Il y a ceux qui nettoient frénétiquement, ceux qui accumulent jusqu’au débordement. Il y a ceux qui vérifient sans cesse, qui s’arrachent les cheveux, qui évitent, rangent, qui comptent, arrêtent et puis recommencent. Encore et encore. Ils refont les mêmes gestes et continuent la lutte, juste pour être sûrs. Et aussi parce que c’est plus fort que tout.
Ces gens-là font de parfaits personnages de télévision, risibles et incongrus. Des Adrian Monk, aussi attachants qu’énigmatiques. On les adore parce que bien malgré eux, ils ont hérités d’un fort potentiel comique. Sheldon Cooper est drôle. “Penny, toc toc toc, Penny, toc toc toc, Penny, toc toc toc”. Ca a beau être le 4ème trouble psychiatrique le plus répandu en France, il reste un mystère pour beaucoup, terrain favorable aux incompréhensions et aux mauvaises interprétations.
Rien n’est simple dans son approche, les troubles obsessionnels compulsifs regroupent une liste assez vaste de blocages divers et variés, de focalisations bien souvent accompagnées de rituels qui laissent entrevoir une peur bien ancrée chez les souffrants.
Et ma peur profonde à moi, c’est quoi? Au fond, j’en sais foutre rien. Je suis sujette aux TOC depuis plusieurs années déjà et n’ai été diagnostiquée par un psychiatre que très récemment. “Vous êtes obsessionnelle”. Ah. Quelle bonne nouvelle! Rien qui donne envie mais rien de trop visible non plus dans mon cas. Seuls les gens qui me sont très proches le savent, et encore, tous ignorent comment ça prend forme dans ma tête. C’est un fonctionnement en solitude.
Voilà pourquoi j’écris cet article. Pas pour expliquer ce que sont les TOC, je ne suis pas en mesure de le faire, je n’ai pas de diplôme en neuro. (Et j’ai pas fait psycho) (Et je regrette aujourd’hui d’avoir fait histoire de l’art) (Car cela mène au chômage). Non, je ne suis pas spécialiste du sujet, mais je tiens à en parler car, un peu égoïstement, je voudrais me soulager d’un poids. Celui qui pèse parce que je n’explique jamais, menant à la vilaine impression qu’on ne me connaît pas. Je ne souhaite pas que l’on me plaigne, s’y réduire serait insupportable et j’ai bien conscience que l’intensité de mes toc est vivable. Il y a même des jours où ils ne s’expriment pas du tout, et des jours où j’arrive, avec du recul, à me moquer de mes propres mécanismes. Mais je souhaite éclaircir la forme que peuvent prendre ces obsessions car, maintenant, j’ai besoin d’être comprise. Et si ça peut aider certains à poser des mots sur leurs drôles d’habitudes… pourquoi ne pas écrire ?
Ca a probablement commencé avant mais je me souviens de l’année de mes 18 ans comme le point de départ. L’hypocondrie grandissante. J’avais accumulé quelques merdes : gastro, grippe, otite, migraine, mycose (le meilleur pour la fin). Et j’avais l’impression que mon corps n’était plus qu’un réceptacle à fatigue. Je me souviens m’être persuadée, avec les plus grands arguments du monde, que j’avais le sida couplée d’une tumeur au cerveau. J’avais pas un grand sens du calcul de probabilités. Et surtout, je me souviens ne rien pouvoir écouter des conseils de mon entourage. J’étais comme prisonnière de mes pensées négatives et redondantes. Le reste du monde avait beau essayer, le reste du monde avait tort.
Après ça, il y a eu plusieurs fixettes au cours du temps. Il y a les rituels cute, les plus softs. Comme vérifier 3 à 10 fois que ma braguette est bien fermée avant de quitter mon appartement. Si j’ai une gêne du côté droit de mon corps, j’égalise en exerçant une pression à gauche, pour que ce soit “pareil des deux côtés”… sinon « ça me stresse ». Je compte 1,2,3,4 quand j’urine ou quand je fais couler de l’eau. Ne demandez pas pourquoi, je ne saurais pas répondre.
La contamination est restée. La crainte des germes, ne pas supporter de rester les mains sales, se désinfecter après chaque montée dans le bus, maudire les gens qui toussent. Obligée de retenir ma respiration le temps que les particules contaminées retombent sur le sol.
La propreté du visage, aussi. La dermatillomanie m’a collé pendant un an. J’ai exploré ma peau de fond en comble pour y triturer la moindre imperfection. Je tripotais, je grattais, je perçais, je nettoyais plusieurs fois par jour. Je ne supportais plus mon visage à tel point que j’ai dû me laver quelques fois avec du produit vaisselle. Cercle vicieux : plus tu touches, plus tu as d’imperfection et plus tu as honte de ce que tu es, de ce que tu fais. Culpabilité obscure. Mais c’était plus fort que moi. Je suis tombée sur cette page Facebook de soutien en ligne et aujourd’hui mes quelques cicatrices sont des piqures de rappel de ma période pizza-peppéroni-souffrance- groupe de soutien.
