RETARD → Magazine

mercredi, 02 novembre 2016

Thomas Jorion, le photographe qui faisait parler les ruines

Par
illustration

Thomas Jorion est un photographe courageux. De ceux qui ont un jour plaqué leur boulot tous frais payés pour faire de leur passion leur quotidien. Ceux qui parcourent le monde pour nous rappeler la splendeur passée de lieux abandonnés par l’Homme. Et d’y rester parfois pendant de longues heures pour y saisir l’instant éternel qui se dégage d’un monument oublié de l’ère communiste, des vestiges d’un cinéma, d’un hôtel désaffecté au Japon, d’une église au Vietnam ou encore d’un hôpital aux Etats-Unis. Après “Silencio”, sa nouvelle série “Vestiges d’empire” exposée en ce moment à la Galerie Esther Woerdehoff se contemple aussi dans ce très bel ouvrage explore les ruines architecturales de l’empire colonial français.

Rencontre avec le photographe qui sublime les ruines et les traces que laisse l’histoire.

Bonjour Thomas. Ta dernière série “Vestiges d’empire” est composée de photographies de bâtiments et d’édifices de nombreux pays (Asie du sud-est, Afrique, Caraïbes) construits lors de l’empire colonial français. On sent que ton travail a pris un virage différent, presque politique…

Un petit peu plus oui. Il y a eu un véritable travail en amont et c’est un gros projet qui m’a pris trois ans. Je souhaitais toujours photographier des lieux patinés par le temps mais je voulais quelque chose circonscrit à un thème unique et fort. Partir sur les traces de l’époque coloniale m’a justement semblé avoir la profondeur que je recherchais. Il y a l’aspect photographique, architectural mais aussi l’aspect social et politique. De plus, cela m’a permis de rencontrer des gens qui m’ont parlé de leurs problèmes locaux. Il me paraissait évident qu’il n’était pas nécessaire de partir en croisade contre le colonialisme car il est notoire que le système est abject. Je n’ai pas eu besoin de le dire, on le sait déjà, même si je n’en avais sans doute pas saisi toute la portée. François Cheval, le directeur du Musée Niepce qui a écrit la préface du livre a encore fait avancer mon point de vue là-dessus.
Le fait de m’être rendu sur place m’a également permis de me faire une idée de ce que les gens pensent aujourd’hui. Mes rencontres m’ont fait découvrir que les nouvelles générations sont passées à autre chose. Je suis certain qu’il y a des gens qui ont souffert de cette époque et qui la vivent encore mal mais je ne les ai pas rencontrés.
Avec un peu de ce recul supplémentaire, j’ai réalisé que l’aspect architectural n’est pas non plus aussi neutre que je le pensais. Quand on construit, on le fait en sachant qu’il va en rester quelque chose et on impose d’une certaine manière une vision de l’architecture, ses codes et son style. Bien que ma vision du projet soit peu documentaire, il me paraissait important de présenter des dates de construction et le nom des bâtiments lorsque je réussissais à les trouver.

Maison, delta du Mekong, Vietnam

Maison, delta du Mekong, Vietnam

Comment as- tu découvert ces lieux?
Habituellement la plupart de mes recherches débute par internet. Mais pour cette série, j’ai du choisir d’autres modes car il y avait très peu d’informations. Je me suis donc plutôt documenté dans les livres d’histoire ou d’architecture et je me suis concentré sur les villes où je savais qu’il y avait eu une présence française. Malheureusement les bâtiments avaient souvent disparus et j’ai donc eu plusieurs déceptions. C’est un peu une course contre le temps car les constructions disparaissent petit à petit. Mes photos peuvent alors ainsi faire office de témoignage ou d’archives.
Les lieux présentés dans le livre “Vestiges d’empire” sont en réalité très souvent habités. C’est la raison pour laquelle j’ai photographié des gens pour la première fois.

Pourquoi as-tu, dès le début de ta carrière, choisi de photographier des lieux abandonnés, et non des portraits ou des paysages?
Je n’ai pas vraiment la réponse. Mais en y repensant, quand on était gamins avec mes copains, notre passion c’était vraiment d’explorer des lieux comme ça, on était fans des «Goonies». Notre truc c’était de rentrer dans des forts, des casses abandonnées. Je pense qu’avec la photographie je retrouve ces émotions. Il y a celle ressentie lorsque l’on rentre dans un lieu non autorisé. Et puis il y l’émoi visuel suscité par l’architecture du site.

