Les 80s en Grande-Bretagne. Margaret Thatcher est au pouvoir. La guerre des Malouines bat son plein et le filofax vit son avènement. Brixton se rebelle, les travailleurs rentrent en grève. Johnny Rotten est redevenu John Lydon tandis que les Blitz Kids veulent régner sur le monde.
C’est aussi l’époque où le NME tenait encore la route. Il avait sorti une compile, en 1986, comme tout bon journal musical qui se respecte. Ca s’appelait C-86 (original) et tu pouvais y trouver ce qui allait devenir la pierre angulaire d’un nouveau genre en pleine éclosion qu’on appellera plus largement pour des soucis de simplicité l’indie pop.
Sur la cassette, tu pouvais retrouver des noms comme les Pastels ou encore Shop Assistants. Je crois même qu’il y avait Primal Scream dans le lot. Une date qu’on ne peut ignorer, tant elle a joué son rôle dans la percée de la culture indé.
Pendant pas mal de décennies, l’arrivée de ce genre a plutôt fait marrer, devenant le boulet de nos chers ennemis les anglais. On était loin de la rage qui caractérisait la fin des seventies, avec toute la ribambelle de quetards qui composait le paysage anglo saxon.
Même si le côté Do It Yourself continuait à tourner dans la tête, l’esprit punk, quant à lui, semblait mort et enterré. Faut dire que le genre est parti comme il est arrivé, dans un n’importe quoi total, donnant soit à certains courants issus de la scène punkos le désir d’une certaine forme de notoriété (après tout, si Sid Vicious a bien réussi alors qu’il était con comme une chaise, pourquoi pas y aller) ou encore l’envie de pousser tout le monde au suicide, coiffé d’une jolie petite mèche couleur noire de jais(tous les groupes obscurs ressemblant à une parodie des Inconnus). D’autres ont quand même tenu à soigner l’héritage, en se rangeant du côté d’un keupon beaucoup plus hardcore que son ancêtre mais définitivement moins tournée usine McLaren.
Au milieu de ça, il y avait des gosses à la marge. Ceux en rade de thunes, exaltés par toute cette culture mais incapable de s’y intégrer, parce que pas du genre à crier plus fort que le voisin, ni même à dégueuler tripes et boyaux dans le caniveau. Les suburban white kids vêtus d’un simple jean/t-shirt, ne possédant pas la dernière paire de godasses à la mode ni même le style adéquat pour faire parti du club. Des gamins, dans leur chambre, qui se sont mis à rédiger leurs propres magazines, leurs propres règles, leur propre identité. Quelque chose de brouillon, mais qui sera décisif pour les années à venir.
Et puis l’époque est moche. Très moche. Le libéralisme se déchaîne, les grosses machines avalent tout sur leur passage. L’envie de valoriser les petites structures en opposition à l’industrie du disque et de ses impératifs commerciaux est un idéal, quand il ne devient pas une nécessité. La recherche de technique, revenue au centre des conversations durant l’ère post punk finit de redonner l’envie à certains d’expérimenter à la manière des novices, laissant parler l’instinct plutôt que la virtuosité, comme ses illustres idoles une dizaine d’année plus tôt.
Et c’est ainsi que sur les cendres de l’année 1977 naquit dans le plus grand des calmes la twee pop. Le cauchemar des uns, la libération pour d’autres.
Un genre souvent mal compris, victime de sa propre connerie ambulante. Puérile, nunuche, couillon et j’en passe, la twee, comme tu le vois, c’était pas très fierce, et plutôt proche de l’encéphalogramme plat. On vénère les textes de Morrissey, on puise dans le jeu des Ramones et on admire l’ère des groupes de filles. Grosso modo, les jolies mélodies remplacent les riffs agressifs.
Ainsi, la twee était devenue une bonne alternative pour tous ceux qui se sentaient proches des valeurs du punk, mais qui ne possédait pas la sauvagerie qu’on attendait de cette scène. Le rock a cette idée de sexy, de cool, qui se calcule au litre de sueur et à la taille de la bite. Alors quand l’indie a permis à des binoclards de toucher une guitare, t’imagines pas le bliss.