Puis le toc est reparti, comme il est apparu et a laissé place à la laxophobie. Autrement dit, la peur d’avoir la diarrhée dans un lieu public. Le truc qui remporte la palme du glamour, je vous l’accorde. Cette phobie, largement présente au Japon, s’accompagne de rituels : manger 2 immodiums par jour. Ou smecta pour varier les plaisirs. Boire ça comme du petit lait, pourrir son ventre. Repenser complètement son agenda en fonction de son transit et surtout, éviter tous déplacements en terre inconnue. Éviter d’aller dormir ailleurs, éviter de prendre les transports en commun. Et aussi bêtement que ça, les belles choses peuvent nous échapper. On rate un nombre incalculable de petits moments de bonheur. Pour le laxophobe, s’enfermer seul chez soi est la meilleure des solutions. C’est safe. Y’a un WC privé et personne pour témoigner.
Mais parmi ces phobies ou toc, ce qui m’épuise réellement ce sont les mentismes négatifs ou ruminations. Ces pensées obsessionnelles et intrusives qui viennent te mettre des trucs dans la tête jusqu’à ce que tu ne discernes plus le vrai du faux. Tu ne sais plus faire la différence entre ce que tu penses vraiment et ce qui relève de tes craintes intempestives et infondées. C’est comme une circulation intense d’idées et d’images dont on ne peut se défaire car elles sont bien trop vives, trop urgentes. Aiguës. C’est dur de faire abstraction car ces pensées t’accaparent et t’entraînent dans une spirale plus ou moins vertigineuse. Et on n’est pas fier de les accueillir, croyez moi.
On sait qu’on adhère pas aux idées, qu’elles sont contre nos valeurs, et qu’elles ne nous ressemblent pas. En réalité, elles représentent ce qui pourrait se produire de pire et tout ce que l’on craint ou déteste le plus : « et si j’étais fou? Et si je désirais ma mère ou mon chien? Et si j’étais pédophile? Et si j’avais envie de cogner ma femme? J’ai peur d’avoir envie de tuer quelqu’un. Un jour, je finirai en prison. » Et ces craintes peuvent venir frapper en boucle comme Woody Woodpecker contre la chair de ton cerveau. Ça peut aller très loin car le “pire” repousse les limites et reste propre à chacun. Certains obsessionnels ont peur d’être gay… (là c’est sans commentaire).
Quand surgit une de ces craintes, alors c’est tout un mécanisme de vérification qui va se mettre en place. On va essayer de démonter cette idée hardcore de merde coûte que coûte. Pour ma part, ma focalisation principale c’est l’amour. Ça a même un nom : le toc du couple. (et il y a même des sites internet spécialisés). Des fois, sans prévenir, il y a une petite phrase qui arrive dans ma tête et qui me dit “tu n’aimes pas ton mec”. Alors que tout va bien et que j’suis fine amoureuse et que j’étais juste pépouze en train de regarder l’amour est dans le pré putain. « Non tu ne l’aimes pas - ben si je l’aime » « Non. Tu le trouve moche et tu vas le quitter » Ça m’a fait ça dans plusieurs relations, souvent quand j’étais le plus amoureuse. (Pour certains c’est difficile d’accepter qu’on a droit au bonheur…)
Alors tu commences à lutter, à te dire que c’est pas vrai, à angoisser. Tu te prépares à l’affrontement, la BO de Rocky pour te donner le courage de refuser en bloc. Mais pour être sure que ces pensées sont fausses et pour faire taire cette voix intempestive, tu dois vérifier. Vérifier si tu l’aimes vraiment. Tu vas repenser à vous, tout remettre en question, essayer de te souvenirs de trucs récents, regarder des photos de ton mec pour voir si tu le trouves encore beau, aller lui parler sur Messenger pour voir si t’es contente quand il te répond… et c’est une lutte insensée avec le petit démon merdeux qui squatte ton épaule droite. A tel point que parfois, tu ne tires aucun plaisir à aimer ou à être aimé. Au final, la seule chose qui te reste une fois que tu es épuisée par tes propres contradictions, c’est une envie d’exploser ton crâne contre le mur et rester célibataire pour s’éviter tout ça ainsi qu’à ton partenaire.
Mon ex l’a très mal vécu, comment le blâmer. Mais bon, il était con. Mon mec actuel comprend que c’est indépendant de ma volonté et choisi de me soutenir lors de mes remises en questions chroniques. Et j’en ressens une très forte gratitude envers lui. Cœur avec les mains ma crotte. Le reste du monde ne sait pas tout ça.
Encore une fois, mes TOC sont vivables. Certaines personnes sont totalement absorbées par leurs rituels de contrôle et ne peuvent plus avoir de vie sociale simple ou ne peuvent plus travailler. L’intensité n’est plus la même, les répercussions sont violentes. Mais, que le degré soit léger ou important, les obsessions sont un véritable poison, que l’on explique trop difficilement, dont on se débarrasse trop péniblement. Et le plus fatiguant dans tout ça, c’est de ne pas savoir pourquoi on en arrive là et de chercher quelqu’un pour nous comprendre.