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jeudi, 20 juillet 2017

TREIZE 29 : SOUS UN TUNNEL

Par
illustration

Retard est un roman feuilleton qui débute ici.
Le dernier épisode se lit là poussin chou

Deux ans ont passé et j’ai fait ce que je sais faire de mieux.

J’ai coupé les ponts.

De partout. J’ai essayé de recommencer une nouvelle vie, comme si c’était possible, comme si on pouvait remettre les compteurs à zéro et devenir une nouvelle personne quand on n’est pas spécialement fière de ce qu’on a fait précédemment.

Je suis en première littéraire là, à l’internat, à Nice. Je ne parle plus à personne de la Touraine, même plus à grand monde de la troisième où j’ai atterri en arrivant dans le sud. J’ai zéro nouvelles et je n’en donne pas, quelques unes à Charlotte par le biais de lettres mais c’est tout. Quel intérêt ? Après l’heure ce n’est plus l’heure et sur ce point là j’ai drôlement merdé. J’ai tardé pour répondre à une lettre, celle qui était sur mon bureau, signée par toute la classe, j’ai tardé à répondre à une deuxième et après je me suis dit

A quoi bon ?

Mes parents n’ont plus de vacances à cause de leur taf, je ne redescenderai plus jamais, et puis est-ce qu’on peut retenir des émotions, faire vivre quelque chose par lettre ? Je ne pense pas. Du coup il faut arracher le pansement, panser les plaies et puis tourner la page.

Personne n’a vraiment insisté de l’autre côté pour reprendre de mes nouvelles. L’envie de garder un lien a fini par s’éteindre, et tout le monde est passé à autre chose.

J’ai très vite quitté le village où travaillaient mes parents. Dans un élan d’allez vous faire foutre, et peut-être aussi parce que je me sentais mieux toute seule, surtout parce que cela me prépare à aller vivre à Paris quand j’aurais 18 ans, mon rêve pas du tout secret mais mon rêve quand même. Comme un sevrage, j’habitue mes darons au fait de moins me voir. Ça va faire bientôt deux ans que je suis en pensionnat et ça se passe bien. Je pense que j’ai trouvé mon équilibre. Je peux supporter mes parents deux jours pas plus, du coup c’est nickel, et je passe le reste de la semaine avec mes copines, qui sont à la fois tellement différentes de moi et qui me complètent d’une façon que je ne comprends pas toujours. Une nouvelle famille, formée exclusivement de meufs de 16 ans qui ont privilégié leur scolarité sur leur famille. On est bizarres mais on s’aime fort, alors ça va.

Néanmoins, quand je rentre par le weekend, je revois encore Elodie, même si Lucie a déménagé. Elle a supporté toutes mes crises de copine boudin avec calme et diplomatie, a su m’écouter même quand moi je n’en pouvais plus, et du coup, ça me fait du bien d’avoir quelqu’un à qui parler, encore, sous le soleil des Alpes Maritimes.

Au lycée, malgré mon corps qui continue à me dégouter, j’essaie désespérément de trainer avec les cools, et je m’aperçois que les choses ont changé. Ce ne sont plus les racailles qui ont la grâce de tout le monde au bahut, non, ce sont les rebelles, les mecs aux cheveux longs qui vont faire chier des dizaines et des dizaines d’années en citant Lou Reed et David Bowie à tout bout de champ. Les mêmes à quarante ans qui te feront chier avec « c’était mieux avant » en refusant d’accepter ce qui se passent maintenant.

Je le regarde pourtant avec envie, le groupe de Victor et de Barthélémy, à faire des blagues que je ne comprends pas forcément, à parler Glam Rock et bouquins de science-fiction. J’aimerai tellement être l’un d’entre eux que j’ai même refilé mes sapes de racailles pour un look un peu plus relax, un truc qui oscillerait entre un fan de Red Hot Chili Peppers et de J-Rock.

JE PENSE FORT À TOI SUGIZO D’X JAPAN.

No more machineguns play the guitar PV - Sugizo

Ils sont gentils mais bon, vu que je suis à l’internat, je fais pas non plus vraiment partie de leur bande, je suis une pièce rapportée pas méchante mais pas gênante non plus. Comme d’habitude, j’ai l’impression de lutter pour me faire une place, pour avoir l’impression d’exister aux yeux des gens qui m’impressionnent. De toute façon une partie de moi s’en fout, je n’ai plus vraiment l’impression d’avoir une identité, moi et mon gras sommes malléables à souhait, je me cherche et je peine à me trouver. Néanmoins, le fait que je m’habille dorénavant un peu n’importe comment, les cheveux rouges et le t-shirt déchiré, leur donne l’impression que je suis un peu cool, j’ai la bonne panoplie.

