V, anagramme d’ultra violent, un crew de graffiti, des crèmes, des mecs loyaux sur qui j’ai toujours pu compter, qui taguent la nuit et avec qui j’ai toujours aimé arpenter les rues de Paris et en particulier celles du 18ème. C’est comme ça qu’on s’est retrouvé « Au soleil de la butte » à Montmartre un soir tard. C’est dans ce bar que je me suis retrouvée nez à nez avec Steeve, j’avais peur, mais je savais qu’il n’allait pas m’arriver grand chose parce que les autres étaient là. Qu’ils assureraient mes arrières. Alors je suis allée le voir, et lui ai lancé un « tu te souviens de moi? »
Il m’a regardé, dans les yeux, ça a pris quelques instants, puis il a répondu par un « Safia!!!! »
On a pas tant échangé que ça, mais quelques jours plus tard il m’a ajouté sur facebook.
En 10 ans il s’en était passées des choses, Steeve avait eu des enfants, 3 je crois, moi aussi, une fille.
Et puis un jour Steeve m’a écrit:
« Truc de ouf je viens de me rappeler le jour où ton père a débarqué chez moi. Le moment de solitude dans lequel j’étais putain! Comment j’étais pas bien ce jour là.
Déjà que j’ai regretté le comportement que j’avais eu envers toi….
Mais ça j’avoue c’était flippant parce que c’est pas ma nature d’être comme j’étais
Tu veux que je te dise?
Le coup du portefeuille c’était un mytho monté devant un mec que je pouvais plus voir, à qui on avait soulevé de l’argent et tu m’as servi d’excuse. Je me confesse maintenant car j’en ai jamais eu l’occasion.
Que Dieu me pardonne du mal que j’ai pu te faire Safia«
Voilà le souvenir qui m’est revenu une fois devant cet immeuble dont la gouttière qui m’avait permis d’escalader la façade un soir avait disparu.
Les souvenirs c’est comme les putes, ça réchauffe puis ça écœure.