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mercredi, 09 novembre 2016

Courrier du cul volume 2

Par
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J’ai été traumatisée pendant 2 ans par un ex bi pour qui les préliminaires étaient « une affaire d’hommes, les femmes ne savent pas sucer ou branler, tu ne peux pas toucher mon sexe, je m’occupe de toi puis je te fourre ». Depuis, je galère complètement, je reviens à l’état pucelle dès que je me retrouve face à un pénis et je n’arrive pas à surmonter ce complexe. WHAT SHOULD I DO ?

Salut, et merci pour cette question ma foi très intéressante, à laquelle je souhaiterais répondre après un petit préambule qui me semble important. Je ne vais pas me lancer dans le couplet que tu as du entendre deux cent fois «Oh mais quel affreux personnage a bien pu te tenir ce discours? J’espère qu’il est désormais réduit à la pratique d’un onanisme contraint et monotone chaque jour que Dieu fait!». Nan, c’est de toute évidence inutile et complètement stérile (ah tiens, comme l’onanisme, justement). Parce qu’en effet je crois que de manière générale, on perd souvent un peu trop de temps avec cette réaction de rejet et d’indignation que déclenche en nous le récit d’un.e ami.e éploré.e après l’échec d’une relation amoureuse ou sexuelle avec une personne dont le comportement s’avère être discutable voire réellement scandaleux. Révolté par la peine ressentie par notre pote, on se cantonne souvent à déclamer notre révolte face à un tel manque de savoir-vivre, dénonçant l’ignominie de l’outrage subit par cet être qui nous est cher. On met notre verve enhardie par l’indignation au service de la destruction symbolique de cet ennemi commun, de ce coupable mutique - car absent - et finalement presque abstrait: j’ai nommé le Connard. J’insiste sur le C majuscule, car il désigne ici cette nuée d’enfoirés affectifs, handicapés de l’engagement et autres pervers narcissiques qui peuple nos conversations, hante nos échanges quotidiens - le Connard en devient un concept. Un concept sur lequel on adore cracher de la façon la plus véhémente qui soit: le Connard prend cher, on se lâche sur le Connard, on le transperce de part en part, nos mots assassins tels des aiguilles acérées déchiquetant le Connard ayant revêtu l’apparence d’une vulgaire poupée vaudou gisant inanimée sur le sol… Parce que ça fait du bien, ça défoule… mais est-ce vraiment très constructif? Est-ce que ça nous aide?

Je me suis adonnée des années durant à ce sport haineux, allant même jusqu’à solliciter mes amis afin de leur faire cracher leur propre venin sur le Connard, et je ne vais pas te mentir - il m’arrive encore de le faire. Mais depuis quelques temps, j’ai envie de croire que je suis parvenue à prendre un soupçon de recul: j’ai réalisé, un peu tardivement, certes, que cet acharnement n’apportait pas grand chose aux situations de détresse sentimentale et/ou sexuelle. Déjà, élément de taille, évident mais que l’on oublie trop souvent: nous ne disposons de l’avis que de la moitié des intéressés. Toute idée d’objectivité passe donc immédiatement à la trappe, sans que personne ou presque ne semble réellement s’en préoccuper. On se perd en conjectures plus improbables les unes que les autres, en arrivant parfois à ce genre de conclusion d’une bêtise crasse «Nan mais laisse tomber, s’il t’a pas rappelée, c’est qu’il est gay», qui est un peu le Point Godwin de la conversation sur le Connard. Sans oublier que nous aussi, on se comporte parfois comme des Connasses, même s’il on ne s’en rend pas toujours compte sur le coup.

Voilà pourquoi ce préambule m’a semblé pertinent: à la lecture de ta question, j’ai eu le premier réflexe de m’insurger «Mais quel Connard!» avant de retrouver la raison. Certes, c’est certainement bon signe car je fais preuve d’empathie à ton égard, chère lectrice, je dois donc être un être humain pas trop naze, mais je ne dispose pas de tous les éléments qui me permettraient éventuellement de coiffer ton ex de la lourde et très laide couronne du Roi des Connards. Et quand bien même je les aurais, je me dois de me départir de cette pulsion de révolte qui s’est, l’espace de quelques instants, emparée de moi. Je vais donc essayer de te répondre en toute subjectivité objective - c’est à dire avec mon regard de meuf qui n’est ni psy ni médecin mais qui par contre en a vu défiler, des Conn… des garçons.