Alors que l’intérieur n’est pas forcément joli à voir.

Ouais ouais, je traverse les tourments de l’adolescence en me prenant toutes les vagues du dégout de soi dans la figure.

Je traine pas mal avec mes cousines qui me font des bilans de la musique qu’il faut écouter, les films qu’il faut voir. Je note tout dans un coin de ma tête et j’essaie de rebalancer les références quand c’est possible.

Des fois je me dis que je fais pitié à essayer aussi fort de dégager quelque chose de léger et de cool, et puis je me dis qu’on le fait tous. Une grosse mascarade pour essayer de contrebalancer les personnes que nous sommes vraiment. On regarde ptet tous en secret « Nice People » en se mettant le doigt dans le nez et en rêvant de porter des pantalons à ceinture élastique. Mais bon, la pression, la norme, l’envie de plaire, l’envie d’être accepté, et on finit par faire la même merde que tout le monde à sortir les mêmes poncifs usés.

En vrai, j’avais pas l’impression de jouer autant à ça quand j’étais en Touraine. A être aussi fausse, à devoir mendier de l’attention ou de la bienveillance, et à devoir jouer sur de la superficialité pour me faire accepter.

Mais bon, c’est fini, c’est derrière moi.

Et il faut bien que j’avance.

Un weekend, alors que je fais du shopping avec ma mère à la recherche d’une paire de chaussures qui me permettront peut être enfin d’avoir de la personnalité, mon portable sonne, et un numéro s’affiche.

Un numéro que je n’ai pas vu depuis mille ans.

Celui de Sandra.

Nous sommes dans l’un des centres commerciaux de Cannes, et je stresse. Je ne sais pas quoi lui dire, c’est moi qui ait fini par ne plus lui donner de nouvelles, est ce que je réponds ? Est-ce que je laisse sonner ? Qu’est ce que je vais pouvoir lui dire à part que je sais très bien avoir été une mauvaise amie ? Une partie de moi a envie de savoir ce que tout le monde est devenu, une partie de moi a envie de prendre des nouvelles de V. aussi, de savoir si il va bien, tout en faisant semblant de m’en foutre

Parce que c’est bien ce que font tous les autres hein, faire semblant que rien n’est important, que tout le monde est remplaçable.

Alors que ma mère regarde une vitrine, je m’isole et décide enfin à décrocher.

-Sandra ?

-…….Marine ?

La conversation est difficile, je capte très mal à l’intérieur du bâtiment, et j’ai peur de perdre ma mère dans la foule. Alors je la suis bêtement, en tendant l’oreille le plus possible, mais j’ai l’impression de passer sous un tunnel tellement tout reste incompréhensible.

-……ça va ?

Je n’entends rien à ce que me répond Sandra. La conversation coupe toutes les deux secondes, et je capte un mot sur trois, quand j’arrive à le capter. La connexion finit par se couper, alors que la voix de Sandra semblait trembler.

-C’était qui ? me demande ma mère.

-Sandra. Mais je n’entendais rien à ce qu’elle pouvait me dire.

-Si c’est important elle rappellera non ?

Si c’est important oui, elle rappellera surement.

Mais elle ne l’a pas fait.

Et j’ai aussi oublié.

Parce que souvent, je suis à chier.

Des fois je me donne tellement de mal à essayer d’effacer les gens que j’y arrive. Sandra n’est plus dans ma réalité, tout ce qui représente la Touraine est pour moi en mode « pause », et se réactivera dès que j’y remettrais les pieds. Pour le moment, il n’y a que des palmiers, Marc Bolan, cette lutte pour être acceptée et ce sentiment de pas fini qui continuera à m’habiter, longtemps.

Des fois à l’internat pourtant, avant de m’endormir, je me demande ce que pouvait bien me demander Sandra. Elle voulait peut-être m’inviter en Touraine. Elle voulait me parler de ses études, de son petit coeur tout mou ?

Ou bien elle avait une annonce à me faire.

Un truc qu’on ne peut pas dire par texto.

Suite et fin

Marine

Leader Autoritaire
Marine est née en 1986 et vit avec un petit chien trop mignon. Après avoir joué avec des groupes de filles ultra classes d'après les autres membres (Pussy Patrol/Secretariat/Mercredi Equitation), elle gagne sa vie en écrivant sur des sujets cools et se la pète déjà un peu. Ca ne l'empêche pas de traîner en pijama dégueulasse le dimanche en essayant de twerker mal sur du William Sheller. L'AMOUR PROPRE C'EST DÉMODÉ OKAY.

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com