Maison de commerce, Saint Louis du Sénégal, Sénégal

Maison de commerce, Saint Louis du Sénégal, Sénégal

Que ressent-on lorsque que l’on se retrouve seul dans ces bâtiments en ruine? De l’adrénaline? De la peur?
Pour “Vestiges d’empire”, j’étais assez souvent autorisé à entrer dans les bâtiments. Soit parce que j’avais des autorisations officielles soit parce que c’était grand ouvert. A la différence de “Silencio” où je rentrais un peu plus de façon officieuse. Mais je n’ai jamais vraiment eu de problèmes.
Pour le ressenti, j’imagine que chacun vit ça avec sa propre histoire et son imaginaire. Pour ma part, certains lieux me touchent plus que d’autres, parfois sans raison spécifique. Mais je suis toujours troublé lorsque je visite un site ayant eu un long passé historique.

Et du coup, tu as déjà croisé des fantômes?
Non, je n’y croyais déjà pas beaucoup, mais après avoir passé tant de temps dans tellement d’endroits de toutes sortes je n’y crois plus du tout. J’avoue toutefois ne pas aimer photographier les hôpitaux, je m’y sens mal à l’aise. Chacun vit ça a sa façon car il y a des lieux où je suis gêné alors qu’il y en a d’autres où j’aime rester après avoir pris des photos ; pour souffler un peu, prendre le temps de réfléchir, méditer.

Tribunal de première instance,  Chandernagor, Inde, 1760

Tribunal de première instance, Chandernagor, Inde, 1760

Parlons un peu de ton parcours. Tu as quitté ton travail il y a quelques années pour devenir photographe, quel a été le déclic?
Il n’y en a pas vraiment eu mais ça m’a toujours titillé. J’ai fait des études de droit car je ne savais pas trop quoi faire mais cela ne m’a jamais passionné. Et puis j’ai découvert la photo quand j’avais 18-19 ans, j’en faisais en parallèle de mes études. Je vivais en Seine-et-Marne et dès ma première pellicule j’ai photographié des châteaux abandonnés. Je travaillais le soir dans un laboratoire à Créteil et cela me permettait de développer gratuitement mes photos et de faire des tests, ça m’a beaucoup aidé à progresser. Ensuite j’ai fait des photos sur la petite ceinture qui a toujours été un terrain d’expérimentations.
J’ai ensuite terminé mes études et j’ai commencé à travailler mais ça n’allait pas. La photo était alors comme un exutoire, et l’âge avançant je me suis dit qu’il fallait peut-être en faire quelque chose. J’ai commencé à préparer le terrain en créant une première série vers 2007 et en présentant mon travail lors de foires. J’ai quitté mon poste en octobre 2009, avec seulement inscrit au planning une participation à un salon d’art contemporain. J’y ai vendu des tirages qui m’ont permis de financer un voyage puis un autre, et ça s’est enchaîné.

Hôtel des mines, Diego Suarez, Madagascar, circa 1920

Hôtel des mines, Diego Suarez, Madagascar, circa 1920

Qu’est ce que l’on peut te souhaiter pour l’avenir?
De façon générale, je dirais pouvoir faire de la photographie toute ma vie.
Sinon ce serait formidable d’être toujours inspiré et de ressentir du plaisir à voyager et photographier. Et de temps en temps atteindre une belle étape comme cette année avec ma première participation à Paris Photo.

Thomas Jorion, Vestiges d’empire
jusqu’au 26 novembre 2016 à la galerie Esther Woerdehoff
Plus d’informations ici

Elodie Zaig

Elodie est née en 1984 et porte parfois de superbes bottes rouges, héritées de sa mère. Cousine de Marine (sisi LA FAMILLE), cette jeune maman a décidé, après un bac + 5 bien comme il faut, de faire tout ce qu'elle voulait. Elle a vécu en Australie, en Grande-Bretagne, et se consacre aujourd'hui à la photographie, sa vraie passion. Une femme accomplie, dont tu peux checker le travail ici si tu veux : http://elodiezaig.tumblr.com/

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com