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lundi, 08 février 2016

Le selfie stick ou la fin du contact humain

Par
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Je me souviens très bien de la première fois que j’ai vu une photo prise avec un selfie-stick. Seulement ce n’en était pas un et la photo n’était simplement pas un selfie. Il y a 4 ans je suivais scrupuleusement une vieille copine de primaire sur facebook. Elle n’arrêtait pas de faire le tour du monde. Amérique du sud, caraïbes, des îles aux décors de carte postale sur fond de mer turquoise et cocotiers. Je suis chez moi,c’est l’hiver, elle est là-bas où c’est l’été X 1000.

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Au bout de ce stick ce n’est pas un smartphone mais une Go pro. De l’autre côté de ce stick, cette vieille copine qui se prend en photo, non pas de face, mais de dos, le stick négligemment posé sur l’épaule. Elle a en plus un corps magnifique qui remet en doute mes préférences sexuelles. Elle est là-bas seule, face à l’immensité de la mer, des vallées et des montagnes et je suis ici, derrière mon ordinateur.

L’effet fish-eye rend les vues encore plus folles et vertigineuses. Bien entendu elle a aussi pris des photos de face avec des autochtones souriants jusqu’aux tympans. Ils sont seuls là-bas, personne pour les prendre en photos ou en tout cas personne pour comprendre comment marche une Go pro. (Si si t’appuies 1 fois sur le bouton du haut 4 sec, puis trois fois sur celui du devant, non il n’y pas d’écran, tu fais au pif ». Tout ça dans un espagnol ou portugais approximatif.) Alors je me dis « pas con cette histoire de stick ! », puis ça évite les gros plans sur tes pores et boutons… Voir petite moustache si la lumière ne joue pas en ta faveur.

Mais quelques années après (peut-être mois, mais on ne va pas chipoter) le selfie-stick (perche à selfie en français) est arrivé. J’imagine que son intitulé fait grandement partie de mon désarroi et tracas.

Je suis partagée les amis. Je peux comprendre l’utilité du stick quand tu es en groupe au milieu de nulle part, quand tu veux un nouvel effet de perspective parce que la vue derrière défonce sa race…mais je le trouve à 90% triste et inutile.

Syrian refugees take 'selfies' moments after arriving in an overcrowded dinghy at a beach on the Greek island of Kos, after crossing a part of the Aegean sea from Turkey

Ici, ce sont des refugiés Syriens qui se prennent en photo sur une plage grecque après avoir passé un peu trop de temps dans un canot sur la mer Egée. Certains se prennent en selfie stick après avoir survécu à un voyage quelque peu mortel, alors que d’autres font la course aux Likes, se rendent malades, dépressifs, au mieux tristes au pire mort.

Les exemples sont assez nombreux d’ailleurs. Il y a cette meuf qui a perdu l’équilibre alors qu’elle se prenait en photo tout en haut d’un putain de gratte-ciel à St Petersbourg. (Baton dans les mains ou non, j’ai pas compris). Pour les accidents les plus récurrents il y a les gamins qui veulent prendre un selfie avec stick sur le toit d’un train et qui se font foudroyer par le câble à haute tension…

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(c) Joan Cornella

D’autres voulaient se prendre en selfie avec un gun sur la tempe… un problème de coordination (et de débilité profonde) fait qu’ils appuient sur la mauvaise gâchette.

Après, il y a ces magnifiques accidents de voitures, de scooters ou de montagnes russes avec le stick. Non mais les gars, réfléchissez !

Pour connaitre toutes les histoires il y a un Wikipedia qui répertorie les accidents causés par un selfie (avec ou sans stick) mal placé.

Le stick est interdit dans les parcs Disney et dans les plus grands musées du monde, au musée d’Orsay, au palais de Versailles, au MoMa à New-York, au Guggenheim et autres. Il n’en va plus de la sécurité des personnes mais de l’art ! Oups j’ai déchiré un Goya… Oups je fais chier tout le monde à prendre 20 ans à faire le parfait selfie pour des Likes sur Instagram…

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Ici, une peinture se prenant en selfie. Cette idée initiée par Olivia Muus; apparemment designer et «curatrice » danoise qui invite maintenant n’importe quel selfie-aficionado à envoyer des « painting selfies ». Je ne sais pas trop quoi en penser…

Selfie-sticker (autant en faire un verbe) en tant que touriste en ville, c’est dire non à l’Autre, c’est croire que le mal est partout. Je suis peut-être parano mais quand je demande aux selfie-stickeurs pourquoi ils l’utilisent, leurs réponses sont :

« Parce que c’est pratique »

Heuu comparé à ? Mettre ton smartphone au bout d’un bâton, brancher le machin, tenir le stick correctement ?

« Et parce que je ne veux pas qu’on me vole mon portable »

Allez mec, jt’arrache la perche des mains avec les dents en deux secondes.

Avoue ! Avoue que tu n’oses simplement pas ou plus demander à quelqu’un, à un inconnu, à l’Autre.

Peut-être que pour certains, le fait de demander à un inconnu de les prendre en photo a l’air anodin, mais je crois que ce petit geste est l’un des derniers qui nous lie à l’Autre. Déjà qu’on n’a plus besoin d’un passant pour demander son chemin, Google map sur ton smartphone est là pour toi. Je résiste, je n’ai pas de téléphone intelligent, donc je marque des petits plans sur des post-its.

Bien entendu je me perds un peu, mais la vue d’un passant dans la rue qui est susceptible de m’aider me rassure. Je pense que si j’avais un smartphone et que je perdais la connexion, je serais en panique totale.

Alors, je ne demande qu’à être convertie. Est-ce qu’un selfie pris avec une perche est mieux qu’une photo prise par un inconnu? Dites-moi…

Allez, je vous laisse je vais aller gratter une cigarette à un inconnu, peut-être qu’on parlera…

Ah merde, j’suis con. J’ai arrêté de fumer.

Elsa

Elsa a 27 ans et a les chaussures roses de Barbie. Ex-batteuse de groupes de filles plutôt ultra classes ( Fury Furyzz et Mercredi Equitation), elle est plutôt agile de ses mains (hinhinhin). Elle vit maintenant à Bruxelles où elle est apparemment Interaction designer. Mais on ne sait pas ce que ça veut dire... Sinon, c'est aussi la meuf la plus gentille et choups du monde. Sauf si tu fais la chier, elle te tapera parce qu'elle aime bien avoir des bleus aux mains. Passions: le niqab, le caca et les paillettes.

Roca Balboa

Bricole Gueurle officielle de la Team Retard
Roca Balboa est née en 1990 et aimerait bien réadopter des rats. Amie d'Anna, la première fois qu'on l'a rencontrée on a vu un petit chaton tout mignon. Puis, en mangeant un kebab sur un banc, on a constaté la bouche pleine d'une viande qu'on connaissait pas qu'elle avait la gouaille la plus hardcore qu'on connaisse. Et un putain de talent pour le dessin. SON SITE PERSO : http://rocabalboa.com/