S.P.T. 3 petites lettres pour Stress Post-Traumatique.
J’avais vu quelques documentaires sur le sujet et pensais que cela n’arrivait qu’aux soldats qui étaient partis au combat et revenaient détruits psychologiquement, après avoir vécu des atrocités. Cet « après » qui est encore plus insidieux car il n’est pas visible. Ce n’est pas une blessure sur laquelle on met un pansement, ce n’est pas un handicap comme un bras ou une jambe en moins.
Et puis, il y a quatre ans j’ai subi une agression sexuelle. L’événement traumatique passé, on se dit qu’on a surmonté le pire parce qu’on est toujours là, en vie. Mais c’est en fait une mini-guerre qui continue à se jouer tous les jours dans votre corps et votre cerveau. Avec des défaites et des victoires.
S.P.T = Seule Pour Toujours?
Il y a ce genre de moment borderline… Où vous avez toujours peur que le fragile équilibre difficilement retrouvé, bascule. Où vous craignez que la surface réparée, sympa, « normale », se fissure. D’un jour à l’autre, d’une heure à la suivante, en une fraction de seconde.
A cause de choses les plus anodines.
Une période « anniversaire ».
Une remarque d’un collègue.
Une expression faciale spécifique.
Et vous vous dites « ça y est putain, ça recommence ». Le nœud dans l’estomac, la boule qui remplit la gorge, la respiration qui se coupe. Et enfin, les larmes qui montent aux yeux. Et coulent à vous en donner mal au cerveau. Le flux incessant de pensées qui, comme une masse grise faite de milliers de petites aiguilles, se déplace en permanence au-dessus de la tête et pèse sur les épaules. Les flashbacks. Les regrets. Les angoisses. La culpabilité. La honte.
« C’est quoi mon problème? Pourquoi je suis toujours pas guérie? EST-CE QUE JE MERITE TOUT CA? »
Cette sensation d’être en apnée et de ne jamais pouvoir s’en sortir car ce traumatisme contamine tous les aspects de votre vie. Parfois c’est juste passager, on arrive à respirer un bon coup, à sortir de notre pyjama dans lequel on traîne depuis deux jours ou nettoyer les traces de mascara qui a coulé sur les joues dans les toilettes du bureau, pour avoir un air à peu près digne en public. Mais d’autres fois, ça traîne… Et dans votre tête c’est le scénario « drame » : les journées deviennent des suites sans fin d’échecs sentimentaux, personnels et professionnels. Surtout, vous vous sentez seuls sur terre car personne ne peut vous comprendre à moins d’avoir vécu la même chose.
C’est là qu’au fond du trou, on recommence à se considérer comme une victime. Embarquée dans une spirale paranoïaque, on se répète en boucle que de toutes façons :
1) les gens (que ce soit votre pote qui n’a pas répondu à votre sms, votre superviseur qui vous a encore rappelé une deadline alors que vous êtes sous pression, le chauffeur de bus qui ne vous a pas attendue, la voisine qui a oublié de vous dire bonjour ou encore certains dirigeants aux coupes de cheveux improbables qui veulent déclencher une guerre nucléaire, au choix) sont tellement mauvais qu’on ne peut avoir confiance en personne
ou 2) aucune personne mentalement saine ne voudrait être ami(e) ou sortir avec quelqu’un qui ressemble à ça: « Salut, je travaille dans la communication, j’aime le chocolat et les films de Tarantino. Accessoirement je vois un psy chaque semaine, j’ai des tendances bipolaires avec changement d’humeur toutes les 2 heures, la figure d’un panda avec d’énormes cernes à cause des insomnies et je me sens tellement nulle par rapport à la terre entière que je finis par détester tout le monde ».
S.P.T = Sourire Profiter Tenir
Puis on essaie de repenser aux moments plus cool entre deux passages merdiques. Il y en a. ll y en aura encore d’autres. C’est toujours plus difficile à réaliser quand on se sent coincés dans une période particulière, avec cette mélancolie qui colle en permanence à nos baskets. Mais avec un peu de recul, on se dit « ok, ma vie est chaotique mais j’ai pu avancer jusqu’à maintenant - même si c’est en mode montagnes russes. »
Tous ces trucs qui paraissent insignifiants mais qui font qu’on reconstruit petit à petit sur les trous noirs laissés par le traumatisme.
On s’est levés le matin.
On s’est marrés avec des potes.
Il y a ce film qui était chouette.
Ou encore ce dossier super compliqué au boulot sur lequel on a pu avancer malgré les obstacles.
En fait, on a vécu beaucoup de lendemains malgré l’idée qu’on avait souvent de vouloir s’endormir pour ne plus se réveiller.
Les experts en psychologie parlent de résilience, un mot très tendance. En gros, ce qui ne te tue pas te rend plus fort. Je l’ai même fait tatouer sur ma côte (pas « Ce qui ne te tue pas te rend plus fort » en signes chinois mais juste un mot symbolique. C’est plutôt bizarre car plus de la moitié des gens qui me demandent ce que ça signifie et me disent avec un sourire que c’est beau, ne sauront probablement jamais que c’est lié à mon viol). Parce qu’on n’oublie pas ce qu’il s’est passé, ça fait partie de ce qu’on est. Après, c’est ce qu’on décide d’en faire qui change les perspectives. Ce qui est arrivé est derrière et petit à petit, on essaie de faire en sorte que ça pèse de moins en moins sur ce qu’on vit aujourd’hui - et surtout sur les projets cool de demain.
Evidemment, ça ne se passe pas aussi facilement que sur un claquement de doigts. Se dire qu’on est courageuse, compétente, jolie ou capable d’aimer à nouveau tout en réapprenant à faire confiance à ceux qui comptent vraiment, ça prend du temps. Certaines personnes bien intentionnées pensent aider en disant aimablement « Mais ton problème, en fait, c’est que tu te prends trop la tête. Faut moins réfléchir! » Ou encore « Nan mais tu dois lâcher prise quoi, faut juste reprendre confiance en soi ». Ah ben oui, pourquoi j’y avais pas pensé avant tiens, bah quand vous aurez trouvé la recette magique je veux bien l’avoir, merci.
Sinon il y a des trucs qui peuvent aider, comme voir un thérapeute. Ou essayer les méthodes « alternatives » (je suis un peu devenue un catalogue en la matière): reiki, méditation positive, exercices de pleine conscience… Ca fait rigoler beaucoup de gens qui n’y croient pas - mais peu importe. Ou écouter Santigold (sa chanson Can’t Get enough of Myself est magique).
Ou surtout, parler. En surmontant la peur et la honte, j’ai commencé à discuter autour de moi et j’ai découvert que plusieurs de mes connaissances avaient aussi subi une agression. C’est flippant et surtout révoltant, quand on se rend compte de l’étendue et de la gravité de ce problème. Certaines ont réussi à en parler, d’autres n’ont pas pu porter plainte. Derrière les sourires, ce sont des filles un peu brisées, avec des failles, les moments de doute, leurs sales têtes post-crise de larmes, leurs histoires parfois bancales avec les mecs ou encore leurs mini overdoses (de junk food, de séries TV débiles, d’alcool ou de shopping). Pas les filles parfaites dans les magazines ou sur Instagram.
Mais à leur manière, ce sont des Wonderwoman. Elles sont sympa, marrantes, elles bossent dans des domaines qui leur plaisent aux quatre coins du monde, ont des passions, font la fête avec leurs amis et passent des vacances avec leur famille… Bref, elles profitent du moment.
Because we are fucking alive, Man.