Cela va faire un mois que j’ai défait mon backpack pour soigneusement ranger mes pantalons à motifs éléphants et mes crèmes solaires périmées. La seule chose que je n’ai pas encore eu le coeur d’enlever ce sont mes magnifiques bracelets de l’amitié qui semblent décidés à squatter mes poignets indéfiniment. Pour le reste mon voyage de cinq mois en Asie du Sud-Est me parait à des années lumières et ma vie parisienne a repris avec tellement de naturel que je me demande parfois si cette longue parenthèse n’a pas été qu’un (beau) long rêve.
Revoir les amis, la famille, les anciens collègues (la pluie). Se dire qu’on a quand même une sacrée de chance de s’être construite un petit cercle social bien douillet. Qu’on ne s’était jamais rendue compte à quel point c’était (pluvieux) confortable de ne pas avoir à prouver toutes les cinq minutes qu’on est digne d’intérêt au premier inconnu venu. Avoir de vraies conversations sur (la pluie) des centres d’intérêt en communs (l’adorabilité des paresseux et la météo hivernale de ce mois de mai). Arrêter de faire semblant qu’on aime Tryo ou le dernier Miley Cyrus pour pas paraître trop snob (être snob : un vrai luxe, on n’en parle pas assez). Parler d’autres choses que du prix des cigarettes ou de son manque de fromage. Dévorer ledit fromage en quantité interdite par le CRIFF (Comité de Régulation d’Ingestion de Fromage Français).
Retrouver ses salles de concerts, ses festivals, ses bars à la pinte pas chère en happy hours qui coûtent quand même le triple des prix asiatiques, le goût de fer en moins. Se maquiller, porter des fringues dans lesquelles on ne ressemble pas à un sac poubelle déguisé en couette. Aller chez un coiffeur qui comprend ta langue. Rattraper tous ces mois de mauvaises musiques en suant chaque gouttes d’alcool de son corps dans son club préféré rue Faubourg du Temple. Squatter chez les potes (merci) parce que se retrouver chez sa mère en banlieue c’est sympa mais parfois compliqué (ne le prends pas mal maman, c’est la faute du RER A). Du coup découvrir un nouveau quartier (pluvieux) et se dire qu’on aimerait bien vivre dans le coin finalement…
Dans le palmarès des questions qui reviennent le plus souvent depuis que je suis rentrée j’ai le droit au : « Mais ça va ? C’est pas trop dur le retour ? » Ce à quoi j’ai envie de répondre : « mon/a chéri(e) tu ne t’imagines pas le pied : non seulement j’ai du temps libre mais en plus je peux enfin profiter de tous les avantages de Paris (et de sa pluie) à leur juste valeur et ce grâce notamment aux enseignements de mon voyage ✱ insérer ici un couplet hyper profond sur l’importance du moment présent et l’influence du bouddhisme dans mon voyage initiatique ✱ Ne te méprends pas, j’ai adoré mon voyage mais je crois que je préfère encore mon retour ”.
S’ensuit généralement la question «Mais alors raconte !!!” mais soyons honnête de mémoire de bipède personne n’a jamais eu envie d’entendre tes anecdotes sur comment tu as mangé des sauterelles et même que ça avait le goût de poulet, à moins d’avoir le talent de conteur de David Attenborough. Personnellement je n’arriverais pas à retenir l’attention de mon auditoire si je racontais une histoire impliquant un dragon dyslexique et Bill Murray.
ça ne se voit pas mais ce dragon est gravement dyslexique
Et dieu sait que ça a l’air drôle et intéressant. Donc généralement j’élude en faisant un numéro de claquettes improvisé tout en balançant des paillettes dans les yeux de mon interlocuteur.
Mais je digresse… incroyable mais vrai, partir voyager loin / longtemps m’a fait aimer Paris, qui l’eut cru? Pas moi en tout cas … Je me suis toujours sentie coincée, étriquée dans cette ville et n’hésitais pas à bassiner à qui voulait l’entendre que j’en avais marre tous ces parisiens aigris toujours réticents à me donner des cigarettes quand j’avais un coup dans le nez (houuu les méchants). J’ai toujours cru que l’herbe était plus verte ailleurs, les gens plus gentils, les parcs plus beaux, les hommes plus grands (ou le contraire, je sais plus).
Cette impression vient en partie du fait qu’il y a un côté désinhibant à vivre ou voyager à l’étranger versus vivre dans une ville qui nous est déjà familière : on a tout suite une plus grande légitimité à aller vers les autres, tester de nouvelles choses, se réinventer un personnage. A Paris, j’ai souvent eu l’impression de gratter l’amitié quand je parlais à un(e) quasi-inconnu(e) alors que c’est juste que je trouvais vraiment sa passion pour le baby-foot subaquatique super originale. Du coup ces dernières années j’ai changé de villes comme de petites culottes (six en huit ans quand même … de villes pas de petites culottes hein? ) pour renouveler sans cesse cette impression de “tout est possible” et je regardais avec des yeux ronds les gens qui me disaient qu’ils ne voyaient pas l’intérêt de bouger, de se confronter à l’inconnu. Depuis à peine un mois je me rends compte qu’ils avaient peut-être déjà cette faculté à voir l’aventure en bas de chez eux, les chanceux.
J’arrive enfin moi aussi à me sentir étrangère dans ma propre ville (j’ai vécu mon enfance et mon adolescence en banlieue au cas où la référence au RER A t’aurais échappée donc techniquement je ne suis pas vraiment parisienne mais on va faire comme si). C’est un sentiment qui fait pousser des ailes et donnent envie de faire des câlins à des inconnus (et non, contrairement aux apparences je ne me suis pas mise à fumer de la MDMA en pleine journée). Il y a tous les avantages (avoir ses repères) sans les inconvénients (se sentir paralysé par la routine) à redécouvrir un endroit qu’on connaît par coeur avec un regard neuf.
Des esprits cyniques seraient tentés de dire que c’est peut-être juste parce que je n’ai plus un job dans lequel je ne m’épanouissais plus (euphémisme bonjour) où me rendre tous les matins et que je peux me la péter en plein mois de mai pluvieux avec mon “hâle” (hé oui, après 5 mois à l’extérieur non-stop sous un soleil brûlant on me dit que j’ai “bonne mine” et je fais semblant de ne pas être super offensée). Et bien sur qu’ils ont raison et que j’ai une chance incroyable. Mais pas que.
Tout d’un coup un nouveau monde des possibles s’ouvre à moi. Un monde rempli d’arcs en ciel, (de pluie), de licornes, de siestes à rallonge et de beaux inconnus. Un monde dans lequel je vais enfin pouvoir tester ce nouveau club d’escalade, aller à Nuit Debout tous les jours (puis se rendre compte que ma motivation est inversement proportionnelle au niveau de pluie), tester ces applications merveilleuses que sont Tinder et Happn en tant que fraîche célibataire (avant de décider après un premier râteau que c’est décidément pas la panacée), envoyer timidement un mail à son magazine en ligne préféré pour voir si ça les intéresserait de publier des inepties sur ma vie, décider d’apporter son aide dans l’asso en bas de sa rue et ne faire que 20% de toutes ces choses parce qu’on est trop occupé à boire des bières et à récupérer de ses cuites. Conclusion : ne croyez pas les gens qui disent que voyager a révolutionné leur vie. Mais laissez leur le bénéfice du doute s’ils disent se sentir plus heureux.
En attendant j’ai pris mes billets pour aller vivre à Berlin pendant l’été. Tout ça pour ça ? Oui, mais cette fois-ci j’ai très envie de revenir.