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mardi, 22 janvier 2019

Vacances en Bretagne

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Retourner sur ses pas, ces lieux que l’on connait, que l’on a déjà vécu mais qui sont tout autre, est une expérience en soi car évidemment le temps, cette essence ultime, ce rouage de la vie, eh bien le temps passe et les choses changent, forcément.

J’étais en vacances en Bretagne : l’entité bretonne, c’est à la fois mon enfance, ma famille, d’autres vacances, l’adolescence (difficile) et son achèvement (ouf) et d’autres parties de la vie encore, non nommées, des moments entre l’adolescence et l’âge adulte, ces périodes flottantes où l’on trempe parfois le bout des lèvres, le bout de peau d’un doigt dans une eau sans fond mais à température ambiante - dans laquelle je me prélasse encore.

Lors de ces vacances, la Bretagne est aussi (re)devenue terre des doutes, point spatio-temporel de réflexion sur le chemin parcouru dans, en l’occurrence, ma vie, et réflexions sauvageonnes sur ce qu’elle aurait pu être s’il en avait été autrement. Sauvageonnes, c’est à dire sans maîtrise, un grand laisser-aller pour ces pensées qui partent si loin qu’elles paraissent quitter le corps. J’ai appréhendé le passé : non pas celui des autres, pour une fois, moi qui suis fascinée par les histoires intimes, les parcours de vie, les belles personnalités, les destins un peu cools. İci, maintenant, pendant ces vacances dont le lieu fait surgir l’introspection, c’est de ma banale vie dont il s’agit.

S’il en avait été autrement, serais-je heureuse ?

La vie se résume souvent à des choix : le choix par exemple entre une zone de confort préalablement construite et dans laquelle on s’installe, on s’étire, le choix de partir à l’aventure, si peu teintée d’exotisme soit-elle : car l’aventure peut être partout, tout le temps. C’est une question de choix.

Un jour, je suis partie.
Ai-je fait les bons choix ?

Partir sous entend se projeter et se plonger dans l’inconnu, géographique ou non alors que rester suggère profiter pleinement de ce qui est acquis. İl y a toujours ceux qui restent et ceux qui partent, les destinées tracées et les autres, qui s’écrivent tremblotantes, dans les perpétuelles hésitations et les nombreuses bifurcations. Des lignes droites et des zig-zags (zig-zag, quel mot rigolo et significatif, beau) même si tout est évidemment bien plus complexe que les lignes, le noir et le blanc et tous les dualismes dont se sert la pensée pour comprendre des situations, qu’on écrit et qu’il est d’ailleurs sain de contredire.

Partir, c’est abandonner quelque chose aussi, mettre en exergue ses grandes ou infimes décisions et les tournants qui nous guident.

Partir, venir
Puis revenir

Revenir ici, c’est prendre conscience de la ligne droite que j’aurais pu prendre… Tout en sachant pertinemment que je n’aurais en fait jamais pu car je ne sais pas tracer des lignes droites, si elles rassurent les uns elles sont sources d’angoisse pour d’autres qui préfèrent avancer à tâtons, sans voir trop loin en avant, plutôt vivre de leurs indécisions.

Les lignes dansent et bifurquent, s’ornent de couleurs et se font pointillés ; s’effacent, s’adoucissent, réapparaissent, se multiplient, fusionnent.
Les lignes des rochers, les courbes de la mer.
Respirer à pleins poumons l’air iodé.
Penser. Se remémorer.
Les premiers amours, les premières erreurs.

Les choix qui deviennent importants, qui tracent la ligne devant soi.
Les dernières vacances en Bretagne.
Les balades.

Les bigorneaux. Les herbes folles.
Le Vol. L’envol.

Coquillages et crustacés. Coquelicot. Tourner. Se détourner.
L’eau salée. Une brise chaude. Se réchauffer. Danser.
Des rochers abrupts. Des arbres centenaires. Enlacer. S’écarter.
Le sable chaud. Des roses piquantes. Souffler. Respirer.
L’iode. La terre. Plonger. Rassembler.
Le nacre dans l’intérieur des huitres. Tes pupilles. Sentir. Partir.
Des algues un peu gluantes. Des insectes bizarroïdes. Lécher. S’assoupir.
Taches de rousseur qui apparaissent au soleil. L’ombre de tes cils comme des papillons sur ton visage (mutin). Sourire et vies.
Eclats de pierre. Eclats de voix. Sauter et faire tout sauter.
De l’eau à n’en plus finir, l’immensité. Des vallées. Dévaler.
Crier.
Le sel blanchit ta peau. De l’herbe fait des noeuds dans mes cheveux. Goûter. Respirer. Champs d’artichauts, prairies de tournesols (ma fleur préférée). Marcher longtemps. Courir rapidement.

J’ai marché sur des rochers pendant que s’évaporait la mer au soleil.

Les vacances en Bretagne étaient si belles et pourtant, je n’ai pas pu calmer la boule au ventre grandissante : une brèche jamais fermée mais oubliée, qui s’est ouverte face au vent salé. Comme si toutes les choses qui constituent l’identité de cette région seraient autant de madeleines de Proust de mes angoisses, qui, tout en me renvoyant des images et des sensations du passé, me rappellent à l’ordre sur mon présent et mon avenir, m’obligent déjà à dresser une sorte de bilan.

