Il y a cette photo d’identité, prise en 2017, pour un renouvellement de passeport.
On y discerne une femme vide, déprimée, hors d’elle-même. Comme quittée par son énergie vitale, à côté de son être. Amnésique de son essence. Exilée.
Ce cliché me fait mal car il me montre quand je ne suis pas moi. Ces yeux vides, ce sont ceux d’un être qui s’est perdu en chemin. J’appelle cela « le regard mort ».
J’ai été si bonne, si parfaite, à me conformer aux cadres. Première de la classe. Danseuse étoile. Bonne petite fille. Si douée en orthographe. Bête à concours. Les yeux épuisés, rivés à la ligne qui monte directement au ciel, ma vie devenue simple asymptote, destination la perfection. Droguée à la pureté. Le corps éthéré. La parole rare, et juste, et aidante, et si chiante. Condamnée à « porter des rubans roses comme on en met dans les cheveux des petites filles pour les empêcher d’être ce qu’elles sont elles-mêmes : des grandes bêtes chaudes et fauves »*.
J’ai cru à tout cela. J’ai cru que c’était moi. J’ai fait de mon mieux. J’ai donné tous les gages.
Mais les collants blancs ne suffisaient pas à couvrir mes poils noirs.
Et mon sourire en réunion masquait le feu qui couve, sans mot dire.
Je me suis longtemps cachée, par peur d’être rejetée, blessée, malmenée, radiée, exilée, brimée, bâillonnée, ostracisée, moquée, désignée, répudiée, ciblée, traquée, blâmée, abandonnée — brûlée peut être.
Je suis une femme sauvage. « Wild ». Profondément. C’est ma vraie nature.
Je ne suis pas gentille, « nice ». Je ne suis pas polie. Je ne suis pas silencieuse. Je ne suis pas convenable. Je ne suis pas sortable. Je ne suis pas pur esprit éthéré. Je ne suis pas cérébrale. Je ne suis pas une victime. Je ne suis pas une petite chose à plaindre. Mashi Miskina, en arabe.
Je lâche tout ça.
Mes cheveux, noirs, et gris, et blancs, frisent au-dessus de mon front, et changent de forme au gré de mon cycle menstruel. Je pleure plus que de raison. Je chante et danse sur le quai du métro, dans les squares, dans les sous-bois. Je vais voir des films étranges, des concerts et des spectacles, seule, en dégustant mon plaisir à petites lampées. Je rôde et j’écris dans les cafés, présente et ailleurs. Je tisse ma vie à coups de signes : je suis mon propre oracle. Je me filme au bureau, sur mon canapé, et partout ailleurs, l’air de rien. Je te vois. Je te filme, peut-être. Je t’aime en tout cas.
En moi, ce feu, au fond du sacrum, portail sacré, siège de l’inconscient, gravité des racines. L’antre du serpent, lové en bas de la colonne vertébrale. Le symbole de la puissante énergie kundalini, la force de vie.
En moi, un utérus, marmite des mystères.
En moi, la vulve, ma yoni, Souad, sphinge et fleur de charbon.
En moi, ces désirs et ces idées et ces envies, qui vibrionnent sans cesse.
En moi, ce bon sang, ce mauvais sang, ce sang qui ment, ce sang qui honore la mémoire des anciens et des anciennes, celles qui ne faisaient pas assez d’enfants, ou trop de filles, celles qui avaient trop de dons, trop de beauté, trop de désir, trop de foi, trop de joie, trop de choses à dire, celles qui en savaient trop, celles qui en demandaient trop. Zerma, soi-disant.
Je veux trop vivre, trop voir, trop aimer, trop ressentir, trop chanter, trop bouger, trop écrire, trop vibrer, trop explorer, trop savoir, trop questionner, trop essayer, pour tenir dans vos cadres, vos cases, vos mouroirs.