Tout d’un coup, une personne lambda pouvait se porter. Elle n’était plus coincée entre le mythe de la pop star mainstream ou du rockeur gros bras. La création de la branche indé, et de sa sous branche twee, a ainsi offert une identification nouvelle, que les autres genres ne pouvaient soutenir.
Aux USA, le groupe Beat Happening, quelque peu antérieur à la twee et né à Olympia, en est un bon exemple. Calvin Johnson, lead vocals et fondateur du label K Records dira d’ailleurs à ce sujet qu’il n’avait pas un type de voix hardcore, et qu’il devait donc trouver une autre manière d’être punk.
Ce sera donc dans la mignonnerie la plus totale.
En 1987, Matt Haynes, rédacteur du fanzine Are you scared to be happy, monte un tandem avec la journaliste de Kvatch, Clare Wadd, pour mettre sur pied ce qui deviendra l’usine à groupes twee, Sarah Records, durant huit ans d’existence. Là-bas, on y favorise la production de 45 tours à bas prix. Le concept ? Faire soi même sa tambouille en réduisant les intermédiaires et les coûts de prod. L’intérêt n’est pas vraiment de vendre mais plus de créer une communité animée par une passion commune.
Comme le milieu du rock est quand même assez primaire, j’avoue ne pas trop m’avancer en affirmant que le nombre assez important de femmes durant l’époque twee a joué un rôle pas mal poussé dans la haine, parfois viscérale, que certains et certaines pouvaient éprouver. Stop me if you heard this before comme le chante Moz, mais je suis pas du genre à croire aux coincidences.
Parmi les groupes signés, on retrouve Heavenly ou encore Talulah Gosh, ayant la particularité d’un lead vocal féminin. Mais la multiplication des femmes au sein de la musique indé a dépassé la seule présence de Sarah Records.
Calvin Johnson était fasciné par les groupes de Rough Trade, comme les Slits ou les Raincoats, antérieurs à cette période, les voyant comme des précurseuses, plus intéressées par la créativité, et offrant un véritable rôle pour les femmes musiciennes. Tout comme de l’autre côté de l’océan le travail de Jenny Toomey autour de la scène rock californienne fin des années 80-début 90, certes plus axé militantisme mais terriblement prolifique.
Avant même le riot grrl, la girl culture avait déjà ses représentantes, et contrairement aux idées reçues, c’était définitivement tout sauf pour déconner. Ainsi, les femmes pouvaient jouer, produire de la musique et la distribuer, le tout dans un univers où le mâle alpha n’existait pas, puisque lui aussi en proie à des questions liés à la notion de virilité.
Pourtant, accoler l’idée d’un quelconque mouvement politique à la twee est une erreur. On peut y voir une certaine forme de revendication mais elle ne prenait pas les traits d’un véritable discours sociétal. Cependant, le rapport de force entre hommes et femmes ainsi que les rôles distribués au sein même de la scène a changé la donne dans la manière de percevoir le rock. La girl culture venait de faire son entrée dans l’univers machiste du punk sans en prendre les codes masculins, et en s’organisant autour de ses propres références, et ce, pour la première fois, contrairement à certaines ainées du punk 70, beaucoup plus frontales mais aussi beaucoup plus éparpillées.
Car au même titre que les mecs, toutes les filles ne sont pas des Nina Hagen en puissance, s’installant en direct à la télé pour mimer une petite séance masturbation à la cool. D’autres ont aussi parfois réfuté l’idée d’un quelconque besoin de féminisme, ayant préféré ingurgiter les codes d’un rock masculin traditionnel pour mieux se fondre dans la masse.
Mais croire que la twee ne se limite qu’à des mélodies légères et simplettes, dans un souci de célébration de la naïveté et du bonheur, c’est mettre à côté de la plaque.
