Quand j’étais enceinte, je disais à qui voulait l’entendre que non il n’y aurait pas de photo de mon bébé sur internet parce qu’on ne sait pas quels sont les zinzins qui vont tomber dessus, que l’enfant n’est pas en âge de choisir et que je n’avais pas envie de ressembler aux mères qui ne postent plus que 50 photos de leur marmaille à la suite.
J’ai tenu !
Pendant un an, aucune photo du visage de ma renarde sur internet. Certes on voyait ses pieds, ou sa silhouette de dos, ou une photo dans les bras en boule mais aucun visage. Pas de grosses joues roses, rien. Et puis un jour, je sais pas PAF j’ai pas fait gaffe. Je m’en souviens très bien : on était en Afrique du Sud en voyage et j’ai partagé sans réfléchir une photo d’elle très nette. Joues roses et bouclettes blondes comprises. Personne n’a fait de réflexion ou n’a semblé le remarquer, le monde ne s’est pas arrêté de tourner et moi j’ai continué comme si de rien n’était.
La Bérézina. 6 mois plus tard c’est la fête à Neuneu sur mon compte instagram - ok non attendez la phrase est mal tournée, c’est le festival de photos de sourires à 5 dents qui remplacent les photos de soirées et les selfies. Heureusement qu’il me reste des voyages de temps en temps pour changer un peu de ligne éditoriale bon dieu !
Comment j’ai fait un virage à 360 dans mes convictions aussi vite ? Aucune idée.
Maintenant que je l’ai réalisé, est-ce que je vais continuer sur la même voie ? No clue.
Les arguments zéro-photo sont souvent très pertinents (cf cet article de Slate qui date de 2013 et qui est toujours autant d’actualité). On y parle de respect de la vie privée de l’enfant, d’anonymat numérique et de comment trouver une bonne université si l’algorithme de google vous retrouve en couche ? Sa phrase finale résume bien l’article : « [les parents qui postent trop de photos de l’enfant] lui volent toute possibilité d’avoir, une fois adulte, une personnalité numérique libérée des préjugés et des partis-pris. » . Et c’est là qu’elle me perd.
En mettant à part toutes les photos gênantes, les fesses à l’air, premier caca au pot etc, comment une simple photo d’un enfant lambda pourrait représenter un parti-pris, un préjugé ou un obstacle à sa future vie professionnelle ? Honnêtement, il n’y a rien qui ressemble plus à un enfant qui mange ses pâtes à la tomate qu’un autre enfant qui mange ses pâtes en s’en mettant partout. Est-ce que le conseil d’administration d’une université va vraiment jouer une place sur ce à quoi un candidat ressemblait à 2 ans ? Oh no, il était parfait mais vous avez vu sa tronche avec la varicelle ?
Reste la question du choix.
Je demande toujours aux intéressés avant de poster une photo d’eux et je suis sûre à 100% que ma fille me répondrait non si je le lui demandais - mais bon elle ne sait pas encore dire oui donc ça n’est pas un pari très audacieux. Je fais donc ce choix pour elle, arbitrairement et injustement, tout comme je choisis ses fringues, ses repas et son heure de coucher. Voilà, tu seras sur mon compte instagram en train de courir après une poule et si dans 10 ans ça te saoule on la retira. (faudrait quand même que t’aies que ça à faire, remonter 10 ans de photos non tagguées - ça serait limite ça le plus inquiétant).
Je n’arrive pas à m’imaginer cette situation sans lever les yeux au ciel. Pour moi c’est du même niveau que quand on fouille nos vieux albums photos dans la maison familiale et qu’on se plait de « mais maman comment t’as pu m’habiller comme ça ? » avant de prendre en photo la photo pour en rire sur twitter. Pourtant sur Le Monde, Eric Delcroix, un spécialiste des réseaux sociaux et de l’identité numérique estimait en avril dernier que :
« Certains enfants attaqueront leurs parents sur le Web dans une dizaine d’années. C’est certain. Là, il est trop tôt pour que cela arrive car les réseaux sociaux ne sont pas assez vieux. Les parents ont du mal à percevoir le côté négatif de leurs actes. »
Bon certes il parle d’enfants sur-exposés médiatiquement, ce qui n’est pas vraiment notre cas. Il est d’ailleurs important, je trouve, de différencier l’average mom : la maman pas vraiment beaucoup suivie et pas vraiment assidue qui se retrouve un peu le cul entre deux chaises. Et cette personne ni zéro-photo ni 50 photos par semaines, quel type de photo est-ce qu’elle poste ? Dans quel but ?
Pour prendre mon exemple, je partage uniquement des photos de tous les jours, du quotidien banal plus ou moins bien cadré et éclairé. Et il s’avère que depuis quelques temps, ma fille est partie prenante de mon quotidien, j’aurais beau vouloir la gommer du paysage, je n’ai pas envie d’effacer ce beau bordel ambiant qu’elle crée et qui me ressemble et rend mes photos vivantes.
Ce dont ces articles parlent peu, et sur lequel nous n’avons aucun recul, c’est qu’il y a un fossé immense entre poster une photo du quotidien, un moment volé et faire poser son enfant dans un but plus égoïste. Je ne parle pas forcément que d’argent mais aussi de besoin d’attention, de likes, de nouvelles abonnées harponnées grâce à 10 hashtags sous la photo de l’enfant. C’est vraiment la peur principale qui revenait quand j’en discutais avec d’autres filles (mères ou non), cette dérive de l’utilisation de l’image des entants. Concrètement, il y a quelques jours ce post instagram de CherryBlossomGirl avait beaucoup fait parler et elle avait fini par clôturer ses commentaires (chose plutôt rare dans son cas) devant le tollé suscité par sa petite fille qui posait pour « vendre » un lave linge sponsorisé. Je suis méga jalouse de ce lave linge (IL A DEUX BACS !) donc je ne la juge pas, je veux juste vous montrer entre quels extrêmes on se trouve lorsque l’on hésite à partager une photo de son enfant.
Pour donner une idée du dilemme, cet article explique que le sujet fait l’objet d’un vaste débat en Allemagne avec une campagne de prévention « Réfléchissez avant de poster ». OK des fois les Allemands vont un peu loin comme la correspondante Berlinoise l’explique, par exemple ils considèrent que photographier un plat au restaurant et la diffuser sur Instagram peut être vu comme une atteinte au droit d’auteur (…) mais la question se pose vraiment.
Réfléchissez avant de poster.
Oui mais quelle réflexion ? Par quel bout le prendre ?
Je ne peux pas vous aider plus et je vous ai même sûrement d’avantage embrouillée sur le sujet qu’autre chose. Ceci dit, je crois que j’ai trouvé la question qui marche le mieux pour ma conscience : est-ce que ça va intéresser quelqu’un d’autre que ma mère ?
Et je peux vous assurer de son efficacité - vous avez échappé à une partie de baby-foot en slip, au biberon donné à la poupée et à un câlin aux chats.