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lundi, 26 septembre 2016

Boobs

Eux et moi, nous étions là. Coincés dans cette salle d’attente typique des années 70. Rien ne semblait avoir bougé depuis cette décennie lointaine où une femme avait osé se battre pour gagner le droit à l’IVG pour les siennes (merci Simone d’avoir eu les épaules pour affronter ces bonhommes à la pensée moyen-âgeuse, on ne te le dira jamais assez). Portes en noyer, fauteuils au piétement en acier chromé, moquette à la couleur plus que douteuse, même les unes de la presse qui traînaient sur la table basse du cabinet avaient la gueule apeurée des années 70 avec leur volonté de changement. Tiens d’ailleurs c’était comment en 1970 ? Est-ce que mes camarades de sexe craignaient pour ces deux-là ? Est-ce que les filles, nos mères, nos grands-mères, avaient la paix ? Pas de « attention ma cocotte la pilule ce n’est pas bon pour toi », pas de « attention au nombre de clopes que tu t’enfiles », « attention au soleil qui sublime ta peau pour mieux l’assassiner ensuite », « attention au combo clope, pilule, alcool », attention à ton cul, à ta chatte, à ta peau, à tes poumons, à ta pomme, attention à ces deux-là. À tes seins. Les “eins”, les “boobs”, chacun son appellation amicale et plus si affinités. Ce détail hautement prédominant de notre anatomie qui distrait les garçons et qui nous cause des tourments, de leur première poussée à la mammographie récurrente jusqu’à la biopsie. Satanés boobs.

Admettons, c’est vrai… Oui, les filles font des choses fantastiques avec ces deux-là. Là, tu fermes les yeux et tu imagines les douces images de Safia, si tu veux tout savoir sur leurs nombreuses et étonnantes fonctions. Mais en contre-partie de toutes ces fonctions fantastiques, nos seins doivent payer et nous aussi. Payer d’en avoir ou pas. Supporter leur effet sur les autres ou leur non-effet. Excuse-moi d’avance pour la qualité de la référence cinématographique, mais dans une petite maison à porte bleue de Notting Hill, au petit matin dans un lit, Anna Scott répondait brillamment à l’admiration de son amant William Thacker devant ces deux-là :

« Ce ne sont que des seins. »

Qui nous subliment et nous emmerdent. Sublime au lit ou en décolleté. Emmerde quand on doit caser son sein gauche dans une machine angoissante pour en savoir plus sur cette prépondérance étrange au toucher. Ou pire se voir enfoncer dans cette petite merveille toute douce une aiguille aux airs de tournevis (ici, on est chez Retard, j’ai tous les droits, surtout celui de ne pas être glam, ok). Ça fait mal pour vérifier qu’il n’y a pas de mal, mademoiselle vous savez.

Ça fait surtout chier madame d’en passer par là. Vous savez, c’est sacrément emmerdant cette petite tête qui cogite concernant l’insatisfaction permanente d’être une fille, à devoir faire avec la nature et ses injonctions. Tu saignes, tu douilles. Tu enfantes, tu douilles. Tu vas chez la gyneco, tu douilles. Tu fais checker cette putain de prépondérance qu’on te tord dans tous les sens, tu douilles. Tu demandes un renouvellement de pilule, tu douilles d’avoir en face de toi une généraliste quinqua te dire

« que décidément c’est n’importe quoi cette génération qui a plus peur de tomber enceinte que d’avoir une maladie sexuellement transmissible »,

ton cœur douille d’entendre des conneries pareilles et ta cervelle répond une centaine d’insultes à la seconde que ta bouche est incapable de sortir. Est-ce que cette connasse de première catégorie questionnerait un mec sur ses envies de paternité et sur la nécessité d’être en couple à 30 piges ? J’aurais voulu lui foutre mon poing dans la gueule avec ses sermons et sa stabilité, mais je suis une fille : on m’a déconseillé d’être violente et vulgaire. Pire une femme m’a déconseillé d’être violente et vulgaire. Mère-grand aurait dit

« c’est pas joli comme geste pour une fille ».

Mère-grand, Dame nature ou Dame société, sache que ce soir plus particulièrement , plus que tous les autres soirs de ma vie, je vous emmerde profondément.

J’ai fait un écart et j’en ai perdu le fil de mon histoire. Elle doit sûrement tourner autour de mon nombril, de notre nombril à toutes. L’autre jour, un garçon m’a plus ou moins expliqué que je n’avais pas le monopole de la souffrance. Sûrement que le premier sexe doit souffrir. Mais le deuxième collectionne les souffrances. Tous les 24 du mois. Tous les ans à checker sa panoplie de fille. Toutes les fois où il est susceptible de se reproduire, donc de tomber enceinte ou de se faire avorter, souffrance garanti. Et tous les jours insidieusement. Cet été encore plus que les autres. Ouvrir un journal, allumer la télé ou la radio, et le deuxième sexe entendait qu’une seule et unique histoire. L’histoire encore et toujours du corps d’une femme que l’on veut dévoiler de force, quand autrefois on voulait le cacher et quand aujourd’hui encore on le juge parfois trop voyant. C’est quoi le problème avec ce foutu corps ? Mis à part qu’on veut le dominer tout le temps insidieusement ? C’est quoi le rapport entre la domination patriarcale et ce boobs qui cache une petite boule qui fait chier ? Mis à part que ce boobs est le truc le plus chouette de mon anatomie de femme pour plaire aux hommes ? C’est quoi le rapport entre la domination patriarcale, ce boobs qui m’emmerde et Retard Magazine ? Mis à part qu’ici je peux t’écrire directement, franchement sans fioritures et te dire combien il est nécessaire dans la vie de tous les jours, où tu souffres, de déconstruire cette domination insidieuse, de lire, lire, lire et relire des papiers pour comprendre qu’il y a un truc qui cloche sérieusement dans ce bas monde tombé bien bas.

P.S : t’es gentille, si tu fais partie de ma team deuxième sexe va checker tes fabuleux boobs régulièrement chez la gynéco. Et si tu fais partie de l’autre team, c’est pas bien grave je t’aime quand même, tu as juste été mal éduqué, comme nous.

Eloise

Eloïse est né en 1987 et possède la plus belle bibliothèque de tous les temps. Journaliste déco, elle nous a un jour envoyé un papier tellement bien sur Véronique Sanson qu'on a eu tout de suite envie d'être sa meilleure amie. elle tient aussi un blog trop chouette où elle parle de ses passions, qui regroupent autant le féminisme, la musique, la littérature que la politique. Tu devrais le mettre dans tes favoris poussin, tu ne le regretteras pas. http://memoires.dune.jeune.fille.derangee.over-blog.com/

Safia Bahmed-Schwartz

Safia est née en 1986 et porte à son auriculaire une très jolie bague en or. Quand on a proposé à cette artiste/prestidigitatrice/receleuse de passer des MP3 à notre soirée au Trabendo (on était tombées amoureuses d'elle en regardant son clip "Vaseline"), on a halluciné quand elle accepté (et on était aussi super contentes, elle a passé MARIAH CAREY). Puis on a re-halluciné quand elle nous a proposé de tenir une chronique qu'elle illustrerait de ses belles mains. Sérieux, comment pourrait-on dire non à Safia ? Tout son travail déglingue.