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lundi, 08 mai 2017

CRISE DE BOULIMIE

Par
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Mon cerveau est de la bouillie.

Je n’arrive pas à me concentrer plus de cinq minutes sur le même truc. J’ai mille onglets toujours ouverts, et puis quand je ne suis pas sur mon ordi je suis sur mon portable, quand je ne suis pas sur mon portable je suis devant la télé, et quand je ne fais pas tout ça je me demande ce que je rate du coup je me reconnecte, et je reste avachie devant mon mac, à regarder sur Netflix des séries dont je me fous.

J’ai regardé les cinq saisons de Suits, pour vous dire, au lieu d’avancer dans l’écriture de Treize pour Retard. Qu’est ce que j’en ai à branler de Suits à part qu’Harvey Specter me donne super chaud ?

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Rien du tout.

Mon cerveau ne lit plus, ne réfléchit plus, il parcourt, les articles, les livres, mes propres pensées même. Je passe continuellement à autre chose, je commence mille trucs et n’en finis jamais un. J’ai été obligée de me fixer un objectif de 52 bouquins cette année pour me remettre à la lecture, sinon je savais que j’étais condamnée à lire les résumés sur Wikipédia. J’ai oublié ce que c’est que de prendre le temps de lire soigneusement. J’ai pas le temps, je bouffe une vingtaine d’articles par jour sur des sujets dont je me fous .
La preuve ? Tout de suite, j’ai un onglet ouvert sur “les enfants rendent plus intelligents”.

Internet m’a rendu boulimique. Je me goinfre de lectures, de petits paragraphes, de bons mots. Je préfère être chez moi que sortir, je préfère être spectateur qu’acteur. Je scrolle, tout le temps, comme une tarée, comme si c’était grave de rater quelque chose qui n’est pas déjà sur internet, des “informations”, comme si je ne pouvais jamais m’en remettre, comme si ça allait m’empêcher de faire une vanne ou de rater une référence dans une conversation. Je finis par me dégouter, j’ai les yeux explosés, je suis hagarde, et puis j’oublie, pour refaire les mêmes erreurs le lendemain.

Il y a pas longtemps, j’en ai eu plein le dos de l’internet, de ma propre consommation du rien, de Retard, aussi. Je regardais les chiffres et je me demandais si je ne faisais pas que pisser dans un violon. Est ce que ça nécessitait de se donner autant de mal, et cela depuis plus de cinq ans ? Si les gens « consommaient » le site de la même façon que moi, j’étais baisée. J’ai commencé à paniquer.

Les gens me parlent beaucoup de Retard mais vous êtes rares à le lire, encore plus à tout lire. Il m’a fallu quelques messages de soutien, pour me dire que finalement ce n’était pas grave si il n’y avait que 50 personnes qui nous connaissaient, l’important c’est que ça leur plaise non ?
Mon ego en reste néanmoins un peu froissé.
Et puis finalement, quel était devenu mon propre rapport au texte ? Aux mots auxquels j’avais souhaité dédier ma vie toute entière ?

Un rapport malsain. Je suis un putain de cuisinier qui passe sa vie au Mac Do.

Je me suis aperçue ainsi que je dévaluais mon propre travail. Je ne porte plus une grande attention aux styles des articles, des bouquins, de la finesse ou de la richesse de certaines plumes. Je ne suis plus mes journalistes préférés (et qui sont-ils finalement ?), je n’attends plus que telle ou telle personne prenne la parole (à part Jeffrey Eugenides, mais c’est juste l’exception qui confirme la règle).
J’ingurgite en masse, je digère plus tard, j’oublie tout le temps.

Et dans tout ce bordel, dans ce flux constant que m’impose Facebook, Twitter, Tumblr, je me demande si vous faites de même. Est ce qu’on donne encore de la valeur à ce qu’écrivent les gens ? Les textes sont-ils aussi précieux qu’auparavant ? Est-ce qu’ils ont encore ce pouvoir magique que j’étais auparavant capable de leur prêter ?

J’ai encore envie d’y croire, penser que la parole a encore un rôle, que les écrits peuvent laisser autre chose qu’un vague souvenir, qu’il est bon de passer tout son temps libre à taper comme une dératée sur mon putain de clavier. En espérant quoi ? Je sais pas. Mais je vais continuer d’essayer.

Marine

Leader Autoritaire
Marine est née en 1986 et vit avec un petit chien trop mignon. Après avoir joué avec des groupes de filles ultra classes d'après les autres membres (Pussy Patrol/Secretariat/Mercredi Equitation), elle gagne sa vie en écrivant sur des sujets cools et se la pète déjà un peu. Ca ne l'empêche pas de traîner en pijama dégueulasse le dimanche en essayant de twerker mal sur du William Sheller. L'AMOUR PROPRE C'EST DÉMODÉ OKAY.

Maxime Roy

Maxime Roy est né en 1986 et adore sa cafetière. Graphiste et illustrateur (t'as d'ailleurs surement vu son travail chez Gonzaï, fais pas genre), il nous en a mis plein les mirettes en illustrant un papier sur Conan O'Brien : sérieux, t'as vu les couleurs, les formes et tout ? Un breton plutôt malin avec ses mains, même si il ne sait pas encore siffler correctement avec ses doigts.