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jeudi, 07 juillet 2016

UGC des Halles

J’aime aller au cinéma, j’aime les films, Woody Allen, les frères Coen, les classiques, ceux au hasard sur Netflix, même parfois ceux sur YouTube, un jour j’en ferai un.

C’est parce que j’aime aller au cinéma, que j’ai lancé « on va au cinéma? La dernière séance ? » à mon ami Nicolas quand un samedi soir il m’a dit qu’il annulait sa soirée d’anniversaire où il avait été invité par une amie anxiogène parce qu’il savait que ça allait lui prendre la tête et donc qu’il préférait ne pas y aller, mais ça c’est encore une autre histoire. Je vais souvent à la dernière séance, pour moi le cinéma est une activité de soir, de nuit.

J’avais du travail, la dernière séance est la deadline. Le cinéma est une activité de nuit, l’été il faut y aller tard, puisque le soleil se couche à pas d’heure.

Après avoir dîner nous somme donc allés au cinéma, UGC des Halles, c’est comme ça, aucune autre salle de façon random n’est envisageable. Ça me rappelle quand à 16 ans avec mon premier mec on se retrouvait de nos deux extrémités de RER D dans ce centre névralgique de Paris, Les Halles, qu’on prenait des seaux de poulet au KFC et qu’on allait les manger dans les petites et moyennes salles de ce même cinéma.

Voilà où sont allées mes économies d’adolescente, dépensées aux Halles entre le HM, le Zara, le McDo le KFC et le cinéma. Le Sephora pour se reparfumer avant de se retrouver. Sexualité hétérosexuelle normalisée par Les Halles, les Tim, les peaux de pêches, les blousons Avirex, les babyhair et la compétition aux 06 récoltés.

Donc ce samedi soir l’heure était donnée, néanmoins nous ne sommes plus ces ados-là, alors d’abord nous avons dîné, plat, pas de dessert, remplacé par le menu solo, un seau de pop corn et une boisson 50 cl, nom qui rappelle aux célibataires leur solitude, celle qui s’accroche aux hanches, aux genoux, aux chevilles comme un boulet le samedi soir tard. Après avoir essayé de comprendre puis de m’adapter à la norme, je me suis résignée, un soir est un soir, une nuit est sombre peu importe le jour de la semaine, le nom qu’elle porte. Alors le samedi soir ne rime avec rien. Puisque c’est pour cet ami que nous y allons, je lui laisse le choix du film, il choisit « Néon Demon ». Les films aux noms de parfums ne m’ont jamais attirés, mais je suis curieuse. aller voir des films sans en connaître le pitch me plait.

On a tous nos petites manies de cinéma, les miennes, un pot de glace Ben Jerry, le premier rang toujours, nous entrons dans la salle, le film commence, tout juste, nous descendons jusqu’au premier rang.

A deux fauteuils un vieil homme, cheveux et barbe grisonnants, une chemise hawaïenne, il a ces airs de « permanent vacation », ça me fait sourire. Puis plus loin quasiment au bout de ce premier rang chéri un autre homme, la quarantaine/cinquantaine, vêtu de noir. Une bière posée au pied de son fauteuil.

Je suis fatiguée, la « semaine » a été longue, les projets d’expos, tournage, shooting, studio, dessins, animés, se sont multipliés. Le film commence et arrive comme une parenthèse. C’est comme ça que je conçois le cinéma. Un abandon. Une histoire racontée, jouée, au milieu de celle du quotidien, aussi pittoresque soit-il.

Il y a cette jeune fille, Elle Fanning, qui est le personnage principal, elle m’évoque mon adolescence, passée, ravivée, souvent. Elle a décidé de devenir mannequin, de gagner de l’argent grâce à sa beauté, consciente d’avoir ce « don ». Les images se succèdent, la narration est suggérée, parfois bifurque, je me perds, c’est agréable. Je picore après ma glace dans le pop corn de Nicolas. Dans le film un flash blanc, un photographe shoote l’actrice principale. L’homme à l’extrémité du rang se lève, se dirige vers le mur le plus près de lui, se positionne face et continue de regarder le film. Il tient la pose de celui qui pisse contre un mur et continue à regarder un film . Il ne tient pas juste la pose, il pisse contre le mur tout en continuant à regarder le film. Se rassoit, ouvre son sac à doc et commence à sortir les unes après les autres des canettes de bière, des 1664, les pose au pied de son fauteuil, j’en compte 7. Le film continue, l’ambiance y est particulière, d’autres mannequins jalousent la beauté de l’actrice principale, veulent la manger, je ne suis plus, l’homme du bout du rang ressemble étrangement à cet acteur qui joue le père pédophile/péderaste dans Ken Park de Larry Clark. La réalité est de plus en plus floue, le cinéma c’est ça, une perte de repères, le téléphone éteint et le temps n’existe plus la durée du blockbuster. L’homme du bout du rang enchaîne les bières, presque coup sec, puis rote, puis en ouvre une nouvelle. Dans le film, le vrai, celui projeté, l’actrice principale est hébergée par une autre mannequin, une qui la jalouse, cette dernière essaye de l’embrasser, puis la chevauche. Dans mon champ de vision je vois l’homme à deux fauteuils de moi glisser sa main dans son pantalon, je le vois de biais ouvrir la bouche, puis j’entends un frottement, régulier, j’écarquille les yeux, Nicolas me voit ahurie, me croit choquée par la scène érotico-lesbienne, me demande si je veux sortir. Ce n’est pas cette enjambée lesbienne qui me traumatise, j’ai besoin de bien plus, comme par exemple d’un homme qui se masturbe à coté de moi. Du regard je lui montre l’homme. Nicolas alors prend sa voix la plus forte, toussote et lui dit « Monsieur pourriez-vous s’il vous plaît arrêter de faire ce que vous êtes en train de faire«

L’homme de lui répondre avec un accent anglais » je me gratte, c’est pas moi c’est le film, et si tu n’es pas content tu te casses«

Le film a été long jusqu’à la fin, l’actrice a été dévorée par les autres mannequins, au sens propre du terme, je spoile, je m’en fous, à la fin, pendant un shooting, une des mannequins carnivores vomit un de ses yeux.

A ce moment-là l’homme du bout du rang s’est relevé, est retourné pisser contre le mur de la salle, et à continuer à boire des bières.

J’aime aller au cinéma, j’aime les films, Woody Allen, les frères Coen, les classiques, ceux au hasard sur Netflix même parfois ceux sur YouTube, un jour j’en ferai un.

Safia Bahmed-Schwartz

Safia est née en 1986 et porte à son auriculaire une très jolie bague en or. Quand on a proposé à cette artiste/prestidigitatrice/receleuse de passer des MP3 à notre soirée au Trabendo (on était tombées amoureuses d'elle en regardant son clip "Vaseline"), on a halluciné quand elle accepté (et on était aussi super contentes, elle a passé MARIAH CAREY). Puis on a re-halluciné quand elle nous a proposé de tenir une chronique qu'elle illustrerait de ses belles mains. Sérieux, comment pourrait-on dire non à Safia ? Tout son travail déglingue.