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vendredi, 27 novembre 2015

COMMENT J’AI PROSTITUÉ MON APPART

Par
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Un jour, une amie est venue prendre l’apéro chez moi, elle s’est assise sur mon canapé aux 12 coussins, à admiré les murs surchargés de cadres en tous genres à l’effigie de Johnny Thunders, de Jésus ou d’anonymes du début du siècle dernier, et a prononcé cette phrase qui a marqué l’histoire: «En fait, chez toi, c’est comme un vagin: c’est étroit, confortable, féminin, et ça peut avoir mauvais goût». Et c’est vrai: je vis dans 28 mètres carré, mon canapé est très moelleux, on sait tout de suite qu’aucun mec ne vit ici, et je collectionne les vieux jouets en plastiques flippants et tous les objets étranges de manière générale.

Alors, forcément, c’est resté: j’habite le Vagin depuis presque 5 ans désormais, et nous avons une relation d’amour/haine typique des plus grandes passions. Chaque mois, il me déleste de la moitié de mes revenus (parfois même plus, en période de vache très maigre), j’ai perdu mon indulgence des premiers jours envers le carrelage marronnasse de sa salle de bain, et la moisissure qui colonise les murs de sa chambre est une cause perdue que le temps, pourtant réputé pour apaiser tous les maux, n’a fait qu’aggraver lamentablement. Mais les jours où j’ai envie de poster un préavis de départ plein de fiel, je me souviens que cet endroit est celui que je préfère sur terre. Déjà, il est situé au beau milieu d’une ville que j’adore, dans un quartier calme et ultra central. Je n’entends presque jamais mes voisins, et j’ai envie de continuer à supposer que c’est la même chose pour eux.

Après 5 ans passés à arpenter les vide-greniers, je n’ai gardé que le meilleur pour lui: j’ai remplacé mon vieux poster de Marilyn Manson époque Spooky Kids acheté chez mon disquaire préféré dans les Côtes d’Armor en 2001 par une affiche de cinéma géante de «Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle)» et j’ai fini par trouver une tête de bébé en porcelaine vide pour y faire pousser une plante grasse (oui, comme celles vendues 50 dollars sur Etsy!). En somme, la déco confine à la perfection.

C’est donc un de ces jours où l’amour passionnel des débuts avait refait surface et où je chérissais ma chance d’habiter un endroit aussi chouette que j’ai eu une idée brillante: le Vagin, l’une des principales causes de mon péril financier permanent, allait justement m’aider à en sortir. J’allais le foutre sur le trottoir pour qu’il me rapporte de quoi payer ma taxe d’habitation et des draps d’adulte.

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Alors, bien sur, ce n’était pas gagné. Sur le fameux site destiné à la location de logements par des particuliers, le style minimaliste blanc/gris/beige semblait remporter tous les suffrages. Les canapés étaient souvent pourvus d’un unique coussin monochrome, sur les murs un cadre en pin tout au plus, et le nombre d’aimants sur le frigo n’excédait pas le nombre de fenêtres dans l’appartement. A première vue, le Vagin était donc plutôt mal barré, mais, comme le gamin dyslexique qui finit par avoir son Bac L avec mention, il a connu un succès plutôt remarquable, et d’autant plus flamboyant qu’il fut inattendu.

Bien sur, les 4 heures de ménage qui précèdent chaque location et la difficulté d’organiser des remises de clefs avec les potes sur place quand on est à 5000km de là sont comme la pire des cuites au rosé pamplemousse: à chaque fois, on se dit qua c’est la dernière fois parce que c’est vraiment trop horrible. Mais on finit toujours par recommencer.

Et, comme on n’est jamais trop prudents, je prends également soin de planquer dans une vieille valise qui ferme (difficilement) à clefs mes biens les plus précieux: mon disque dur externe, mon décapsuleur doré en forme de moineau, ma peluche de Donald années cinquante, et surtout ma famille ours Sylvanian. J’ai évidemment réalisé après coup que personne ne daignerait voler des objets aussi nazes, mais ils ont tellement de valeur à mes yeux qu’il m’était difficilement supportable de les imaginer se faire tripoter par des inconnus.

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Et globalement, à part quelques remarques désobligeantes sur le matelas (trop mou pour certains, trop ferme pour d’autres), les trois étages un peu rudes pour les asthmatiques (et les gros flemmards), le double-vitrage faiblard quand les conducteurs de tramway y vont un peu fort sur le klaxon, et quelques faux compliments un tantinet vexants (non, la déco n’est pas «marrante», merci)… les gens ont adoré le Vagin et l’ont gratifié d’un maximum de petites étoiles. Robert de Floride y est même revenu deux fois!

Quant à moi, j’ai pu non seulement payer ma taxe d’habitation rubis sur ongle, investir dans des draps brodés en percale et des tapis de bain super moelleux, mais aussi acheter quelques billets d’avion un peu chers et visiter d’autres endroits hyper chouettes en logeant dans le vagin d’inconnus. Un seul conseil si vous voulez vous y mettre: ne commencez jamais à imaginer ce que ce couple (ou, pire, ce mec seul) vont faire dans votre lit. Jamais.

Annie

Annie est née en 1986 et porte encore son t-shirt Marilyn Manson, acheté en 2001 à Châtelet Les Halles. Je n'ai pas trop compris où Anna et elle s'étaient rencontrées, mais nos chemins se sont recroisés ensuite plusieurs fois, et on m'a demandé de la pousser pour qu'elle fasse des articles pour nous. Une grande idée. Actuellement surveillante et maîtresse d'internat, Annie n'oublie pas d'être drôlement cool, et d'écrire drôlement bien. On a besoin de quoi de plus, hein, sérieusement ?

Monna Satellite

Monna a 25 ans et une passion pour les documentaires musicaux. Après avoir terminé ses études d'illustrations médicales et scientifiques (GROSSE CLASSE) et ses cours de psychomotricité, elle est devenue tatoueuse et a vécu dans un squat (BAM ! CA C'EST UNE MEUF QUI A DES COUILLES). Aujourd'hui illustratrice et tatoueuse, son rêve est de s'installer au fin fond des Pyrenées pour profiter à la fois de la mer et de la montagne et de faire son métier dans son jardin, "'A la bien" comme dirait Soprano. C'est tout le mal qu'on lui souhaite.