Partir, ça a été rompre avec un lieu, une vie, un chemin potentiellement prédestiné, ça a été écarter des doutes aussi, faire semblant d’être confiante surtout. Les vieux souvenirs se mêlent aux nouveaux qui se construisent : mais comment véritablement vivre quand on ne fait que ressusciter des moments perdus, des lieux déjà traversés, la mort à l’âme ? En ressassant, je vis dans la nostalgie des choses que je n’ai pas vécu.

Que j’aurais pu vivre. De faux souvenirs, de vagues sentiments et un coeur toujours plus serré. La sensation de ne pas trouver le bon chemin dans la vie ; ainsi formulée l’idée parait si banale, mais voilà, le sentiment prévaut. Je stagne, mollement, pendant que les autres avancent avec certaines certitudes - et j’échoue davantage à trouver mes propres vérités. De virage en virage, je me mêle dans les intersections et suis aveuglée par une brume omniprésente - qu’est ce qui a loupé pour que je fasse ainsi du surplace, la boule au ventre de surcroît ?

L’amertume d’un vieux cidre dans la bouche.

C’est si difficile d’être soi dans une société en perte de sens, qui doit muter dès à présent pour assurer la survie de ses membres. Un soi, un petit être humain avec une famille, des amis, et des choix à faire. Des choix pour devenir adulte, c’est du moins ce qu’on nous a fait croire : qu’il suffisait de quelques choix et que le reste coulerait de source, naturellement. Au final, c’est l’inverse : le temps, nos décisions et celles des autres, les conséquences de tout ça : tout est rude, comme les pointes ciselées des rocs que l’on voit au fil des marées d’eau salées et du vent.

J’aurais juste aimé être prévenue, qu’on me file davantage de conseils, un mode d’emploi -pourquoi pas- pour la vie.

Car alors que le futur rétrécit, que le champ des possibles diminue et qu’au final, le fil de la vie se délie, je suis personnellement de moins en moins sûre. J’ai des doutes sur cette succession de jours qui tissent une fade destinée, j’essaye parfois d’en être la maîtresse mais je sens bien que la bobine m’échappe. Et la bobine, c’est la clef du bonheur, un certain accomplissement qui miroite : les infimes morceaux de nacres qui font briller le sable mouillé et ensoleillé.

J’ai conscience de ce que je ne sais pas alors qu’avant je pensais savoir que je saurais un jour, plus tard… A toutes ces pensées, le corps réagit : mes émotions se ferment physiquement au monde, les portes de mon âme claquent les unes après les autres.

Je deviens moi aussi un roc La mer me passe au dessus Des vagues, des vagues, la marée Et des images qui me hantent.

A Plougresceant, j’ai vu et photographié -plutôt deux fois qu’une- la maison entre deux rochers : intrigante bâtisse, elle est à la fois protégée et immobilisée par les deux immenses blocs de granit entre lesquels elle fut construite. Elle est abritée mais au coeur de tous les dangers. Et en même temps j’imagine que ça doit aussi être rassurant d’être si proche de l’océan, à l’acheminement, au bout de la terre.

L’océan. Je vois l’horizon, ligne floue mais stable, j’appréhende l’immensité, et puis cette sensation de l’infini qui emplit, l’air qui gonfle les poumons, expiration, inspiration, et ainsi s’instaure le cycle de la vie, la vie de notre propre corps, notre propre être. Dans la ligne de l’horizon on devine que l’eau est encore plus immense que ce que l’on voit car après c’est encore des vagues, du sel et une profondeur qui nous dépasse. Et comme dans le ciel, dans les nuits étoilées à la campagne, cette immensité nous dit la petitesse de notre être qui ne peut que voir, deviner, imaginer - et c’est déjà beaucoup après tout.

Appréhender la fin tout en sachant que c’est le début de quelque chose est tout aussi angoissant que rassurant, c’est la source d’une sensation unique : une grande quiétude, un soulagement qui va au delà des joies et peines du quotidien, un sentiment de paix intérieur, grand, intense. Être au bout de la terre au bord de la mer pourrait presque amener à être spirituel, mais la force de la nature dépasse aussi ces considérations toutes humaines, culturelles et sociétales. La grandeur de la mer c’est la sensation de l’ultime horizon, quand on voit la finitude de notre monde et qu’on prend conscience de sa certaine et spatiale éternité. La sensation du tout.

Merci à toi, chère Bretagne, de remuer les sensations que je pensais enfouies, de faire prendre conscience de la personne que je deviens, de la vie qui se dessine. İl me semble que seuls les vents et les vagues me font prendre conscience du monde.

On dit souvent que pour savoir où l’on va, il ne faut jamais oublier d’où vient notre coeur, d’où s’est forgée notre âme. Alors, A ces lieux qui nous rendent toute chose, nostalgiques ; Aux choix qui tracent des destins Aux sensations, pensées, émotions qu’il faut choyer Et à toutes les absurdités.

Derrière les falaises, l’immense océan qui se mêle avec le ciel - les bleus, les gris, la peur, les cris.

Adèle Beaumais

Adèle est née en 1992 et je suis super jalouse parce qu'elle possède une collection de tasses à café de la Reine d'Angleterre. Diplômée de l'ENSAD en image imprimée, elle est dorénavant illustratrice et sert aussi des bières à la SMAC de Rouen, le 106. Elle rêve d'avoir un bateau pour vivre dessus, et t'inquiète que si ce jour arrive, on la motivera de ouf pour monter des croisières Retard. PRÉPARE TOI A NOUS VOIR RABOULER ADÈLE.