Alors bien évidemment, je sens qu’on va me sortir les éternels « et les looks cardigans ? » « et les balades à vélo ? » et « les petits chatons ? » « et les histoires de cœurs brisés ? ».
Et ta mère ?
L’industrie musicale mais aussi le public a souvent renvoyé à la twee pop un regard méprisant. Faut dire que le terme lui même est péjoratif, étant à la base une allitération enfantine de sweet (tu vois donc où ça se situe). Mais comme le disait Matt Haynes de Sarah Records, « Ceux qui utilisent les termes de “mignon“ ou “twee“ comme des insultes, parce qu’ils sont mal à l’aise avec notre absence de machisme et de rock and roll, ça en dit davantage sur leurs propres insécurités et leurs attitudes réactionnaires et traditionnelles que sur nous. »
C’est la même attitude qui poussera d’ailleurs Beat Happening à balancer des bonbons à l’assistance (« Quoi, vous êtes trop cools pour manger des bonbons ? »), ou Allo Darlin’ à chanter Henry Rollins don’t dance, parce que pourquoi pas.
Seulement au pays de l’indé, les choses ne sont jamais aussi simples. Si tu regardes de plus près, l’ossature twee se base d’abord sur une mélodie à la rythmique catchy, un peu à la manière d’une contine. D’où le problème du genre, donnant aux auditeurs la sensation d’un truc hyper childish sans réaliser ce qui se trame dans le fond…
…et les mots dans la twee sont tout sauf innocents. Les thèmes abordés dans ce genre ont la particularité d’être inversement proportionnel au tra la la qui ressort de la majorité des titres. Par exemple, la chanson Lucky 7 de Cub, où Lisa Marr raconte l’histoire d’une tromperie et de son mec qui lui crache pépouze dans les yeux. Ou Heavenly, avec Sperm meet egg so what, dont le sujet est une grossesse non désirée. Du même groupe, Me and my madness parle cette fois-ci de dépression et de scarification.
On est d’accord qu’on est loin de la bonne ambiance pink paradise.
Ce fossé entre contenu et contenant n’est pas sans rappeler l’idée d’une femme qui doit sourire sans cesse, y compris face à son mal être, la société lui interdisant d’éprouver un quelconque sentiment autre que la joie (parce que c’est vrai, quoi, qu’est-ce qu’on est bien loties, nous, les femmes). Derrière son côté cul cul la praline, la twee exprime un mal être et l’impossibilité d’une féminité sortant des carcans habituels.
En terme de structure musicale, dire que la twee est niaise n’est pas non plus tout à fait exacte. Il n’est pas rare de noter une ligne de guitare beaucoup plus offensive, une expression de l’agressivité qui rejaillirait derrière ces sourires forcés.
Traditionnellement, la guitare est un symbole de virilité, de pouvoir masculin et de savoir faire. Qu’une femme puisse s’approprier un tel instrument remet en cause des décennies d’ordre établi. Mais au lieu de reprendre ces codes de masculinité exacerbée, les femmes de la twee préfèrent s’exprimer à travers une réappropriation de la girl culture. Le corps, les règles, l’amitié, les amours, les jolies petites robes et les chatons sont autant de symboles jouant sur l’univers enfantin du mouvement et sa rupture totale avec le rock d’antan.
En réécrivant la notion de girlhood, la twee a crée un nouvel espace pour les femmes, une nouvelle voix. Il a uni les filles tout en tentant de déconstruire ou au moins questionner la féminité. La girl culture a pris une tournure beaucoup plus subversive, dans un climat anti-capitaliste. Le mignon de façade explore tous les problèmes liés au fait d’être une nana dans un monde de mecs. Elle avance aussi l’idée qu’on ne reste pas des petites filles jusqu’à notre dernière révérence. Elle marque les prémices d’un upgrade chez les femmes, préparant le terrain pour une nouvelle armée de nanas un chouia plus enragée.
La reconquête de leur corps et de leur sexualité.
Mais ça, ce serait au le prochaine épisode.