Le premier épisode est à lire ICI POUSSIN
Devant l’énervement de mon paternel face à mon manque de décisions, j’ai donc choisi pour mon premier jour de quatrième de me déplacer en voiture, en demandant expressement à Papa Normand de me déposer non pas à l’entrée, PLUTOT CREVER, mais près du gymnase, soit à 100 mètres du collège. Il est scandalisé par ma décision qu’il trouve ridicule, mais je reste intransigeante : il en va de ma nouvelle crédibilité. Je claque donc la porte de la 405 sous les vindications de mon daron, et me dirige le menton haut et le eastpak chargé vers ma destinée, et le portail du collège, évidemment fermé.
Je suis incapable d’arriver en retard. L’idée que je puisse manquer au règlement scolaire me provoque des plaques d’eczéma que même ma petite veste Levi’s que je n’arrive pas à fermer aurait du mal à cacher.
J’ai donc dix minutes d’avance, toujours.
Plus me ferait passer pour la pire des bouffonnes, et si j’arrive tard, je rate tout le résumé des potins distillés par les filles qui se prétendent être mes amies mais qui se révéleront être des sacs à merde de l’enfer sans âme.
Si je me pointe tôt en cette première journée, c’est surtout pour faire le point sur les nouveaux visages qui se promèneront dans l’enceinte du collège. Je ne parle pas des sixième, que je méprise déjà allègrement du haut de mes DEUX PUTAINS d’années de plus : je parle des nouvelles recrues, celles qui seront déposées dans ma classe par les douces cigognes du love, celles qui illumineront mes journées comme les guirlandes s’occupent du sapin à Noël. Je mets mon radar en marche devant les grilles blanches : force est de constater que cette matinée ressemble à toutes les matinées passées devant le collège, où l’espace entre le monde réel et l’établissement scolaire se trame en cour des miracles où je ne suis pas encore la belle Esmeralda mais plutôt une version mieux gaulée de Quasimodo.
A gauche, comme toujours, les sixième, accompagnés pour cette première journée de parents émus, qui se rendent compte entre deux sanglots qu’ils passeront les sept prochaines années à haïr leur progéniture dorénavant tourmentée par les hormones, les boutons d’acné et LE FAIT QU’ILS AIENT PAS DEMANDE A NAITRE, OKAY ? Non loin d’eux les cinquième, aussi en tentative d’affranchissement avec les rares pères et mères qui font, eux, déjà la gueule (plus que six ans à tenir, courage) et les quatrième/troisième nazes.
A droite, les autres quatrième/troisième, évidemment, et ceux que je rêve d’intégrer l’équipe de mes rêves, la brigade du cool. Débauche de scooters avec des autocollants Oxbow, doudounes Ellesses portées de manière lâche sur les épaules alors qu’il fait encore 25 degrés en Touraine, Malboro au bec payées par les sous piqués dans le portefeuille de papa, ils sont le rêve américain mais à portée de ma main. Tout suinte chez eux la nonchalance, le je m’en foutisme, l’ivresse de la jeunesse. Les filles sentent le Ushaïa fleurs des tropiques et se dessinent le contour des lèvres : elles ont déjà l’air de vraies femmes alors que ce ne sont que des enfants saupoudrés d’un nuage de vulgarité. Elles sont là, à faire chavirer les coeurs de puceaux immergés dans le Vivelle Dop, qui, chamboulés à jamais, marquent à répétition leur prénom au blanco sur les tables du collège en attendant un signe.
Au milieu, tel un François Bayrou incapable de prendre une décision, je les regarde se rouler des pelles, mâcher la bouche ouverte des malabars qu’ils violentent dans un vacarme assourdissant, tandis que derrière eux les mobylettes se livrent à une chorégraphie maitrisée du bout des baskets Kappa. J’aimerai rejoindre cette team aussi brandée qu’un numéro de la rentrée de Vogue, putain, mais mon profil de première de la classe angoissée n’est pas à mon avantage. Et, même si ils ne me pourrissent pas la vie (ils ont besoin de mes cours d’SVT pour faire des photocopies quand ils sèchent pour fumer des clopes sur le parking du Leclerc), je sais très bien que je ne suis pas l’une des leurs. Ce n’est pas faute d’essayer pourtant, à coups de rébellion en cours de maths et de mèches colorées faites avec le mascara pour cheveux de maman. Mais ils le savent, ils le sentent, je ne suis pas cool. Et je pourrais vivre avec, difficilement, mais je pourrais vivre avec, si il n’y avait pas, au milieu de cette foule sexy et arrogante, violente et ensorcelée, mon preux chevalier de l’année dernière, le tourment de mon âme de cinquième, mon doux Thomas Micron.