Je suis sauvage, sensuelle, sexuelle, créative, incarnée, aimante, rageuse, radieuse, mystique, alchimiste, chaleureuse, féminine, féministe, curieuse, exploratrice, subversive, solitaire, lumineuse, sombre, solidaire, inspirée, prêtresse, exaltée, connectée, fraîche, lascive, innocente, animale, souveraine, intuitive, libre, fière, méditerranéenne, solitaire, tribale, rêveuse, terrienne, sage, passionnée, originale, étrange, rêveuse, vulnérable, maladroite, tourmentée, butineuse, mercenaire, généreuse, chaotique, hybride, étrange, magique, déjantée, audacieuse, puissante, vivante, lâche, sacrée, tourmentée, intuitive, profonde, légère, critique, artiste, susceptible, folle, incertaine, étrangère, joyeuse, liminale, fière, gourmande, goulue, courageuse, frondeuse, engagée, banale, bavarde, danseuse, musicienne, joueuse, conteuse, racoleuse, mystique, amoureuse, revêche, politique, révolutionnaire, complexe, fatale, drôle, nomade, fantasque, espiègle, épuisante, mélancolique, perplexe, pétillante, relou, insaisissable, changeante, sensible, rebelle, berbère, barbare, inquiète, inquiétante, lucide, clairvoyante, mal embouchée, humaine.
Je suis une sorcière. A savoir, une femme de pouvoir(s), qui les utilise, comme la décrit magnifiquement Odile Chabrillac.
Il est temps de l’assumer.
Je m’engage à honorer la femme sauvage que je suis. A l’honorer dans mes paroles. Dans mes actes. Dans mes projets. Dans mon regard. Dans mes relations avec moi, avec toi, avec toutes et tous.
Et j’adresse ce message à toutes les âmes sauvages esseulées : vous n’êtes pas seul.e.s. On est nombreux et nombreuses. On se réveille.
Je te vois : je vois ta prunelle s’allumer au feu d’une idée inédite, « impensable ». Ton bassin onduler au rythme des tambours. Tes pieds quitter le sol connu de tes certitudes, avec joie. Ton air de sachant voilé.
Je t’entends : j’entends ton chant nourri aux mamelles du futur. Ton rire fou, du fond de ton chaudron.
Et toi, entends-tu l’appel ?
Je détruis mes dressages, corsages, servages, sevrages.
Je suis sauvage.
Viens !
Merci aux sauvages sur ma route, à ces êtres étranges et magnifiques, au feu desquels j’allume le mien.
Et à celles et ceux que je ne connais pas encore, aux tribus du renouveau : à bientôt !
Me voici.
Lila alias Mashi Miskina
instagram : @lila_ohlala
blog
*Brigitte Fontaine Areski Belkacem, « Le Bonheur », album Le Bonheur, 1975.
Quelques ressources :
Pensées sauvages :
Odile Chabrillac, Âme de sorcière, Solar Harmonie, 2017.
Mona Chollet, La Tyrannie de la réalité, Folio Actuel, 2006/Calmann-Lévy, 2004.
Louise Desbrusses, L’argent l’urgence, P.O.L., 2006.
Jerry Hyde, Play from your fucking heart, Soul Rocks Books, 2014.
Alejandro Jodorowsky, La Danse de la réalité, Albin Michel, 2004.
Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups, Le livre de Poche, 2001.
Makilam, Signes et rituels magiques des femmes kabyles, Karthala, 2011.
Camille Sfez, La Puissance du féminin, Leduc.s éditions, 2018.
Anna Halprin, Le souffle de la danse, film de Ruedi Gerber, 2009.
Âmes femmes sauvages et inspirées :
Sonja Berg : https://sonjabergblog.wordpress.com/
Nora Binet – Terra Corps : https://www.facebook.com/Terracorps/
Mona Chollet : www.la-meridienne.info
Louise Desbrusses : https://fr-fr.facebook.com/Louise-Desbrusses-328311600692668/
Isabelle Guérin : https://laderoutante.blogspot.fr/
Mai Hua : http://www.maihua.fr/
Paula Lacobara : https://paulalacobara.com/
Fiona McKerell : https://fionamckerrell.work/
Camille Sfez : https://www.renoueravecsonfeminin.fr/
Lou des Steppes : http://www.lou-desteppes.fr/
La Tisanière tatouée : https://latisanieretatouee.wordpress.com/
Anne Bianchi : https://www.instagram.com/annenoemiebianchi/
Lyvia Cairo : https://lyviacairo.com
Claire Garin : http://www.qoya.love/claire-garin/
Danielle LaPorte : http://www.daniellelaporte.com
Maïtie Trelaün : https://www.naitre-femme.com
Et bien d’autres…
Et toi bientôt…