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mercredi, 24 avril 2019

Epouse-moi, Lolita, et allons nous soûler la gueule au Flore

Par
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J’aime beaucoup Lolita Pille. Je pourrais, avec les années, feindre de ne plus la connaître, ou de cracher sur ses livres comme une vieille conne cracherait sur son adolescence. Pourtant, c’est un fait, j’aime ses livres, que je relis, souvent, religieusement.

Pille, c’est l’aura détestable de la parisienne lambda comme on peut se la représenter au fin fond de la province tout autant cliché. L’écrivaine qu’on écrase pour n’avoir été qu’un vulgaire avatar d’un Beigbeder, lui même d’un flamboyant douteux. Cet espèce de monde en vase clos, où seuls les amis de mes amis sont mes amis.

On en a dit, des choses sur elle. A telle point que je me suis demandée, du haut de sa fin d’adolescence, elle arrivait à encaisser tout ça. Les tons hautains, les dégaines assassines. Est-ce qu’elle écrit si bien que ça? Qui peut se targuer d’avoir vraiment du style, de nos jours. Mais Pille avait le mérite de montrer la nature humaine dans ce qu’il y a de plus cynique et de mécanique. Hell m’avait impressionné pour ça. Pour cette vérité là. Que l’on n’apprend rien, si ce n’est à retomber merveilleusement bien dans ses travers. Pas de mea culpa ni de tromperies sur la marchandise. Juste la crasse simple, expédiée autour d’une bouteille de champagne à Saint-Germain.

Pourtant, la gauchiste que je suis devrais détester Pille. Rien qu’à lire un vieil article de Libé, qui la suit durant ses soirées mondaines avec ses potes aussi cons que des balais. J’aime pas les pauvres, ils sont moches, dira-elle, alors qu’un mec sort sa vieille teub dans le resto. “Je suis pas restée à la fac, trois cent personnes dans un amphi ça pue”. La nana est même en extase d’avoir trouvé un top pas trop dégueulasse à quinze balles chez Zara. Tu te pinces mais tu sors pas du cauchemar.

Ma tête me disait pourtant de rouler des yeux jusqu’à apercevoir la moindre veine de mon cerveau mais mon coeur, lui, il était fasciné par ce spectacle putride. Les mémoires d’une pétasse, c’était un peu la déchéance même d’un système que plus personne n’avait vraiment envie de sauver. Du spectacle connement provocateur, qui n’intéressait pas grand monde, à part quelques yeux affamés. En soi, Pille était fantastique dans cette espèce de quête de la démesure, avec ou sans Porsche, car au final, ce qui compte, c’est la gueule qui se traîne rue Marbeuf.

Et puis Pille est tombée au combat. Devenue sa propre caricature, elle repart chez ses parents, à Brest, bouffée par un star system qui la lessivera. L’erreur d’être devenue une sensation littéraire dès le démarrage, claquée out par l’intelligentsia parigo dès le départ qui a toujours supporté moyen qu’on lui chie dans les bottes. Le sort réservé à une gamine classe moyenne sup’ qui croyait que jouer aux grandes dames dans un Paris auquel elle n’aurait jamais vraiment dû appartenir allait lui réussir. C’est qu’on échappe pas vraiment à à sa destinée.

Pourtant, Pille en a plus sous le cul qu’on ne l’aurait cru. Pour certains, Crépuscule Ville est médiocre, pour moi, il est le cheminement d’une écrivaine qui, accroché à son Fendi, posait les bonnes questions. J’aimais cette idée de roman cathartique où le malheur n’a pas le droit de citer. La Ville Providence vous aide à contrôler vos dépenses, la préventive suicide, traque vos moindres malaises, un traceur vous indique qui veut vous baiser, le ministère de l’apparence vous enjoint à la jeunesse éternelle. La drogue, elle est partout en vente libre, parce que c’est vraiment dommage de souffrir. Et quand le bonheur semble flou, que vous avez besoin de parler, le traceur vous permet d’obtenir une oreille à votre écoute. Et puis n’oublions pas Clair-News, avec toujours plus d’infos positives, pour voir la vie en rose. Déambuler parmi des rues portant des noms de marque? Peut-être bientôt ce que nous réserve l’avenir de notre monde supra consumériste qui prend des allures de management à la happiness therapy.

C’est qu’il faut en assécher, des verres, pour rallumer l’âme. Quand le cerveau et coeur sont des organes passés de mode, il ne reste plus que ça. Imaginaire nerveux sous néon bleu, l’ironie du désastre à bout portant. La rudesse du néant en rouge à lèvres Yves Saint Laurent.

C’est un peu une marotte chez Pille, la chute du médiocre qui ne rêve que de grosses carlingues en croyant naivement que ça le sauvera du rafiot qui coule. Un gâchis qui consiste à courir après des chimères, à s’obstiner sur du vent. C’est la jeunesse qui croit en l’éternel, alors qu’elle ne se nourrit que de factice. Les personnages de Pille, ils apprennent surtout que tout a une date de péremption, mais que lorsqu’on peut tout acheter, alors il n’est plus impossible de continuer à aligner le bordel en toute quiétude.

«L’art était compliqué, il demandait talent et investissement. […] L’art était subjectif, la merde était universelle.» C’est que Pille n’a jamais manqué de lucidité sur le monde. On pourra lui reprocher ses égarements trash, sous-Bret Easton Ellis, où la vie ne se résume qu’à la perte de l’innocence pour mieux arracher son quart d’heure de gloire.

Mais Pille vaut mieux que son image. Elle vaut mieux qu’une énième lecture premier degré. Peut-être à cause de son âge, qui à l’époque a joué de sa crédibilité. Dix-neuf piges, forcément décérébrée, forcément superficielle, forcément stupide. Baisant à tout à va entre deux lignes de coke. Elle m’a toujours donné l’impression d’une attraction répulsion, mépriser les pauvres pour mieux mépriser les riches. Se foutre allègrement de ce monde à paillettes et ces travers. Il fut un temps où la littérature se mourrait pour ces claques données aux grands. Aujourd’hui, elles ne sont que des petites caresses dans le dos, effleurant du bout des doigts les turpitudes de la pourriture. C’est de l’histoire ancienne, qu’est-ce qu’on s’en branle du subversif dans vos riches gonflés à l’ego trip?

Pourtant, on en a besoin, des autrices comme Pille. Sociologue de son temps, sans en avoir l’air. Sous couvert trash, nous ramener doucement à la raison. Que les mots ont encore un rôle à jouer.

Les masques existent toujours. Et quand on écrit, les faire tomber n’est pas une option.

stenia

Stenia est née en 1987 et a une affection particulière pour ses chaussons chauffants. Passionnée de punk et de chanteuses gueulardes, on avait repéré son super boulot de journaliste sur twitter et on s'est permis de lui écrire un petit mail un peu suppliant (on a pas de face, kesstuveux). On est ravies que cette plume douée ait rejoint l'équipe, parce qu'on apprend toujours des trucs, et on les apprend de manière chouette, quand on lit les papelards de Stenia.

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com