A bien regarder ton court récit, je pense que l’on peut tout d’abord relativiser en ce sens: toutes nos relations, qu’elles durent deux semaines ou quatre ans (mais, évidemment, plus c’est long, pire c’est), nous habituent à un comportement particulier, nous «formatent» en quelque sorte au fonctionnement de l’autre. Sans réellement s’en rendre compte, on apprend à vivre avec cette personne précise, en oubliant les grandes théories qu’on avait sur la vie à deux, sur le sexe en général, bref, on s’adapte, et c’est normal. C’est en cela que chaque relation qui se termine nous oblige à oublier tout ce qu’on a mis un temps fou à apprendre, pour pouvoir tout réapprendre ensuite, avec la ou les personne.s suivante.s. Et il s’avère que le plus difficile, souvent, c’est justement d’oublier - ou plutôt de désapprendre. Oui, désapprendre, car ce terme implique une action, une volonté, par opposition à l’oubli qui, lui, se fait sans que l’on puisse réellement en décider consciemment. Et tout comme on se rend vite compte que ce n’est pas forcément pertinent de mettre des doigts dans le cul de tous les gens avec qui l’on couche car, ô, surprise, tout le monde n’aime pas ça même si notre ex en a raffolé pendant trois ans et demi, tu vas devoir désapprendre petit à petit sa façon de baiser - ou plutôt votre façon de baiser, car même s’il t’a de toute évidence en grande partie imposé son modus operandi, tu faisais bel et bien partie intégrante du déroulement des opérations.

Sa vision apparemment très radicale des préliminaires parait certes absurde, on se demande même comment il a bien pu en arriver à une telle conclusion - mais, après tout, ce sont ses préférences à lui, et la seule chose que l’on peut ici discuter c’est qu’il ne semble pas y avoir eu de réel échange à ce sujet entre vous. En te lisant, on entend «j’ai subi» et pas «on faisait comme ça tous les deux», et c’est bien là que réside le problème! Car ça aurait pu t’aller parfaitement, qu’on «s’occupe de toi» et qu’on «te fourre», pourquoi pas après tout, «tous les goûts sont dans la nature», surtout en matière de cul, nan? Tant que l’on trouve quelqu’un qui a les mêmes envies et les mêmes préférences que soi, tout va bien. Ce qui t’arrive est donc somme toute très banal: on a tous et toutes ce réflexe après une relation un peu marquante de remettre en place les mêmes rituels et comportements, et on se retrouve tous plus ou moins désarmés devant l’inconnu et la nouveauté. Je me souviens par exemple, après une relation monogame de deux ans et demi, m’être surprise à faire un full breakfast à mes plans culs, toute habituée que j’étais à ma petite vie de couple parfaite, jusqu’à ce que je réalise que non, tout le monde ne mérite pas mes egg-muffins au saumon fumé dès le premier matin. C’est sur, il a certainement été plus aisé d’arrêter de cuisiner au réveil pour moi qu’il doit l’être pour toi de reprendre le pouvoir sur ta sexualité, car on t’a un chouilla abîmé ta confiance en toi au passage.

Cependant, je ne me fais pas trop de souci pour toi sur le plan du «désapprentissage»: ça prend du temps, on avance, on rechute, mais on y arrive, comme on parvient à faire son deuil d’une relation ou d’une personne. Ta confiance en toi face aux préliminaires, qui est certainement liée à ta confiance en toi tout court donc, va se reconstruire petit à petit, je l’espère, avec des gens moins bornés et moins surs d’eux, le souvenir de ta vie sexuelle avec ton ex se laissant progressivement teinter du flou apaisant du temps qui passe pour laisser la place à d’autres nouvelles vies sexuelles bien plus épanouissantes. Tu vas te souvenir petit à petit que ta façon de faire à toi vaut largement celle des autres, et que t’es même plutôt douée, comme meuf, quand on ne te met pas de vilaines barrières. Mais surtout, tu auras appris une chose vraiment super importante grâce à ce garçon: c’est pas à ton partenaire de décider pour vous deux - qu’il s’agisse de la couleur du meuble Expedit de la salle à manger ou du nom d’un éventuel chaton, voire rejeton - et ce n’est pas non plus à lui de régner en maître sur votre vie sexuelle. Je te souhaite de tomber rapidement sur des mecs qui envisagent tout à fait que «sucer ou branler» c’est aussi «une affaire de femmes», et qui de manière générale te laisseront droit au chapitre dans votre relation - mais cela ne fait aucun doute car crois-moi, ils sont nombreux, et certains sont même en plus des gens carrément sympas!

Anna Wanda

Directrice Artistique et illustratrice
Anna est née en 1990 et se balade avec un collier où pend une patte d'alligator. Graphiste et illustratrice particulièrement douée (sans déconner), elle n'est pas franchement la personne à inviter pour une partie de Pictionnary. Toujours motivée et souriante, c'est un rayon de soleil curieux de tout et prêt à bouncer sur un bon Kanye West, tout en te parlant de bluegrass. Par contre, elle a toujours des fringues plus jolies que toi. T'as donc le droit de la détester (enfin tu peux essayer, perso j'y arrive pas). SON SITE PERSO: http://wandalovesyou.com